Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections
Nouvelles - Littérature Générale
De l'autre côté, je n'avais jamais eu le droit d'y aller. Aussi je restai un long moment à regarder cette lourde porte en bois que je connaissais par cœur. Mes doigts se rappelaient ses irrégularités, mon odorat se souvenait de son parfum de vernis. Elle n'avait pas changé, mais moi j'avais grandi.
Et pourtant devant elle, je me sentais à nouveau tout petit. Il me semblait entendre mon grand-père qui me disait d'une voix chargée de mystère : « Eliott, tu ne dois jamais ouvrir cette porte, c'est un secret qui n'appartient qu'à moi ! » Son regard alors pétillait et je sentais les flammes de la curiosité me dévorer. J'étais aujourd'hui surpris de constater qu'elles brûlaient encore. Surpris que le chagrin et les larmes, engendrés par la perte de mon aïeul, ne les aient pas éteintes.
La maison m'appartenait à présent. Et j'avais choisi : ce secret, si chèrement gardé jusqu'à maintenant, n'allait pas suivre mon ancêtre dans sa tombe. Je me sentais prêt. Je prenais simplement mon temps. Les souvenirs, doucement, revenaient. Ils arrivaient timidement sur la pointe des pieds et soudain, ils étaient là, intacts. Vivants.
Je me revoyais assis devant cette porte. Qu'y avait-il donc derrière ?
Un courant d'air qui s'échappait par les interstices m'avait évoqué une tempête de sable. J'imaginais le désert, les berbères qui le traversaient, les dromadaires qui marchaient péniblement dans le sable.
Je croyais parfois entendre le glouglou régulier d'une rivière, à moins que cela ne soit la houle d'un quelconque océan. Flibustiers et monstres marins envahissaient alors mes pensées et mes jeux, pendant des heures.
À d'autres moments, le silence m'obligeait à m'approcher au plus près et je pensais sentir des fragrances florales inconnues. Nul doute n'était possible : il y avait un magnifique jardin, que dis-je, une véritable jungle, cachée dans cette pièce.
Il m'était même arrivé d'y entendre des animaux. Un chien, un chat, plusieurs poules ou encore une grenouille. S'agissait-il d'une ferme, d'une ménagerie, ou peut-être d'un zoo ?
Je n'avais jamais eu le droit d'y aller, mais j'en avais toujours rêvé. Il était temps désormais. Je fermai les yeux, pris une grande inspiration, posai la main sur la vieille clenche et l'ouvrit lentement. La porte grinça et enfin je pus voir.
Le néant. La pièce était minuscule, à peine éclairée par une petite fenêtre qui donnait presque directement sur le mur de la grange des voisins. La tapisserie à grosses fleurs était complètement passée et n'avait a priori pas été refaite depuis des dizaines d'années. Le parquet craquait mais était en plutôt bon état, bien que l'on puisse y observer d'étranges rainures, comme de petites griffures. Un robinet à l'ancienne sortait du mur mais ne débouchait sur aucun évier, pas même une bassine. Au milieu trônait simplement une chaise en bois, grossièrement taillée et qui semblait un peu bancale. Je m'en approchai et m'y laissai tomber, profondément troublé. Il n'y avait donc rien dans le lieu où tout était possible ?
À moins que mon grand-père n'ait tout vidé avant sa mort ? J'essayai d'imaginer l'endroit avec des meubles. Mais il n'y avait aucune trace sur les murs et une fine pellicule de poussière recouvrait uniformément la tapisserie. Non, je devais me rendre à l'évidence : la pièce était vide depuis bien longtemps. Elle avait sans doute toujours été ainsi. D'ailleurs, à l'instar des murs, le parquet aussi était légèrement blanchi par le temps, sauf à l'endroit précis où reposaient trois des quatre pieds de la chaise.
Aussitôt après ce constat, me revinrent en mémoire les sourires complices entre mon grand-père et ma grand-mère et leurs airs de conspirateurs lorsque, enfant, je tentais d'en savoir plus. Était-ce cela ? Ce secret n'était-il finalement là que pour aider mon imagination à s'épanouir et moi à grandir ? J'imaginai mon grand-père se réjouir de me voir me transformer en pirate simplement parce qu'il avait ouvert ce robinet et je devinai ma grand-mère ravie que je l'interroge sur les déserts parce que la fenêtre avait été ouverte. Elle pouvait très bien avoir, un jour, choisi des fleurs exotiques aux senteurs incroyables pour les placer juste derrière la porte et que je les sente en imaginant une forêt luxuriante. Mon grand-père aurait été capable d'emprunter des animaux aux fermiers du coin pour les enfermer quelques heures ici, juste le temps suffisant pour que je sois intrigué une semaine entière.
Ce n'était là que des hypothèses, et à peine les avais-je formulées que d'autres naissaient et assaillaient mon esprit par vagues. Je songeai en un éclair à Tobias, mon propre fils, dont l'imagination était toujours prête à décoller, et poussai un soupir apaisé. L'enfant que j'avais été souriait au fond de moi, pleinement satisfait, et je me sentais soudain le cœur léger et intimement heureux : le mystère restait entier, tout était possible et j'avais eu bien tort de penser que mon grand-père lâcherait ce secret en passant de l'autre côté.
