Déjà, en primaire, dans les classes de l’école communale, je m’inscrivais à toutes les activités compétitives. C’était un challenge que de vouloir sauter plus haut et quand je passai la barre d’une hauteur d’un mètre, je fus grisée par les applaudissements qui crépitèrent dans la salle de gymnastique. La note suprême que l’instituteur m’octroya, m’envoya tutoyer les étoiles. Le clou de l’action, ce fut le commentaire qu’il mit sur mon carnet : « A réussi l’exploit de passer la barre d’un mètre de hauteur » et au moment même où je me délectais de ce mot, je découvrais l’ivresse de la joie, le combat avec soi-même et l’intense tumulte de ce douloureux affrontement.
Cette aventure avait peut-être commencé depuis ce jour-là quand je voulus toujours me surpasser, savoir jusqu’où je pouvais aller. C’était toujours un défi que je voulais relever, je sautais les embûches, je ne voyais pas les obstacles, je les ignorais, il y en avait peu ou prou, je ne regardais que l’arrivée, la victoire qui conduisait au podium, où je recevais médailles et trophées.
Ce désir impérieux me projeta ainsi au milieu d’une course à vélo organisée par l’école, un challenge à remporter pour qui allait arriver le premier au poteau final où un buffet de collations nous attendait tous.
En voulant dépasser mes camarades, toujours mue par cette volonté d’aller au-delà de moi-même et ne voulant rien voir de ce qui pouvait me retarder, je ne vis pas le caillou et la roue arrière de mon vélo fit une embardée.
Je me retrouvai affalée au beau milieu du chemin devant les autres vélos qui filaient à toute allure.
Je me relevai d’un bond refusant de répondre aux mains qui voulaient me secourir. J’avais le genou crevassé, le coude égratigné mais dans mon cœur, il y avait cette hargne :
« Allez pédale, pédale, tu arriveras. Tu sais bien que Charlotte est un mollasson qui lambine, qu’Aline n’est là que pour faire bonne figure, elle doit se soucier des fleurs dans les sentiers et les autres, n’y pense pas, Kévin qui voulait aussi la victoire, eh bien il l’aura mais moi j’aurais pédalé à fond, j’aurais tout donné. Firmin lui n’avait d’yeux que pour Brigitte qui trouvait le moyen de se refaire les boucles chiffonnées par les ardeurs de la compétition. »
Je remontai facilement ceux qui déjà se fatiguaient trop vite, ils avaient poussé dès le départ ce sprint qu’il ne fallait pas faire, d’abord se remémorer les conseils du coach :
« Lentement pour commencer, pour permettre à la respiration de charger ses véritables énergies puis après, seulement après, filer avec la fureur de vaincre ! »
Mais je voyais bien que la victoire, je ne l’aurais pas cette fois car René venait de coiffer Kevin et filait dans son beau vélo, frôlait la ligne d’arrivée.
Qu’importe, je fis un suprême effort et je le suivis.
Ce furent mes amis qui crièrent mon nom « Allez, Justine, allez », l’instituteur et les autres enseignants me félicitèrent pour la démonstration de mon offensive et pour ma tentative désespérée d’arriver tout de même au podium avec une troisième place honorable. Ils me remirent la médaille et moi, postée à cette place, je me demandais ce que cela signifierait d’être debout sur la première marche. Ma curiosité n’avait pas de limites. Si René y était, pourquoi pas moi ? Et je redonnai un tour de manivelle à mes pensées de battante.
Je reçus fièrement mes différentes récompenses mais tous me dirent qu’arriver à cette place avec le genou en compote et le coude esquinté était un exploit car j’avais accompli le tour de force de reléguer ma souffrance physique au second plan pour ne me concentrer que sur ma volonté à atteindre l’objectif.
Puis il y eut les épreuves de la petite foulée de la commune. Je m’inscrivis pour montrer que je pouvais participer à des épreuves d’endurance aussi différentes les unes que les autres et que je pouvais me renouveler. Après une course marathon autour de notre quartier, à travers bois et jardins, je parvins à décrocher un trophée.
Je le plaçai sur mon bureau, je le couvais des yeux quand je faisais mes devoirs. Il servait de levier pour entretenir mon enthousiasme, il symbolisait ma force combative.
En grandissant, je faisais équipe avec mes amies dans des matchs de hand-ball et de football et nous affrontions les équipes des collèges des communes plus éloignées, je m’inscrivais à des championnats, on devenait de plus en plus addictifs et avides de nous mesurer sur un terrain pour exorciser nos intimes passions.
Je me souviens d’un match mémorable.
