Par une matinée d’été, Maggy, une Marguerite toute de blanc vêtue, partit valise à la main loin de son Cactus de mari.
Son mari, le Cactus, avait la fâcheuse habitude d’utiliser ses pics non pour se protéger des prédateurs, mais pour agresser sa belle Marguerite.
Celle-ci, défigurée des pétales et du cœur, décida de prendre la poudre d’escampette loin du mari malintentionné.
Le champ de tournesols qu’elle devait traverser s’étendait à des kilomètres. Le voyage était si long et si ardu, qu’elle voulut rebrousser chemin.
Maggy avait toujours pensé que son Cactus l’aimait plus que n’importe quelle fleur des prés et des champs et que ses coups et colères n’étaient que de l’amour mal offert.
Mais aujourd’hui, la Marguerite ne reviendrait plus auprès de son bourreau. C’était décidé !
Elle prit son courage au bout des pétales et traversa le champ. Épuisée, elle arriva, la nuit tombante près d’un étang peuplé de nénuphars et de pâquerettes.
Le lendemain, juste avant l’arrivée du soleil, un grand et fort Lys s’approcha de la belle Marguerite.
— Bonjour belle jeune fille, je ne vous ai jamais vue près de ce lieu ?
— Non, en effet, je suis arrivée hier.
— Comment trouvez-vous notre coin de paradis ?
— Très agréable, il faut bien le dire.
— Si vous le souhaitez, je me ferai un plaisir de vous faire visiter notre havre de paix.
Le Lys semblait être un maître dans l’art de séduire les marguerites aux cœurs brisés.
La journée durant, Dame Marguerite et Sieur Lys se baignèrent dans l’eau étrange de l’étang, dégustèrent des grenades aux goût sirupeux et virevoltèrent au rythme de la brise d’été et de la douceur du soleil.
Le soir, lorsque la lune apparut, le Lys s’approcha de Maggy et avec ardeur l’embrassa.
La Marguerite pensa qu’enfin, après une vie auprès d’un barbare Cactus, le bonheur frappait enfin à sa vie.
Les premiers jours, la douceur des caresses de son nouveau fiancé pansait toutes ses blessures.
Puis l’été s’en alla et emporta avec lui la douceur de vivre.
Un matin d’automne, le Lys fut très mécontent que l’eau de l’étang fût trop boueuse. Alors il accusa la Marguerite de ce méfait.
Elle s’en défendit. En effet, aucune marguerite n’a le pouvoir de rendre boueux un étang. Mais étrangement, non seulement le Lys n’en convenait pas, mais il reprocha, de plus, à Maggy d’avoir laissé l’été s’enfuir.
Elle ne sut quoi dire… Aurait-elle fait fuir l’été ?
De colère, le Lys, arracha un pétale à la pauvre Marguerite. Puis deux.
Puis trois.
Puis quatre.
Maggy finit par s’excuser du départ de l’été et de l’étang boueux.
Maggy se tourna vers les nénuphars pour leur demander de l’aide, mais, absorbés par leurs luttes contre les algues, ils lui tournèrent le dos.
Maguy pleura. Pleura tant.
Une jeune Pâquerette s’approcha de la Marguerite et lui prit la main.
— Tu sais Maggy, on a tous vu que le Lys était méchant avec toi. Et chaque jour un peu plus. Il ne te reste que deux pétales. Une fleur ne peut vivre sans pétales. Tu risques de mourir.
— Je sais… mais je ne sais que faire. Dès que mes pétales repoussent, mon Lys les arrache. J’aimerais aller vers la verte prairie au-delà de l’étang, mais je n’ai plus de force pour faire un autre long voyage.
— Pourtant tu devrais partir loin de ton méchant Lys avant qu’il ne te tue. Et il y a tant de fleurs à rencontrer, des coquelicots, des colchiques, des narcisses, des pâquerettes, des pavots, des tournesols, des tulipes et des violettes.
— Oh oui ! Une violette, c’est si beau, ce doit être si doux de vivre auprès d’une violette…
— Détrompe-toi ! La douceur d’un pétale n’a rien à voir avec la violence d’un cœur aride et en colère.
— Une violette ne peut faire de mal.
— Une violette est une fleur comme une autre. Elle peut embellir une vie ou l’assombrir.
