Toute histoire commence un jour, quelque part ; depuis ma tendre enfance, je rêvais toujours de devenir un psy. Je pense que ce sont les circonstances et les événements accablant que je vivais quotidiennement qui me forçais à penser ainsi. Je voulais comprendre le monde, les gens, au-delà de ce que l’on imagine. Je raffolais ainsi toujours les bouquins et les films qui touchaient ce domaine. C’est peut-être cela qui a changé ma manière d’appréhender le monde.
Je me sentais impuissant, incapable de me dresser sur la table qui se trouvait dans cette chambre, Seul le mur blanc de la chambre où je me trouvais pour la première fois me consolait en me montrant le miroir et le revers de la vie, le reflet de tout mon parcours et comment je suis arrivé là où je me trouvais. Lui seul m’encourageait à mettre sur papier mes sentiments et surtout ces situations cauchemardesques que j’avais vécu. J’avais l’impression d’être dans un rêve profond. En une fraction de minute tout le parcours que j’avais fait durant mon existence défilait dans ma tête. Je me sentais autrement, je ne savais pas ce qui m’arrivais. Une lampe à trois ampoules, reflétait mon ombre, mon image sur la table à travers laquelle je rassemblais les idées et les points important de mon existence. Ces idées se trouvaient en moi depuis ma naissance. Peut-être que je suis le produit de ces idées.
Pour une conversation bien civilisée, j’assume pleinement que je dois avoir l’amabilité de me présenter. Il est fort probable et évident que je sois née un 22 dans le département du Djerem. C’est aussi le premier lieu de service de mon père. Je me nomme « Bienvenu ». Les raisons pour lesquelles mes parents me l’ont attribué me sont vraiment méconnues. Peut-être ils voulaient me souhaiter la bienvenue dans ce monde plein de surprise. Ce monde dont tout le monde rêve ou encore ce monde plein de souffrance, de misère et d’injustice où on pense que tout a été préétabli et qu’on doit juste suivre nos traces. Je n’ai sans doute aucune raison de me plaindre de ce nom, d’ailleurs personne ne peut s’octroyer un nom à sa naissance, mais il est nécessaire voire impératif de se questionner sur ce que ce nom peut avoir comme influence dans notre vie. Donc, tout part de la dénomination. Il est nécessaire de connaître cette date, le 22 mai. Jour et mois de l’année où l’écrivain Français Victor Hugo dont la puissance créatrice et le talent se sont étendus au-dessus de tous les écrivains de sa génération. Ce qui me touche de plus près, c’est le jour où mes parents et confrères de la Martinique se libéraient enfin de la méchanceté incarnée de l’être humain pour devenir officiellement libres. Il est bien vrai que ces événements se sont tous déroulés un 22 mai. Cela pourrait être un fait du hasard mais la question que je me pose est celle de savoir le sens de ces évènements pour moi qui suis né le même jour. Le point décisif, c’est qu’il est avant tout primordial de prendre conscience de soi et de son moi. Comme une sagesse chinoise disait « connaître les autres c’est faire preuve de sagesse, mais se connaître c’est faire preuve de sagesse suprême ».
Comme tout enfant, les souvenirs de mon enfance deviennent plus nets et clairs à partir de ma troisième année de vie. On vivait dans une maison de quatre chambres avec un grand salon, une cuisine, un poulailler et un grand enclos se trouvait à l’extérieur. Par le biais de ma mère, à trois ans, je connaissais parfaitement les 26 lettres de l’alphabet. À quatre ans je lisais correctement au point où mon père et moi on se disputait parfois le journal agricole « Le paysan ».
Il y a souvent certains aspects de la vie qui sont très imprévisibles. Je ne sais pas comment les humains auraient réagi s’ils avaient la possibilité de prendre conscience de tout ce qui pouvait leurs arriver dans un futur proche ou lointain. Tout semble être tellement imprévisible. Un faux départ change la donne de toute une histoire, de toute une vie. La voie de tout un chacun est-elle tracée ? Ou alors nous-mêmes nous pouvons influencer les avènements et se tourner vers une nouvelle trajectoire différente de celle qui semblait être préétablie ? Dans tous les cas, il est fort probable que nous soyons souvent incapables d’éviter certaines choses. Mais je pense que notre humanisme et humanité débute et puis s’écrit selon notre conception de ces avènements, notre réaction à un tournant incontestable.
Le 18 mai de l’an 2000, une date que je ne pourrais jamais oublier, ma mère était tellement souffrante que mon père prit la décision de demander l’affectation dans notre région d’origine. C´était la première fois que je faisais un long voyage. Après deux jours de voyage, on était enfin arrivé. Tout le monde avait l’air de me connaître. J’avais de la peine à admettre que je ne maîtrisais pas ma langue maternelle car attirais l’attention de tout le monde qui se trouvait autour de moi lorsque j’essayais de m´exprimer.
Je ne comprenais pas pourquoi il y avait toujours un silence de mort lorsque grand-père était à la maison. Mes oncles se cachaient lorsqu’il arrivait à la maison. J’aurais voulu croire que c’était la règle imposée chez mon grand-père, mais rien ne justifiait leur action. J’aurais voulu poser l’une des questions à mes tontons mais juste que je connaissais déjà la réponse. Je lisais cela dans leurs yeux, je voyais la peur. Cette frayeur était perceptible par tout un chacun. Ce qui était marrant, c’est que même les animaux faisaient pareil. S'il y avait néanmoins un courageux, c’était l’âne. C’est lui qui nous servait de sonnerie car il était attaché à l’entrée de la concession et braillait toujours avec ponctualité lorsque grand-père arrivait à la maison. C’était le seul qui faisait du bruit dans la maison et son signal était devenu un effet automatique. J’étais surpris et étonné, je trouvais cela très remarquable. Pour moi, cela était fabuleux et fastidieux, j´étais prêts à lui demander comment il faisait pour ne jamais oublier ou se tromper, mais hélas les ânes ne parlent que dans les contes.
Tout commença ce soir-là. Je réécrivais une récitation de Bernard Dadier qui se retrouvait derrière un livre. Plaquer ce poème au tableau me permettait d’apprendre à bien écrire et retenir l’orthographe des mots. Ce poème dont le titre était « village natale » avait retenu mon attention. Il m’avait tellement accablé que je voulais le retenir à tout prix. J´étais loin de comprendre le contenu, encore moins le sens fondamental de ces mots. Je m’attendais à une menace venant de mon grand-père puisque tout le monde avait fui. Mon grand-père savait que j´avais des lacunes avec notre langue, il pouvait bien s´exprimer en français avec moi, mais il le faisait rarement pour des raisons que j’ignorais. Sachant que Grand-père venait vers moi, étant également assuré qu’il n’allait pas passer sans dire quelque chose, J´avais franchement peur, mes jambes tremblotaient. Il suffisait juste qu’il fasse un geste et je prenais la clé des champs.
Une voix se fit entendre :
- Ndaychonwe ?» pour dire bonsoir en Tupuri, c’était grand-père
Il s’était exprimé avec un ton tellement doux que j’ai profondément respiré avant de répondre. Je ne m’étais pas retourné pour le voir, je ne voulais pas voir quel air il avait mais sa voix m’avait quand même rassuré.
- Wurchonwe ? oui bonsoir répondis-je.
Il continua ainsi :
- Mombindo yang mboyawla ? En d’autres termes petit-fils ça va ?
- Ndi yang mbinda ? Je vais bien.
J´étais déjà maintenant rassuré que notre conversation allait prendre une bonne tournure, dans tous les cas, menaces ou punitions étaient déjà hors de mon imagination. Il continua avec la conversation
- Humm petit fils, tu connais comment on nous a envoyé à l’école ?
- Non-papi, répondais-je ; Il me fixa, sourit grandement. Sourire duquel on pouvait lire « si tu avais vécu cela »
-Il répliqua : « si tu es intéressé par mon histoire, viens et je vais te la raconter ». Il étala une grande natte et me fit signe de m´asseoir.
- Pour nous inscrire à l´école, commença-t-il à dire, on était obligé de nous pourchasser comme des gibiers. Nos mères s’opposant à cette idée, nous couvraient comme des mères poules qui cachent leurs poussins et fuyaient parfois avec nous en brousse. Juste parce qu´on ne connaissait pas l’importance de l´école. Mais aujourd’hui on sait que l´école est très utile. Malgré cela d’autres passent leur temps à s’amuser, que c’est paradoxal. Il n’avait pas tort, puisque mes oncles étaient franchement terribles. Peut-être c’est pour cette raison qu´il était si sévère avec eux.
Pendant ces grandes vacances tout était ennuyant au point où même les aventures fabuleuses que je vivais n’enlevaient pas la nostalgie que j’avais de voir mes parents. Mon grand-père informa mon père qui ne tarda de venir. Pendant le voyage, la lumière qui resplendissait dans toute la ville, le vacarme des voitures et les vibrations sonores de la ville me convint instinctivement qu’on était déjà arrivé. A peine posé les pieds sur terre, les voisins et les enfants de l’entourage connaissaient déjà mon nom. La plus grande surprise c’était le fait que ma mère avait mis un autre garçon au monde. J’avais une forte conviction en ce qui concerne sa maladie, on ne devait qu’en parler dans un passé très lointain. Je me sentais de nouveau dans une famille normale dont j’étais l’aîné. Mon père m’inscrivit dans une école privée très loin du quartier. Me familiariser avec cette école n’a pas été difficile comme à Tibati. Mon voisin était devenu mon meilleur ami, il partageait toujours son gouter avec moi. Je marchais des kilomètres pour arriver à l’école. Je me demande encore si mon père connaissait les risques que je courais en faisant seul ce long chemin. Dans tous les cas, ce n’était pas ma première expérience puisqu’à l’école catholique de Tibati je faisais pratiquement le même parcours et je m’étais bien en sorti. De plus, l’école était ma plus grande passion. Je devais encore une fois de plus abandonner tous les souvenirs que je commençais à bâtir. Il n’y avait rien de plus frustrant pour un enfant de mon âge. De 2000 à 2001, j’avais pratiquement changé cinq écoles, en moyenne une chaque trimestre. Je perdais mes amis, je ne gardais rien de concret comme souvenir. Cela me déstabilisait inconsciemment. Même si cela n’est pas toujours perceptible, changer de milieu tous les trois mois avec un enfant de moins de 8 ans sans repère fixe peut fortement influencer son caractère et sa sociabilité. Le point le plus rassurant c’est que je partais dans une localité où plusieurs personnes parlaient ma langue maternelle. On arriva à Guidiguis et mon père m’inscrivit à l’école publique groupe 1 par manque d’école privée. Cette fois-ci, presque tous les enfants de mon quartier étaient inscrits dans la même école que moi. Ma mère retomba malade et cela s’aggravait encore plus. Mon père jouait à la fois le rôle de père et de mère. Mon petit frère, le dernier né, fut sevré avant six mois ce qui influença sa croissance. Parfois, les circonstances s’abattent sur une personne au point où on a l’impression qu’il n’est le bienvenu dans ce monde. Le pauvre ! Avec toutes les difficultés qu’il avait, il devait encore être opéré à cause d’une injection qui avait mal tournée. Son pied était tellement enflé qu’il faisait pitié. L’opération avait laissé un trou profond. Étant en convalescence et sa plaie étant cicatrisée, mon père l’envoya chez notre tante, sa grande sœur pour qu’elle s’occupe de lui. Mon père s’occupait tellement bien de nous qu’on voulait qu’il soit ainsi pour un bout de temps, du moins pendant le début de cette période pénible que nous traversions. Se sentant très épuisé et seul, mon père sauta sur la première occasion qui se présenta. Pour lui, prendre une nouvelle femme était la seule solution envisageable. Il prit la décision de faire venir une femme célibataire qui avait elle aussi un enfant. L’arrivée de cette femme à la maison annonçait le début d’une misère inespérée. Elle nous imposa un rythme de vie très dur. Dorénavant, on avait droit qu’à un repas par jour. Elle préparait une fois par jour et on n’avait pas accès à la cuisine qui restait fermée toute la journée. Les débuts avaient été tellement durs pour nous qu’on pensait être dans une apocalypse.
La maison où notre benjamin résidait n’était pas très loin de la nôtre, elle était située juste à quelques mètres. Apparemment, il avait remarqué la maison au point où un jour il décida de prendre le chemin seul à quatre pattes pour venir à la maison. Les gens l’ayant aussitôt reconnu, l’avait conduit à la maison ; et mon père décida de le laisser parmi nous. Je ne comprenais pas vraiment la raison qui le poussait à faire toute cette distance. Même si l’amour qu’on éprouvait à son égard était immense, est-ce qu’il connaissait du moins le tourment qu’on endurait ? On mangeait une seule fois par jour, est-ce qu’il était prêt à supporter cela ? Puisque les enfants de son âge doivent constamment être nourris. Comme cela ne devait pas être surprenant ! Il avait vraiment de la peine à s’adapter à notre nouveau mode de vie. Il n’était pas traité différemment de nous. Cela faisait vraiment pitié et on avait de la peine pour lui. Je me souviens encore des fois où il prenait des épis de fonio pour enlever les graines comme un petit poussin qui apprend à picorer. Au début, il ne le faisait pas bien mais après plusieurs tentatives, il le faisait vraiment bien. C’était pour lui l’une des manières de combattre la famine. Je me demandais si mon père savait qu’on souffrait, s’il était au courant de ce qu’on endurait et l’impact que cela pouvait avoir dans notre vie. Peut-être que c’était sa seule façon de nous montrer comment le monde pouvais être injuste, comment on peut tout perdre en une fraction de seconde et se retrouver dans la misère. La seule manière de nous libérer de ce calvaire c’était peut-être de commencer par croire en nous-mêmes et non en qui que ce soit. On devait faire comme s’il n’existait pas. Si en une journée on avait perdu notre mère, perdre notre père également sans prémonition ne pouvais être une surprise. À un certain moment, mon père voyait déjà que le fait de cuisiner une fois par jour était anormal et très pénible. Les fois où il avait essayé de ramener son épouse à la raison, elle disait ouvertement qu’elle n’était une domestique.
Notre benjamin appris à marcher dans ces circonstances. Je me souviens encore très bien des fois où mon père exerçait la marche avec lui à base d’un bâton qu’il avait bien taillée. Je me souviens encore des fois où il tombait. Il avait déjà appris à parler correctement également. Si notre benjamin qui avait à peine un an avait tenu le coup, appris à marcher et à parler dans ce tourment, je pense que rien de pire ne pouvais nous arriver. On pouvait certes souffrir mais succombé était loin de notre l’imagination. Le seul avantage pour nous était de mieux canaliser ces expériences de notre existence sur une bonne voie.
Je me sentais impuissant, incapable de me dresser sur la table qui se trouvait dans cette chambre, Seul le mur blanc de la chambre où je me trouvais pour la première fois me consolait en me montrant le miroir et le revers de la vie, le reflet de tout mon parcours et comment je suis arrivé là où je me trouvais. Lui seul m’encourageait à mettre sur papier mes sentiments et surtout ces situations cauchemardesques que j’avais vécu. J’avais l’impression d’être dans un rêve profond. En une fraction de minute tout le parcours que j’avais fait durant mon existence défilait dans ma tête. Je me sentais autrement, je ne savais pas ce qui m’arrivais. Une lampe à trois ampoules, reflétait mon ombre, mon image sur la table à travers laquelle je rassemblais les idées et les points important de mon existence. Ces idées se trouvaient en moi depuis ma naissance. Peut-être que je suis le produit de ces idées.
Pour une conversation bien civilisée, j’assume pleinement que je dois avoir l’amabilité de me présenter. Il est fort probable et évident que je sois née un 22 dans le département du Djerem. C’est aussi le premier lieu de service de mon père. Je me nomme « Bienvenu ». Les raisons pour lesquelles mes parents me l’ont attribué me sont vraiment méconnues. Peut-être ils voulaient me souhaiter la bienvenue dans ce monde plein de surprise. Ce monde dont tout le monde rêve ou encore ce monde plein de souffrance, de misère et d’injustice où on pense que tout a été préétabli et qu’on doit juste suivre nos traces. Je n’ai sans doute aucune raison de me plaindre de ce nom, d’ailleurs personne ne peut s’octroyer un nom à sa naissance, mais il est nécessaire voire impératif de se questionner sur ce que ce nom peut avoir comme influence dans notre vie. Donc, tout part de la dénomination. Il est nécessaire de connaître cette date, le 22 mai. Jour et mois de l’année où l’écrivain Français Victor Hugo dont la puissance créatrice et le talent se sont étendus au-dessus de tous les écrivains de sa génération. Ce qui me touche de plus près, c’est le jour où mes parents et confrères de la Martinique se libéraient enfin de la méchanceté incarnée de l’être humain pour devenir officiellement libres. Il est bien vrai que ces événements se sont tous déroulés un 22 mai. Cela pourrait être un fait du hasard mais la question que je me pose est celle de savoir le sens de ces évènements pour moi qui suis né le même jour. Le point décisif, c’est qu’il est avant tout primordial de prendre conscience de soi et de son moi. Comme une sagesse chinoise disait « connaître les autres c’est faire preuve de sagesse, mais se connaître c’est faire preuve de sagesse suprême ».