Et pourtant devant elle, je me sentais à nouveau tout petit. Il me semblait entendre mon grand-père qui me disait d'une voix chargée de mystère : « Eliott, tu ne dois jamais ouvrir cette porte, c'est un secret qui n'appartient qu'à moi ! » Son regard alors pétillait et je sentais les flammes de la curiosité me dévorer. J'étais aujourd'hui surpris de constater qu'elles brûlaient encore. Surpris que le chagrin et les larmes, engendrés par la perte de mon aïeul, ne les aient pas éteintes.
La maison m'appartenait à présent. Et j'avais choisi : ce secret, si chèrement gardé jusqu'à maintenant, n'allait pas suivre mon ancêtre dans sa tombe. Je me sentais prêt. Je prenais simplement mon temps. Les souvenirs, doucement, revenaient. Ils arrivaient timidement sur la pointe des pieds et soudain, ils étaient là, intacts. Vivants.
Je me revoyais assis devant cette porte. Qu'y avait-il donc derrière ?
Un courant d'air qui s'échappait par les interstices m'avait évoqué une tempête de sable. J'imaginais le désert, les berbères qui le traversaient, les dromadaires qui marchaient péniblement dans le sable.
Je croyais parfois entendre le glouglou régulier d'une rivière, à moins que cela ne soit la houle d'un quelconque océan. Flibustiers et monstres marins envahissaient alors mes pensées et mes jeux, pendant des heures.
À d'autres moments, le silence m'obligeait à m'approcher au plus près et je pensais sentir des fragrances florales inconnues. Nul doute n'était possible : il y avait un magnifique jardin, que dis-je, une véritable jungle, cachée dans cette pièce.
Il m'était même arrivé d'y entendre des animaux. Un chien, un chat, plusieurs poules ou encore une grenouille. S'agissait-il d'une ferme, d'une ménagerie, ou peut-être d'un zoo ?
Je n'avais jamais eu le droit d'y aller, mais j'en avais toujours rêvé. Il était temps désormais. Je fermai les yeux, pris une grande inspiration, posai la main sur la vieille clenche et l'ouvrit lentement. La porte grinça et enfin je pus voir.
Le néant. La pièce était minuscule, à peine éclairée par une petite fenêtre qui donnait presque directement sur le mur de la grange des voisins. La tapisserie à grosses fleurs était complètement passée et n'avait a priori pas été refaite depuis des dizaines d'années. Le parquet craquait mais était en plutôt bon état, bien que l'on puisse y observer d'étranges rainures, comme de petites griffures. Un robinet à l'ancienne sortait du mur mais ne débouchait sur aucun évier, pas même une bassine. Au milieu trônait simplement une chaise en bois, grossièrement taillée et qui semblait un peu bancale. Je m'en approchai et m'y laissai tomber, profondément troublé. Il n'y avait donc rien dans le lieu où tout était possible ?
À moins que mon grand-père n'ait tout vidé avant sa mort ? J'essayai d'imaginer l'endroit avec des meubles. Mais il n'y avait aucune trace sur les murs et une fine pellicule de poussière recouvrait uniformément la tapisserie. Non, je devais me rendre à l'évidence : la pièce était vide depuis bien longtemps. Elle avait sans doute toujours été ainsi. D'ailleurs, à l'instar des murs, le parquet aussi était légèrement blanchi par le temps, sauf à l'endroit précis où reposaient trois des quatre pieds de la chaise.
Aussitôt après ce constat, me revinrent en mémoire les sourires complices entre mon grand-père et ma grand-mère et leurs airs de conspirateurs lorsque, enfant, je tentais d'en savoir plus. Était-ce cela ? Ce secret n'était-il finalement là que pour aider mon imagination à s'épanouir et moi à grandir ? J'imaginai mon grand-père se réjouir de me voir me transformer en pirate simplement parce qu'il avait ouvert ce robinet et je devinai ma grand-mère ravie que je l'interroge sur les déserts parce que la fenêtre avait été ouverte. Elle pouvait très bien avoir, un jour, choisi des fleurs exotiques aux senteurs incroyables pour les placer juste derrière la porte et que je les sente en imaginant une forêt luxuriante. Mon grand-père aurait été capable d'emprunter des animaux aux fermiers du coin pour les enfermer quelques heures ici, juste le temps suffisant pour que je sois intrigué une semaine entière.
Ce n'était là que des hypothèses, et à peine les avais-je formulées que d'autres naissaient et assaillaient mon esprit par vagues. Je songeai en un éclair à Tobias, mon propre fils, dont l'imagination était toujours prête à décoller, et poussai un soupir apaisé. L'enfant que j'avais été souriait au fond de moi, pleinement satisfait, et je me sentais soudain le cœur léger et intimement heureux : le mystère restait entier, tout était possible et j'avais eu bien tort de penser que mon grand-père lâcherait ce secret en passant de l'autre côté.
© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation