Jamais je n’aurais imaginé me retrouver dans cette situation : celle qui me voyait, pas à pas, me diriger avec hantise vers le point de pénalty. Pour y tenter un énième jet de sept mètres décisif qui, en cas de réussite, délivrerait toute notre équipe.
D’autant plus que mes expériences précédentes s’étaient toutes soldées par des échecs cuisants. Gymnastique, danse, judo, basket... A aucun moment, je n’avais réellement trouvé ma place. Souvent esseulée, peu à l’aise au milieu des regards pesants, ma différence semblait trop lourde à porter.
Pourtant, après plusieurs années loin des terrains de sport, Stéphanie allait me convaincre. Elle qui jouait depuis trois ans dans le club familial du Bogny HB en était persuadée : je n’allais pas le regretter. Lors de ma première apparition, j’avais bien sûr la boule au ventre. Les images du passé refaisaient surface. Mais, contre toute attente, tout allait se passer au mieux. Naturellement, sans jamais me stigmatiser, le groupe m’accueillait chaleureusement. Rapidement à l’aise, je m’essayais aux actions de bases du handball. La passe, le tir, le dribble, je m’en donnais à cœur joie. Malgré mes difficultés, toutes mes coéquipières m’encourageaient. A la fin de la séance, épuisée, je découvrais la tradition du groupe. On ne se quitte pas sans partager une bonne bière. Et pas n’importe laquelle : l’Ardwen. Qu’elle soit blonde, ambrée, blanche, cerise ou rouge, les filles ne jurent que par cette boisson locale ardennaise. L’occasion de papoter et, surtout, d’évoquer la Coupe de France, la compétition qui les fait toutes rêver. Car, depuis peu, la FFHB a eu la bonne idée de créer une version départementale de celle-ci. Après deux éliminations successives en huitièmes puis seizièmes, elles semblent en être convaincues. Cette édition sera la bonne. Nous irons fouler le parquet de l’Accor Hôtel Arena « comme les pros ».
Les premiers tours leur donnent raison. Contre Taissy, même si mon rôle s’est exclusivement cantonné à discrètement donner de la résine aux coéquipières dans une salle où elle est interdite, nous faisons cavalier seul (26-15). Face à Saint-Brice, l’air supérieur caractéristique de certains marnais s’est vite estompé (24-12). J’ai même fait ma première apparition. A trois minutes du terme, le coach me tape sur l’épaule : « A toi de jouer ». Positionnée à l’aile droite, je tente de m’enfoncer toujours un peu plus dans l’angle du terrain espérant ne jamais toucher la balle. Bien évidemment, comme pour récompenser mes cinquante-sept minutes de patience, l’unique objectif des filles est de me faire participer. Résultat, deux mauvaises réceptions plus tard, le coup de sifflet final retentit. Puis, hasard du calendrier, nous recevons Bouzonville le 06 décembre, le jour de la Saint-Nicolas. Frontaliers de la Belgique, nous ne raterions pour rien au monde l’occasion de faire plaisir aux enfants. Le Président Yann l’a décidé, nous entrerons accompagnés des moins de 11 ans féminines et le Saint-Nicolas en profitera pour offrir chocolats et friandises. Une fête en tous points réussie, excepté lorsque le Patron des écoliers m’a tendu chaleureusement l’un des paquets extraits de sa hotte... Ma petite taille me faisait encore défaut. Cette mésaventure vite oubliée, après une première période accrochée, nous faisons la différence dès le retour des vestiaires pour ne plus jamais être inquiétées. A Guénange, la deuxième équipe mosellane consécutive, l’agressivité adverse et leurs quatorze exclusions temporaires nous ont grandement facilité la tâche. Jusqu’à présent, nous effectuons un parcours sans-faute. Place désormais au premier évènement marquant, les finales de secteur. Ce sera à Molsheim, commune située au cœur de l’Alsace et terre de handball.