Comme tout enfant, les souvenirs de mon enfance deviennent plus nets et clairs à partir de ma troisième année de vie. On vivait dans une maison de quatre chambres avec un grand salon, une cuisine, un poulailler et un grand enclos se trouvait à l’extérieur. Par le biais de ma mère, à trois ans, je connaissais parfaitement les 26 lettres de l’alphabet. À quatre ans je lisais correctement au point où mon père et moi on se disputait parfois le journal agricole « Le paysan ».
Il y a souvent certains aspects de la vie qui sont très imprévisibles. Je ne sais pas comment les humains auraient réagi s’ils avaient la possibilité de prendre conscience de tout ce qui pouvait leurs arriver dans un futur proche ou lointain. Tout semble être tellement imprévisible. Un faux départ change la donne de toute une histoire, de toute une vie. La voie de tout un chacun est-elle tracée ? Ou alors nous-mêmes nous pouvons influencer les avènements et se tourner vers une nouvelle trajectoire différente de celle qui semblait être préétablie ? Dans tous les cas, il est fort probable que nous soyons souvent incapables d’éviter certaines choses. Mais je pense que notre humanisme et humanité débute et puis s’écrit selon notre conception de ces avènements, notre réaction à un tournant incontestable.
Le 18 mai de l’an 2000, une date que je ne pourrais jamais oublier, ma mère était tellement souffrante que mon père prit la décision de demander l’affectation dans notre région d’origine. C´était la première fois que je faisais un long voyage. Après deux jours de voyage, on était enfin arrivé. Tout le monde avait l’air de me connaître. J’avais de la peine à admettre que je ne maîtrisais pas ma langue maternelle car attirais l’attention de tout le monde qui se trouvait autour de moi lorsque j’essayais de m´exprimer.
Je ne comprenais pas pourquoi il y avait toujours un silence de mort lorsque grand-père était à la maison. Mes oncles se cachaient lorsqu’il arrivait à la maison. J’aurais voulu croire que c’était la règle imposée chez mon grand-père, mais rien ne justifiait leur action. J’aurais voulu poser l’une des questions à mes tontons mais juste que je connaissais déjà la réponse. Je lisais cela dans leurs yeux, je voyais la peur. Cette frayeur était perceptible par tout un chacun. Ce qui était marrant, c’est que même les animaux faisaient pareil. S'il y avait néanmoins un courageux, c’était l’âne. C’est lui qui nous servait de sonnerie car il était attaché à l’entrée de la concession et braillait toujours avec ponctualité lorsque grand-père arrivait à la maison. C’était le seul qui faisait du bruit dans la maison et son signal était devenu un effet automatique. J’étais surpris et étonné, je trouvais cela très remarquable. Pour moi, cela était fabuleux et fastidieux, j´étais prêts à lui demander comment il faisait pour ne jamais oublier ou se tromper, mais hélas les ânes ne parlent que dans les contes.
Tout commença ce soir-là. Je réécrivais une récitation de Bernard Dadier qui se retrouvait derrière un livre. Plaquer ce poème au tableau me permettait d’apprendre à bien écrire et retenir l’orthographe des mots. Ce poème dont le titre était « village natale » avait retenu mon attention. Il m’avait tellement accablé que je voulais le retenir à tout prix. J´étais loin de comprendre le contenu, encore moins le sens fondamental de ces mots. Je m’attendais à une menace venant de mon grand-père puisque tout le monde avait fui. Mon grand-père savait que j´avais des lacunes avec notre langue, il pouvait bien s´exprimer en français avec moi, mais il le faisait rarement pour des raisons que j’ignorais. Sachant que Grand-père venait vers moi, étant également assuré qu’il n’allait pas passer sans dire quelque chose, J´avais franchement peur, mes jambes tremblotaient. Il suffisait juste qu’il fasse un geste et je prenais la clé des champs.