Deux équipes de football à se regarder dans le blanc des yeux avant le début du match. C’était le grand défi. Je me souviens de la hargne avec laquelle je retenais les buts que l’adversaire essayait en vain de ficher dans le filet. Me jetant à droite, m’affalant à l’autre bout de l’aire centrale, couchée sur le sol avec le ballon rond collé au cœur, et surtout grisée par les vivats de mon équipe, les cris exaltés du public incarné par nos parents, les hourras des supporters hurlant mon nom, « Justine, Justine, Justine ! », moi qui sauvais l’équipe chaque fois que j’attrapai et plaquai le ballon lancé par l’exterminatrice de l’autre équipe. Il fallait l’évincer, la clouer, la piétiner, je vociférai au fond de moi, c’était le désir de vaincre qui me galvanisait, mais aussi cette bouffée d’adrénaline qui montait dans le corps tout entier quand je me sentais transformée en un phénomène de héroïne de bande dessinée !
Trois fois, j’attrapai le ballon.
A la fin, je fus portée en triomphe, l’équipe eut sa médaille et un ruban aux couleurs de notre fanion. Et à mesure que se déroulaient ces activités sportives, ces compétitions, les noms des participants étaient cités, désignés, craints. Mon nom devint synonyme d’inquiétude. Ce n’était pas quelque chose qu’on devait ignorer, on savait à qui on avait affaire surtout quand je laissai éclater toute ma fougue et que se pointait mon impétuosité.
On se connaissait tous plus ou moins, la commune organisait des festivals au cours desquels nous fûmes invités. Nous étions acclamées, reconnues pour nos qualités à vivre en équipe, à nous souder, à entretenir une amitié durable.
Mais le temps passa et avec lui les empoignades confraternelles, le temps de la jeunesse fila quand le moment vint de choisir nos orientations formatrices et nos choix de vie pour entrer dans une autre sorte d’univers régi par de nouvelles promesses.
Il y eut un éclatement, chacune de nous choisit sa voie et sa formation et j’intégrai un lycée qui fédérait tous les élèves des villes voisines. Je fis partie d’un nouveau groupe d’amis, je participai à des challenges avec des groupes différents originaires des communes voisines.
Je m’inscrivis à des cours de danse et à des cours de handball. Et je me retrouvai avec des équipes adverses composées de quelques amies que je reconnus.
La rencontre eut lieu et je sentis qu’il n’y avait plus cette unité de vie et de singularité qui nous avait portés quand on était enfants, combatifs, unis et amicaux. Avec elles en face de moi, mes anciennes camarades de jeunesse, les modes de raisonnement changèrent, les chemins émotionnels se déchirèrent.
L’esprit de compétition était bien là mais on ne le portait plus avec panache. On était toujours féru de batailles mais avec un brin de philosophie dans le cœur. Les personnes que j’allais affronter avaient été mes co-équipières et j’apprenais que la vie, c’était aussi se retrouver dans des situations qui pouvaient nous amener à risquer nos propres bonheurs.
Ce fut une partie qui se termina par un match nul.
Cette aventure avait peut-être commencé depuis ce jour-là quand je voulus toujours me surpasser, savoir jusqu’où je pouvais aller. C’était toujours un défi que je voulais relever, je sautais les embûches, je ne voyais pas les obstacles, je les ignorais, il y en avait peu ou prou, je ne regardais que l’arrivée, la victoire qui conduisait au podium, où je recevais médailles et trophées.
Ce désir impérieux me projeta ainsi au milieu d’une course à vélo organisée par l’école, un challenge à remporter pour qui allait arriver le premier au poteau final où un buffet de collations nous attendait tous.
En voulant dépasser mes camarades, toujours mue par cette volonté d’aller au-delà de moi-même et ne voulant rien voir de ce qui pouvait me retarder, je ne vis pas le caillou et la roue arrière de mon vélo fit une embardée.
Je me retrouvai affalée au beau milieu du chemin devant les autres vélos qui filaient à toute allure.
Je me relevai d’un bond refusant de répondre aux mains qui voulaient me secourir. J’avais le genou crevassé, le coude égratigné mais dans mon cœur, il y avait cette hargne :
« Allez pédale, pédale, tu arriveras. Tu sais bien que Charlotte est un mollasson qui lambine, qu’Aline n’est là que pour faire bonne figure, elle doit se soucier des fleurs dans les sentiers et les autres, n’y pense pas, Kévin qui voulait aussi la victoire, eh bien il l’aura mais moi j’aurais pédalé à fond, j’aurais tout donné. Firmin lui n’avait d’yeux que pour Brigitte qui trouvait le moyen de se refaire les boucles chiffonnées par les ardeurs de la compétition. »
Je remontai facilement ceux qui déjà se fatiguaient trop vite, ils avaient poussé dès le départ ce sprint qu’il ne fallait pas faire, d’abord se remémorer les conseils du coach :
« Lentement pour commencer, pour permettre à la respiration de charger ses véritables énergies puis après, seulement après, filer avec la fureur de vaincre ! »
Mais je voyais bien que la victoire, je ne l’aurais pas cette fois car René venait de coiffer Kevin et filait dans son beau vélo, frôlait la ligne d’arrivée.
Qu’importe, je fis un suprême effort et je le suivis.
Ce furent mes amis qui crièrent mon nom « Allez, Justine, allez », l’instituteur et les autres enseignants me félicitèrent pour la démonstration de mon offensive et pour ma tentative désespérée d’arriver tout de même au podium avec une troisième place honorable. Ils me remirent la médaille et moi, postée à cette place, je me demandais ce que cela signifierait d’être debout sur la première marche. Ma curiosité n’avait pas de limites. Si René y était, pourquoi pas moi ? Et je redonnai un tour de manivelle à mes pensées de battante.
Je reçus fièrement mes différentes récompenses mais tous me dirent qu’arriver à cette place avec le genou en compote et le coude esquinté était un exploit car j’avais accompli le tour de force de reléguer ma souffrance physique au second plan pour ne me concentrer que sur ma volonté à atteindre l’objectif.
Puis il y eut les épreuves de la petite foulée de la commune. Je m’inscrivis pour montrer que je pouvais participer à des épreuves d’endurance aussi différentes les unes que les autres et que je pouvais me renouveler. Après une course marathon autour de notre quartier, à travers bois et jardins, je parvins à décrocher un trophée.
Je le plaçai sur mon bureau, je le couvais des yeux quand je faisais mes devoirs. Il servait de levier pour entretenir mon enthousiasme, il symbolisait ma force combative.
En grandissant, je faisais équipe avec mes amies dans des matchs de hand-ball et de football et nous affrontions les équipes des collèges des communes plus éloignées, je m’inscrivais à des championnats, on devenait de plus en plus addictifs et avides de nous mesurer sur un terrain pour exorciser nos intimes passions.
Je me souviens d’un match mémorable.
Deux équipes de football à se regarder dans le blanc des yeux avant le début du match. C’était le grand défi. Je me souviens de la hargne avec laquelle je retenais les buts que l’adversaire essayait en vain de ficher dans le filet. Me jetant à droite, m’affalant à l’autre bout de l’aire centrale, couchée sur le sol avec le ballon rond collé au cœur, et surtout grisée par les vivats de mon équipe, les cris exaltés du public incarné par nos parents, les hourras des supporters hurlant mon nom, « Justine, Justine, Justine ! », moi qui sauvais l’équipe chaque fois que j’attrapai et plaquai le ballon lancé par l’exterminatrice de l’autre équipe. Il fallait l’évincer, la clouer, la piétiner, je vociférai au fond de moi, c’était le désir de vaincre qui me galvanisait, mais aussi cette bouffée d’adrénaline qui montait dans le corps tout entier quand je me sentais transformée en un phénomène de héroïne de bande dessinée !
Trois fois, j’attrapai le ballon.
A la fin, je fus portée en triomphe, l’équipe eut sa médaille et un ruban aux couleurs de notre fanion. Et à mesure que se déroulaient ces activités sportives, ces compétitions, les noms des participants étaient cités, désignés, craints. Mon nom devint synonyme d’inquiétude. Ce n’était pas quelque chose qu’on devait ignorer, on savait à qui on avait affaire surtout quand je laissai éclater toute ma fougue et que se pointait mon impétuosité.
On se connaissait tous plus ou moins, la commune organisait des festivals au cours desquels nous fûmes invités. Nous étions acclamées, reconnues pour nos qualités à vivre en équipe, à nous souder, à entretenir une amitié durable.
Mais le temps passa et avec lui les empoignades confraternelles, le temps de la jeunesse fila quand le moment vint de choisir nos orientations formatrices et nos choix de vie pour entrer dans une autre sorte d’univers régi par de nouvelles promesses.
Il y eut un éclatement, chacune de nous choisit sa voie et sa formation et j’intégrai un lycée qui fédérait tous les élèves des villes voisines. Je fis partie d’un nouveau groupe d’amis, je participai à des challenges avec des groupes différents originaires des communes voisines.
Je m’inscrivis à des cours de danse et à des cours de handball. Et je me retrouvai avec des équipes adverses composées de quelques amies que je reconnus.
La rencontre eut lieu et je sentis qu’il n’y avait plus cette unité de vie et de singularité qui nous avait portés quand on était enfants, combatifs, unis et amicaux. Avec elles en face de moi, mes anciennes camarades de jeunesse, les modes de raisonnement changèrent, les chemins émotionnels se déchirèrent.
L’esprit de compétition était bien là mais on ne le portait plus avec panache. On était toujours féru de batailles mais avec un brin de philosophie dans le cœur. Les personnes que j’allais affronter avaient été mes co-équipières et j’apprenais que la vie, c’était aussi se retrouver dans des situations qui pouvaient nous amener à risquer nos propres bonheurs.
Ce fut une partie qui se termina par un match nul.