Nous savons que la tâche s’annonce délicate. Pour mettre toutes les chances de notre côté et ne pas être surprises par les chutes de neiges annoncées, nous sommes parties la veille. A dix heures un dimanche matin de février, Marsannay se présente devant nous. Athlétiques, dégageant une assurance à faire trembler les murs, ces cyborgs nous effraient. A juste titre, après quelques minutes, nous n’avons pas inscrits le moindre but. Alain, notre coach, pose son temps-mort. Avec un savant mélange de pragmatisme, finesse d’analyse et sens tactique, le tout enveloppé d’un ton à la fois bienveillant et directif dont il a le secret, il parvient habilement à nous remettre sur de bons rails. A la pause, notre retard n’est plus que d’une longueur. Une bonne dynamique sur laquelle nous surferons en seconde période. Après ce premier avertissement, nous attaquons en fin d’après-midi le plat de résistance. Nous rencontrons les filles de Molsheim, dans leur salle, et leurs trois cents spectateurs acquis à leur cause. L’occasion pour Christine, notre gardienne, de démontrer une fois de plus que les années n’ont pas d’emprise sur elle. Elue femme de la rencontre à l’unanimité, comptant un total stratosphérique de vingt-sept parades, notre dernier rempart a gagné ce huitième de finale.
Alors c’est sûr, je joue peu. Quelques minutes par-ci, par-là. Mais je m’en contente. Silencieusement, courageusement, toujours au service du collectif, je ronge mon frein. Car, la joie de partager ces émotions avec un groupe extraordinaire m’enrichit bien assez. D’autant que ce n’est pas fini...
Direction la dernière grosse étape, une découverte pour tout le groupe : les finales de zone. Cette saison, elles sont organisées à Plouvorn, en Bretagne. Ce dimanche d’avril, contrairement aux idées reçues, le temps est radieux. Après un réveil musculaire les pieds dans le sable, nous affrontons Noisiel. Face aux franciliennes, l’entame sera déterminante. Si nous les laissons réciter leur handball, nous ne les reverrons plus. Et même l’odeur des crêpes au caramel beurre salé venue de l’extérieur ne nous perturbe pas. Nous prenons rapidement les rênes de la partie. Surprises, nos adversaires ne semblent pas en mesure de réagir. A notre grand étonnement, nous l’emportons sans entamer notre capital physique. J’ai même le privilège de fouler quelques secondes le parquet. En fin de journée, nous avons une dernière marche à gravir. Face à Caudry, formation nordiste, ce sera presque un derby. En tout cas, une opposition entre deux équipes peu habituées aux matches à enjeu. Et, vu le nombre d’erreurs individuelles, la pression prend le dessus. Sur le tout petit score de six partout, les protagonistes rejoignent les vestiaires hantées par le doute. Une fois de plus, le discours salvateur de notre coach aura valeur d’électrochoc. Avec un tout autre visage, nous surpassons les Ch’tis qui, avec classe, reconnaitront notre supériorité au coup de sifflet final. On y est... direction Paris !
Une salle immense, un public avoisinant les six cents personnes, une présentation nominative, des journalistes, tout cela paraît irréel. Sur le terrain, contre Lyon, j’assiste de mon banc à un véritable mano à mano. Du coup d’envoi jusqu’à la fin du temps réglementaire, personne ne se détache. S’en suit l’épreuve des tirs au but. Réunies au centre du terrain, nous tremblons à chaque tir. Après cinq tireuses, le score est de trois partout. La « mort-subite » va nous départager. A chaque réussite des lyonnaises, nous répliquons. A chaque échec de leur part, nous craquons. Tout le monde a tiré, sauf moi... Aline Dutel, mon alter égo lyonnaise, vient de manquer le cadre. Il ne reste que moi. Du haut de mon mètre cinquante-six et avec mon bras gauche ballant et inerte, je m’approche du point de pénalty. « Ne bouche pas ton pied gauche, garde-le fixé au sol ». En me répétant cette phrase inlassablement, j’évacue le stress comme je peux. L’arbitre siffle, je décide de tirer à rebond en bas à droite. La gardienne anticipe de l’autre côté. C’est gagné ! Toutes les filles me sautent dessus oubliant au passage que je n’ai qu’un bras en état de marche. Asphyxiée sous le poids de tout un groupe euphorique, je n’ai jamais été aussi heureuse !
D’autant plus que mes expériences précédentes s’étaient toutes soldées par des échecs cuisants. Gymnastique, danse, judo, basket... A aucun moment, je n’avais réellement trouvé ma place. Souvent esseulée, peu à l’aise au milieu des regards pesants, ma différence semblait trop lourde à porter.
Pourtant, après plusieurs années loin des terrains de sport, Stéphanie allait me convaincre. Elle qui jouait depuis trois ans dans le club familial du Bogny HB en était persuadée : je n’allais pas le regretter. Lors de ma première apparition, j’avais bien sûr la boule au ventre. Les images du passé refaisaient surface. Mais, contre toute attente, tout allait se passer au mieux. Naturellement, sans jamais me stigmatiser, le groupe m’accueillait chaleureusement. Rapidement à l’aise, je m’essayais aux actions de bases du handball. La passe, le tir, le dribble, je m’en donnais à cœur joie. Malgré mes difficultés, toutes mes coéquipières m’encourageaient. A la fin de la séance, épuisée, je découvrais la tradition du groupe. On ne se quitte pas sans partager une bonne bière. Et pas n’importe laquelle : l’Ardwen. Qu’elle soit blonde, ambrée, blanche, cerise ou rouge, les filles ne jurent que par cette boisson locale ardennaise. L’occasion de papoter et, surtout, d’évoquer la Coupe de France, la compétition qui les fait toutes rêver. Car, depuis peu, la FFHB a eu la bonne idée de créer une version départementale de celle-ci. Après deux éliminations successives en huitièmes puis seizièmes, elles semblent en être convaincues. Cette édition sera la bonne. Nous irons fouler le parquet de l’Accor Hôtel Arena « comme les pros ».
Les premiers tours leur donnent raison. Contre Taissy, même si mon rôle s’est exclusivement cantonné à discrètement donner de la résine aux coéquipières dans une salle où elle est interdite, nous faisons cavalier seul (26-15). Face à Saint-Brice, l’air supérieur caractéristique de certains marnais s’est vite estompé (24-12). J’ai même fait ma première apparition. A trois minutes du terme, le coach me tape sur l’épaule : « A toi de jouer ». Positionnée à l’aile droite, je tente de m’enfoncer toujours un peu plus dans l’angle du terrain espérant ne jamais toucher la balle. Bien évidemment, comme pour récompenser mes cinquante-sept minutes de patience, l’unique objectif des filles est de me faire participer. Résultat, deux mauvaises réceptions plus tard, le coup de sifflet final retentit. Puis, hasard du calendrier, nous recevons Bouzonville le 06 décembre, le jour de la Saint-Nicolas. Frontaliers de la Belgique, nous ne raterions pour rien au monde l’occasion de faire plaisir aux enfants. Le Président Yann l’a décidé, nous entrerons accompagnés des moins de 11 ans féminines et le Saint-Nicolas en profitera pour offrir chocolats et friandises. Une fête en tous points réussie, excepté lorsque le Patron des écoliers m’a tendu chaleureusement l’un des paquets extraits de sa hotte... Ma petite taille me faisait encore défaut. Cette mésaventure vite oubliée, après une première période accrochée, nous faisons la différence dès le retour des vestiaires pour ne plus jamais être inquiétées. A Guénange, la deuxième équipe mosellane consécutive, l’agressivité adverse et leurs quatorze exclusions temporaires nous ont grandement facilité la tâche. Jusqu’à présent, nous effectuons un parcours sans-faute. Place désormais au premier évènement marquant, les finales de secteur. Ce sera à Molsheim, commune située au cœur de l’Alsace et terre de handball.