Une voix se fit entendre :
- Ndaychonwe ?» pour dire bonsoir en Tupuri, c’était grand-père
Il s’était exprimé avec un ton tellement doux que j’ai profondément respiré avant de répondre. Je ne m’étais pas retourné pour le voir, je ne voulais pas voir quel air il avait mais sa voix m’avait quand même rassuré.
- Wurchonwe ? oui bonsoir répondis-je.
Il continua ainsi :
- Mombindo yang mboyawla ? En d’autres termes petit-fils ça va ?
- Ndi yang mbinda ? Je vais bien.
J´étais déjà maintenant rassuré que notre conversation allait prendre une bonne tournure, dans tous les cas, menaces ou punitions étaient déjà hors de mon imagination. Il continua avec la conversation
- Humm petit fils, tu connais comment on nous a envoyé à l’école ?
- Non-papi, répondais-je ; Il me fixa, sourit grandement. Sourire duquel on pouvait lire « si tu avais vécu cela »
-Il répliqua : « si tu es intéressé par mon histoire, viens et je vais te la raconter ». Il étala une grande natte et me fit signe de m´asseoir.
- Pour nous inscrire à l´école, commença-t-il à dire, on était obligé de nous pourchasser comme des gibiers. Nos mères s’opposant à cette idée, nous couvraient comme des mères poules qui cachent leurs poussins et fuyaient parfois avec nous en brousse. Juste parce qu´on ne connaissait pas l’importance de l´école. Mais aujourd’hui on sait que l´école est très utile. Malgré cela d’autres passent leur temps à s’amuser, que c’est paradoxal. Il n’avait pas tort, puisque mes oncles étaient franchement terribles. Peut-être c’est pour cette raison qu´il était si sévère avec eux.
Pendant ces grandes vacances tout était ennuyant au point où même les aventures fabuleuses que je vivais n’enlevaient pas la nostalgie que j’avais de voir mes parents. Mon grand-père informa mon père qui ne tarda de venir. Pendant le voyage, la lumière qui resplendissait dans toute la ville, le vacarme des voitures et les vibrations sonores de la ville me convint instinctivement qu’on était déjà arrivé. A peine posé les pieds sur terre, les voisins et les enfants de l’entourage connaissaient déjà mon nom. La plus grande surprise c’était le fait que ma mère avait mis un autre garçon au monde. J’avais une forte conviction en ce qui concerne sa maladie, on ne devait qu’en parler dans un passé très lointain. Je me sentais de nouveau dans une famille normale dont j’étais l’aîné. Mon père m’inscrivit dans une école privée très loin du quartier. Me familiariser avec cette école n’a pas été difficile comme à Tibati. Mon voisin était devenu mon meilleur ami, il partageait toujours son gouter avec moi. Je marchais des kilomètres pour arriver à l’école. Je me demande encore si mon père connaissait les risques que je courais en faisant seul ce long chemin. Dans tous les cas, ce n’était pas ma première expérience puisqu’à l’école catholique de Tibati je faisais pratiquement le même parcours et je m’étais bien en sorti. De plus, l’école était ma plus grande passion. Je devais encore une fois de plus abandonner tous les souvenirs que je commençais à bâtir. Il n’y avait rien de plus frustrant pour un enfant de mon âge. De 2000 à 2001, j’avais pratiquement changé cinq écoles, en moyenne une chaque trimestre. Je perdais mes amis, je ne gardais rien de concret comme souvenir. Cela me déstabilisait inconsciemment. Même si cela n’est pas toujours perceptible, changer de milieu tous les trois mois avec un enfant de moins de 8 ans sans repère fixe peut fortement influencer son caractère et sa sociabilité. Le point le plus rassurant c’est que je partais dans une localité où plusieurs personnes parlaient ma langue maternelle. On arriva à Guidiguis et mon père m’inscrivit à l’école publique groupe 1 par manque d’école privée. Cette fois-ci, presque tous les enfants de mon quartier étaient inscrits dans la même école que moi. Ma mère retomba malade et cela s’aggravait encore plus. Mon père jouait à la fois le rôle de père et de mère. Mon petit frère, le dernier né, fut sevré avant six mois ce qui influença