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En cette fin d'après-midi de juillet, la chaleur écrasant la maison, nous étions restés cloîtrés derrière les volets censés nous protéger de l'étuve extérieure. Néanmoins, alors que la température intérieure se préparait inéluctablement à franchir le cap tant redouté des trente degrés, les deux fours tournaient : pintade et tarte pour le soir. Anniversaire oblige. Il fallait vraiment avoir un sens aigu de l'abnégation pour s'affairer de la sorte alors que la météo incitait plutôt à se poser, les doigts de pieds en éventail. J'aurais préféré une soirée grillades sous la pergola, mais l'orage n'allait pas tarder à éclater. Ce soir, à mon grand désespoir, nous dînerions dedans. Néanmoins osais-je espérer que nos invités consentiraient à laisser les fenêtres ouvertes. J'argumenterai... Je sais faire... Laisser rentrer la fraîcheur... mais surtout m'enivrer de la colère du ciel tambourinant sur la tonnelle.
Les mains gonflées, les jambes lourdes, je sentais la sueur dégoulinant de mes cheveux pour se noyer dans mes yeux, m'aveuglant de larmes salées que je chassais rageusement avec l'essuie-tout. J'avais terminé, enfin !
Je pris mon livre, fuyant l'enfer de la cuisine. En bas, dans mon jardin, il devait faire bon... Mais la terrasse, emprisonnée par ses murs blancs, n'était qu'une fournaise. Déjà, dans l'escalier, la touffeur commençait à déposer les armes. Le lierre, s'agrippant à la façade, cachant la laideur de sa grise uniformité, repoussait les rayons du soleil. L'air circulait, ici. Au bas des marches, je me suis coulée dans le jardin salvateur, mon oasis au milieu du désert, abrité sous les amandiers, les palmiers et les bambous. Sous le saule pleureur, mon fauteuil m'attendait.
C'était l'heure. L'heure de contempler, l'heure de communier, l'heure de s'apaiser. Les hortensias flétris souffraient mais n'allaient pas tarder à être soulagés. Les autres fleurs, fières hémérocalles, téméraires roses trémières, valérianes et gauras s'épousant langoureusement, coquelicots légers caressant les bleuets, s'épanouissaient, envahissant impunément l'enclos sous le regard discret des timides cœurs de Marie. Toutes s'accommodaient de cette canicule. Les prèles guettaient elles aussi l'arrivée de la pluie, frémissantes d'espoir, imperceptiblement courbées vers le bassin dont la fontaine s'amusait à faire croire qu'il pleuvait.
Un soupir de bonheur souleva ma poitrine. Caresse de l'absolu étrangement heurtée d'angoisse, de quelque chose d'indéfinissable certainement lié à l'éphémérité du tableau au sein duquel j'évoluais. Soupir de gratitude envers ce jardin si généreux, envers ces existences minuscules et pourtant si complexes qui avaient choisi cet endroit pour venir y nicher à l'abri de la ville si dangereusement proche. Comment fixer à jamais une telle beauté, une telle atmosphère ? Maintes fois j'aurais aimé peindre mon Giverny, me prendre pour Monet, reproduisant à l'infini les mêmes scènes, jusqu'à frôler la perfection. Mais si tel don m'avait été prodigué, il n'aurait pas suffi. Comment être capable de retranscrire tout ce que je voyais, dans les moindres détails, surtout ceux qui se cachent, ceux que l'on devine, ces petits riens qui font une vie, de fourmi ou de cigale, toute cette vie qui grouille derrière les herbes folles que je laissais vagabonder entre les pierres ? Comment suggérer le vent qui fait claquer la toile d'ombrage comme les voiles d'un navire, les battements d'ailes et les cris affamés qui trahissent les nouveaux habitants de l'immense troène ? Comment retenir les fugaces couronnes du cristal de l'eau perlant dans le bassin ? Soupir de souffrance devant tant d'impuissance. Ne pas pouvoir graver ces instants délicieux. Douloureuse frustration.
Je devinais à travers les thuyas les maisons alentour, prisons aseptisées peuplées de télévores aveugles et sourds, inconscients de la vie qui foisonne autour d'eux. Rideaux tirés et volets clos. Ils ignoraient que dehors, à cet instant précis, le bonheur flottait, aérien, vaporeux, fugace, mais pas insaisissable. Étais-je donc la seule à savoir l'atteindre ?
Je fus envahie du fol espoir de transmettre tous ces délices que mon jardin m'offrait, pour en parler, plus tard, se réfugier dans leur souvenir, puiser dans leur beauté, s'y ressourcer les jours de disette, en faire don à la postérité. C'était trop pour une seule personne ! À quoi sert le bonheur s'il n'est pas partagé ?
J'ai placé un fauteuil juste à côté du mien et j'ai repris mon livre. Alors, j'ai attendu, craignant qu'elle ne vienne pas. J'ai un peu trop tendance à être pessimiste. Trop souvent déçue, certainement... Puis je l'ai entendue descendre l'escalier. Se tenant à la rampe, discrètement penchée, elle cherchait à me voir à travers la spirée. Malicieuse, elle a ri et m'a dit en chantant :
— Ah ah ! Je savais bien que tu te trouvais là.
Mais elle est repartie aussi vite qu'elle était apparue, s'enfuyant tel un elfe. Alors j'ai espéré qu'elle allait revenir, qu'elle était juste allée chercher ses tongs, petite sauvageonne continûment nu-pieds.
Fermant les yeux pour mieux déceler les indices qui briseraient le silence de son absence, j'ai de nouveau perçu la magie de ses pas s'échappant furtivement de la maison, puis dévalant l'escalier en joyeuses claquettes. Sautillant sur les pas japonais qui traçaient le chemin, elle s'avançait vers moi. Redevenue sérieuse, elle m'a regardée, puis, son livre à la main, elle est venue s'asseoir dans le trop grand fauteuil, que, telle une incantation, j'avais déposé là pour elle.
