La mouche était morte sur le dos

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La mouche était morte sur le dos. C'était une affirmation irréfutable. Asma en était maintenant certaine. Cela faisait quand même quinze minutes qu'elle l'observait et elle en avait tiré deux conclusions :
1) La mouche était bel et bien morte, puisqu'elle n'avait pas bougé d'un millimètre en un quart d'heure.
2) Elle était morte sur le dos, puisque ses six pattes poilues pointaient vers le plafond de la salle de bain.
Ce qu'Asma se demandait maintenant, c'était comment la mouche était morte, et pourquoi sur le dos. 
Elle rangea sa brosse à dents qu'elle avait gardée en main depuis que son mouvement avait été avorté en apercevant la mouche sur le bord de l'évier. Elle se pencha un peu plus vers le cadavre. 
En regardant de plus près, Asma se rendit compte qu'une des pattes de l'insecte était brisée. Peut-être que cela avait un lien avec la cause du décès ; après tout, il ne fallait négliger aucune piste. Elle se mit donc à réfléchir à ce que cette patte cassée avait à voir avec cette mort. Peut-être que la mouche avait heurté un obstacle quelconque qui lui avait brisé un membre, et qu'après avoir effectué un rude atterrissage, elle avait succombé à la blessure. Mais dans ce cas-là, pourquoi sur le dos ? 
Non... Ça ne collait pas.
Peut-être qu'elle était passée par le velux entrouvert de la salle de bain, qu'elle était tombée nez à nez avec son frère Achille et que celui-ci avait, sans aucune pitié, tenté de l'écraser. Mais il avait manqué son coup et n'avait fait que briser une patte arrière ; la mouche, sentant sa vie toucher à sa fin, s'était étendue sur le dos pour voir une dernière fois le ciel par le velux qu'il avait eu le malheur de franchir. 
Non... ce n'était toujours pas ça. 
Pour voir le ciel, l'insecte n'aurait pas eu besoin de se mettre sur le dos, puisque, étant une mouche avec des yeux aux 140 facettes, il voyait à 360 degrés autour de lui. 
Asma se repencha vers la mouche. Elle se demanda depuis combien de temps elle était là à sécher sur le bord de l'évier. Peut-être quelques jours, quelques heures ou seulement quelques secondes... Du bout de l'ongle, elle titilla la morte. Elle était raide et sèche. Pas quelques secondes donc ; plutôt quelques jours. Cela ne l'avançait guère. Mais au moins, sa mère n'était pas dans le coup, puisqu'elle était partie faire un stage de poterie depuis une semaine. Bon, alors peut-être qu'elle avait sous les yeux une autre des nombreuses victimes de Croquette. Croquette était un chasseur né malgré sa condition de poisson. 
Après quelques secondes de réflexion, elle décida d'écarter cette hypothèse. Elle avait du mal à concevoir que Croquette ait réussi à monter les escaliers et à placer le corps de sa victime sur le bord de l'évier... Il était plutôt de petite taille et n'était pas très agile avec ses nageoires.
Asma avait la tête qui bouillonnait de pensées et elle eut soudain des vertiges. Elle s'allongea dans la baignoire. Elle aimait beaucoup cette baignoire où elle venait se réfugier quand elle voulait réfléchir ou qu'elle avait trop chaud. Elle resta étendue sur le dos, les jambes pliées à cause du manque de longueur, le regard fixé au plafond pendant quelques minutes. Quand ses idées redevinrent claires, elle sortit de la baignoire et recula de quelques pas pour avoir une vision d'ensemble de la scène. Elle avait entendu dire que prendre du recul aidait à résoudre les enquêtes. Du moins dans les séries policières. Asma fut un peu déçue quand rien d'apparent ne lui sauta aux yeux. À part un chewing-gum que son frère avait collé sur le radiateur pour « se rebeller », comme il le disait, il n'y avait rien de notable. Elle laissa échapper un petit sifflement de frustration. Décidément, cette énigme était plus ardue qu'elle en avait l'air. 
Elle se mit à faire les cent pas – ce qui se réduisit plutôt à faire cinq pas – avant de se heurter à l'étagère qui était pile au niveau de son front. Elle lâcha un petit « aïe ! » de sa voix la plus aiguë et se frotta vigoureusement le crâne. Elle n'arrivait à rien et cela la mettait en rogne. Bon sang, pourquoi n'arrivait-elle pas à résoudre la cause du décès d'une ridicule petite mouche ? 
Asma repensa à ce que son ami avait demandé l'autre jour en cours : « Madame, je vois pas l'intérêt de l'Histoire. Ça sert à quoi ? » Et à cela, Mme Platin avait répondu avec passion : « Eh bien, ça te servira à résoudre les mystères de notre société ! À connaître la grande vérité ! Car la vérité triomphe toujours ! »
Sur le coup, Asma avait été émerveillée par ce discours, mais maintenant elle ne voyait pas en quoi savoir citer tous les noms des monuments de la ville romaine lui révélerait la vérité sur la mort de la mouche.
Sa réflexion fut interrompue par le tambourinement d'Achille à la porte qui criait : « Asma ! Grouille ! Ça fait des plombes que tu es là-dedans ! »
Elle lui répondit qu'elle sortait dans deux minutes. 
Elle observa la mouche de haut. Sur l'étagère qu'elle avait heurtée se trouvait un petit pot d'eyeliner noir. Elle en prit le pinceau et entoura l'insecte d'un fin petit rectangle et en dessous dessina une vague. 
Asma décida que, finalement, la mouche n'était pas morte sur le dos.
Elle bronzait sur la plage.

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Image de La mouche était morte sur le dos
Illustration : Mathilde Ernst

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