sa croissance. Parfois, les circonstances s’abattent sur une personne au point où on a l’impression qu’il n’est le bienvenu dans ce monde. Le pauvre ! Avec toutes les difficultés qu’il avait, il devait encore être opéré à cause d’une injection qui avait mal tournée. Son pied était tellement enflé qu’il faisait pitié. L’opération avait laissé un trou profond. Étant en convalescence et sa plaie étant cicatrisée, mon père l’envoya chez notre tante, sa grande sœur pour qu’elle s’occupe de lui. Mon père s’occupait tellement bien de nous qu’on voulait qu’il soit ainsi pour un bout de temps, du moins pendant le début de cette période pénible que nous traversions. Se sentant très épuisé et seul, mon père sauta sur la première occasion qui se présenta. Pour lui, prendre une nouvelle femme était la seule solution envisageable. Il prit la décision de faire venir une femme célibataire qui avait elle aussi un enfant. L’arrivée de cette femme à la maison annonçait le début d’une misère inespérée. Elle nous imposa un rythme de vie très dur. Dorénavant, on avait droit qu’à un repas par jour. Elle préparait une fois par jour et on n’avait pas accès à la cuisine qui restait fermée toute la journée. Les débuts avaient été tellement durs pour nous qu’on pensait être dans une apocalypse.
La maison où notre benjamin résidait n’était pas très loin de la nôtre, elle était située juste à quelques mètres. Apparemment, il avait remarqué la maison au point où un jour il décida de prendre le chemin seul à quatre pattes pour venir à la maison. Les gens l’ayant aussitôt reconnu, l’avait conduit à la maison ; et mon père décida de le laisser parmi nous. Je ne comprenais pas vraiment la raison qui le poussait à faire toute cette distance. Même si l’amour qu’on éprouvait à son égard était immense, est-ce qu’il connaissait du moins le tourment qu’on endurait ? On mangeait une seule fois par jour, est-ce qu’il était prêt à supporter cela ? Puisque les enfants de son âge doivent constamment être nourris. Comme cela ne devait pas être surprenant ! Il avait vraiment de la peine à s’adapter à notre nouveau mode de vie. Il n’était pas traité différemment de nous. Cela faisait vraiment pitié et on avait de la peine pour lui. Je me souviens encore des fois où il prenait des épis de fonio pour enlever les graines comme un petit poussin qui apprend à picorer. Au début, il ne le faisait pas bien mais après plusieurs tentatives, il le faisait vraiment bien. C’était pour lui l’une des manières de combattre la famine. Je me demandais si mon père savait qu’on souffrait, s’il était au courant de ce qu’on endurait et l’impact que cela pouvait avoir dans notre vie. Peut-être que c’était sa seule façon de nous montrer comment le monde pouvais être injuste, comment on peut tout perdre en une fraction de seconde et se retrouver dans la misère. La seule manière de nous libérer de ce calvaire c’était peut-être de commencer par croire en nous-mêmes et non en qui que ce soit. On devait faire comme s’il n’existait pas. Si en une journée on avait perdu notre mère, perdre notre père également sans prémonition ne pouvais être une surprise. À un certain moment, mon père voyait déjà que le fait de cuisiner une fois par jour était anormal et très pénible. Les fois où il avait essayé de ramener son épouse à la raison, elle disait ouvertement qu’elle n’était une domestique.
Notre benjamin appris à marcher dans ces circonstances. Je me souviens encore très bien des fois où mon père exerçait la marche avec lui à base d’un bâton qu’il avait bien taillée. Je me souviens encore des fois où il tombait. Il avait déjà appris à parler correctement également. Si notre benjamin qui avait à peine un an avait tenu le coup, appris à marcher et à parler dans ce tourment, je pense que rien de pire ne pouvais nous arriver. On pouvait certes souffrir mais succombé était loin de notre l’imagination. Le seul avantage pour nous était de mieux canaliser ces expériences de notre existence sur une bonne voie.