Contemplant alentour, humant l'air adouci par la brise, tous ses sens éveillés, elle a laissé s'échapper de son petit corps perdu dans le fauteuil un long soupir de bien-être. Elle m'a pris la main et m'a souri :
– On est bien, là, Mamie.
Les mains gonflées, les jambes lourdes, je sentais la sueur dégoulinant de mes cheveux pour se noyer dans mes yeux, m'aveuglant de larmes salées que je chassais rageusement avec l'essuie-tout. J'avais terminé, enfin !
Je pris mon livre, fuyant l'enfer de la cuisine. En bas, dans mon jardin, il devait faire bon... Mais la terrasse, emprisonnée par ses murs blancs, n'était qu'une fournaise. Déjà, dans l'escalier, la touffeur commençait à déposer les armes. Le lierre, s'agrippant à la façade, cachant la laideur de sa grise uniformité, repoussait les rayons du soleil. L'air circulait, ici. Au bas des marches, je me suis coulée dans le jardin salvateur, mon oasis au milieu du désert, abrité sous les amandiers, les palmiers et les bambous. Sous le saule pleureur, mon fauteuil m'attendait.
C'était l'heure. L'heure de contempler, l'heure de communier, l'heure de s'apaiser. Les hortensias flétris souffraient mais n'allaient pas tarder à être soulagés. Les autres fleurs, fières hémérocalles, téméraires roses trémières, valérianes et gauras s'épousant langoureusement, coquelicots légers caressant les bleuets, s'épanouissaient, envahissant impunément l'enclos sous le regard discret des timides cœurs de Marie. Toutes s'accommodaient de cette canicule. Les prèles guettaient elles aussi l'arrivée de la pluie, frémissantes d'espoir, imperceptiblement courbées vers le bassin dont la fontaine s'amusait à faire croire qu'il pleuvait.
Un soupir de bonheur souleva ma poitrine. Caresse de l'absolu étrangement heurtée d'angoisse, de quelque chose d'indéfinissable certainement lié à l'éphémérité du tableau au sein duquel j'évoluais. Soupir de gratitude envers ce jardin si généreux, envers ces existences minuscules et pourtant si complexes qui avaient choisi cet endroit pour venir y nicher à l'abri de la ville si dangereusement proche. Comment fixer à jamais une telle beauté, une telle atmosphère ? Maintes fois j'aurais aimé peindre mon Giverny, me prendre pour Monet, reproduisant à l'infini les mêmes scènes, jusqu'à frôler la perfection. Mais si tel don m'avait été prodigué, il n'aurait pas suffi. Comment être capable de retranscrire tout ce que je voyais, dans les moindres détails, surtout ceux qui se cachent, ceux que l'on devine, ces petits riens qui font une vie, de fourmi ou de cigale, toute cette vie qui grouille derrière les herbes folles que je laissais vagabonder entre les pierres ? Comment suggérer le vent qui fait claquer la toile d'ombrage comme les voiles d'un navire, les battements d'ailes et les cris affamés qui trahissent les nouveaux habitants de l'immense troène ? Comment retenir les fugaces couronnes du cristal de l'eau perlant dans le bassin ? Soupir de souffrance devant tant d'impuissance. Ne pas pouvoir graver ces instants délicieux. Douloureuse frustration.
Je devinais à travers les thuyas les maisons alentour, prisons aseptisées peuplées de télévores aveugles et sourds, inconscients de la vie qui foisonne autour d'eux. Rideaux tirés et volets clos. Ils ignoraient que dehors, à cet instant précis, le bonheur flottait, aérien, vaporeux, fugace, mais pas insaisissable. Étais-je donc la seule à savoir l'atteindre ?
Je fus envahie du fol espoir de transmettre tous ces délices que mon jardin m'offrait, pour en parler, plus tard, se réfugier dans leur souvenir, puiser dans leur beauté, s'y ressourcer les jours de disette, en faire don à la postérité. C'était trop pour une seule personne ! À quoi sert le bonheur s'il n'est pas partagé ?
J'ai placé un fauteuil juste à côté du mien et j'ai repris mon livre. Alors, j'ai attendu, craignant qu'elle ne vienne pas. J'ai un peu trop tendance à être pessimiste. Trop souvent déçue, certainement... Puis je l'ai entendue descendre l'escalier. Se tenant à la rampe, discrètement penchée, elle cherchait à me voir à travers la spirée. Malicieuse, elle a ri et m'a dit en chantant :
— Ah ah ! Je savais bien que tu te trouvais là.
Mais elle est repartie aussi vite qu'elle était apparue, s'enfuyant tel un elfe. Alors j'ai espéré qu'elle allait revenir, qu'elle était juste allée chercher ses tongs, petite sauvageonne continûment nu-pieds.
Fermant les yeux pour mieux déceler les indices qui briseraient le silence de son absence, j'ai de nouveau perçu la magie de ses pas s'échappant furtivement de la maison, puis dévalant l'escalier en joyeuses claquettes. Sautillant sur les pas japonais qui traçaient le chemin, elle s'avançait vers moi. Redevenue sérieuse, elle m'a regardée, puis, son livre à la main, elle est venue s'asseoir dans le trop grand fauteuil, que, telle une incantation, j'avais déposé là pour elle.
Contemplant alentour, humant l'air adouci par la brise, tous ses sens éveillés, elle a laissé s'échapper de son petit corps perdu dans le fauteuil un long soupir de bien-être. Elle m'a pris la main et m'a souri :
– On est bien, là, Mamie.
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