Nous savons que la tâche s’annonce délicate. Pour mettre toutes les chances de notre côté et ne pas être surprises par les chutes de neiges annoncées, nous sommes parties la veille. A dix heures un dimanche matin de février, Marsannay se présente devant nous. Athlétiques, dégageant une assurance à faire trembler les murs, ces cyborgs nous effraient. A juste titre, après quelques minutes, nous n’avons pas inscrits le moindre but. Alain, notre coach, pose son temps-mort. Avec un savant mélange de pragmatisme, finesse d’analyse et sens tactique, le tout enveloppé d’un ton à la fois bienveillant et directif dont il a le secret, il parvient habilement à nous remettre sur de bons rails. A la pause, notre retard n’est plus que d’une longueur. Une bonne dynamique sur laquelle nous surferons en seconde période. Après ce premier avertissement, nous attaquons en fin d’après-midi le plat de résistance. Nous rencontrons les filles de Molsheim, dans leur salle, et leurs trois cents spectateurs acquis à leur cause. L’occasion pour Christine, notre gardienne, de démontrer une fois de plus que les années n’ont pas d’emprise sur elle. Elue femme de la rencontre à l’unanimité, comptant un total stratosphérique de vingt-sept parades, notre dernier rempart a gagné ce huitième de finale.
Alors c’est sûr, je joue peu. Quelques minutes par-ci, par-là. Mais je m’en contente. Silencieusement, courageusement, toujours au service du collectif, je ronge mon frein. Car, la joie de partager ces émotions avec un groupe extraordinaire m’enrichit bien assez. D’autant que ce n’est pas fini...
Direction la dernière grosse étape, une découverte pour tout le groupe : les finales de zone. Cette saison, elles sont organisées à Plouvorn, en Bretagne. Ce dimanche d’avril, contrairement aux idées reçues, le temps est radieux. Après un réveil musculaire les pieds dans le sable, nous affrontons Noisiel. Face aux franciliennes, l’entame sera déterminante. Si nous les laissons réciter leur handball, nous ne les reverrons plus. Et même l’odeur des crêpes au caramel beurre salé venue de l’extérieur ne nous perturbe pas. Nous prenons rapidement les rênes de la partie. Surprises, nos adversaires ne semblent pas en mesure de réagir. A notre grand étonnement, nous l’emportons sans entamer notre capital physique. J’ai même le privilège de fouler quelques secondes le parquet. En fin de journée, nous avons une dernière marche à gravir. Face à Caudry, formation nordiste, ce sera presque un derby. En tout cas, une opposition entre deux équipes peu habituées aux matches à enjeu. Et, vu le nombre d’erreurs individuelles, la pression prend le dessus. Sur le tout petit score de six partout, les protagonistes rejoignent les vestiaires hantées par le doute. Une fois de plus, le discours salvateur de notre coach aura valeur d’électrochoc. Avec un tout autre visage, nous surpassons les Ch’tis qui, avec classe, reconnaitront notre supériorité au coup de sifflet final. On y est... direction Paris !
Une salle immense, un public avoisinant les six cents personnes, une présentation nominative, des journalistes, tout cela paraît irréel. Sur le terrain, contre Lyon, j’assiste de mon banc à un véritable mano à mano. Du coup d’envoi jusqu’à la fin du temps réglementaire, personne ne se détache. S’en suit l’épreuve des tirs au but. Réunies au centre du terrain, nous tremblons à chaque tir. Après cinq tireuses, le score est de trois partout. La « mort-subite » va nous départager. A chaque réussite des lyonnaises, nous répliquons. A chaque échec de leur part, nous craquons. Tout le monde a tiré, sauf moi... Aline Dutel, mon alter égo lyonnaise, vient de manquer le cadre. Il ne reste que moi. Du haut de mon mètre cinquante-six et avec mon bras gauche ballant et inerte, je m’approche du point de pénalty. « Ne bouche pas ton pied gauche, garde-le fixé au sol ». En me répétant cette phrase inlassablement, j’évacue le stress comme je peux. L’arbitre siffle, je décide de tirer à rebond en bas à droite. La gardienne anticipe de l’autre côté. C’est gagné ! Toutes les filles me sautent dessus oubliant au passage que je n’ai qu’un bras en état de marche. Asphyxiée sous le poids de tout un groupe euphorique, je n’ai jamais été aussi heureuse !