— Alors comment savoir quelle fleur peut me guérir ?
— Aucune fleur, n’a ce pouvoir, pas même la lavande. Toi seule peux te guérir.
— Alors toutes les fleurs sont semblables ? Elles sont toutes dangereuses ?
— Non bien sûr, il y a des milliers et des milliers de fleurs qui apportent de la joie et du bonheur, mais elles pourront le faire seulement si toi, tu prends soin de toi.
Sur ces mots, la Marguerite quitta la Pâquerette, en silence.
Les jours et les nuits passèrent et il ne restait à Maggy qu’un seul pétale… qui tenait à peine.
Elle ne sortait plus.
Elle n’en avait plus la force.
Elle semblait attendre.
Attendre la dernière lune.
Le dernier rayon de soleil.
La dernière odeur de printemps.
Après tout, elle ne manquerait à personne…
Ce crépuscule serait le dernier. Un départ dans la douce lumière blonde sera bien plus beau que rester dans les ténèbres.
Maggy, la Marguerite, s’était résignée. Elle laisserait tomber le dernier pétale en douceur.
Elle s’installa près de l’étang et attendit que le dernier pétale s’envole avec la brise.
Elle ferma les yeux.
Soudain, elle entendit des pleurs. Des pleurs d’une tristesse qu’elle connaissait trop bien.
Elle se releva et se dirigea vers les sanglots.
Elle reconnut son amie la Pâquerette.
— Mon amie, que se passe-t-il ?
— Ma mère est morte.
— Quelle tristesse ? Que s’est-il passé ?
— Il n’y a pas que les cactus ou les lys qui arrachent les pétales. Les pâquerettes aussi…
— Je ne savais pas, pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
— C’est tellement mieux d’offrir de la joie que de la tristesse.
— Ta maman souriait toujours !
— Oui. Elle souriait chaque jour, mais chaque jour, elle perdait des morceaux de pétale, jusqu’au dernier. Elle n’a jamais voulu partir malgré mes supplications. Mais toi, il ne te reste qu’un bout de pétale, toi aussi tu vas mourir, je ne veux pas que tu meures, je ne peux pas rester seule…
— Tu n’es pas seule, tu as tes amis et ton papa.
Le regard de la Pâquerette fut pris d’un tel effroi que Maggy comprit que les doux et jeunes pétales finiraient eux aussi par tomber.
— Ne t’inquiète pas, je vais t’aider. Nous allons rejoindre la prairie ensemble et ainsi, être en paix.
— D’accord, je prépare ma valise et je t’attends.
Si Maggy n’avait plus la force de se sauver elle-même, elle le ferait pour sauver sa jeune amie la Pâquerette.
Elle prépara son départ en toute discrétion.
Le premier jour d’avril, elle était enfin prête.
Combattante, elle se dirigea vers l’étang, valise à la main.
Mais quel effroi quand elle vit venir à sa rencontre le Lys revenant de son travail !
— Que fais-tu ici ? hurla-t-il.
Elle balbutia. Tout son corps tremblait.
— Je… je vais… je cherche, bégaya Maggy.
— Bon sang, tu me caches quelque chose ! vociféra le Lys.
Le blanc des pistils du Lys devint rouge sang. Aux yeux de Maggy, il mesurait deux mètres. Elle pensa à la jeune Pâquerette et se ressaisit.
— Je souhaitais te faire une surprise pour le dîner, j’espère que tu m’y autorises ? répondit-elle.
Les violents lys, cactus et tous les autres, sont de pauvres âmes qui aiment qu’on les flatte. Si ces lâches se servent de la violence, c’est uniquement sur les plus fragiles. Ils cachent ainsi leur triste impuissance. Ces pleutres se font berner par la flatterie, qu’ils prennent le plus souvent pour de la considération.
— Bien sûr ! Te voilà enfin raisonnable, il était temps !
Le Lys reprit son chemin, tout content.
La belle et forte Marguerite courut vers l’étang où la Pâquerette l’attendait.
Elles se serrèrent fort l’une contre l’autre pour se donner du courage.
Durant cinq lunes, elles coururent à travers champs, étangs et marées.
Et un jour, enfin, elles posèrent leurs valises.
Elles s’allongèrent fatiguées, mais repues de liberté.
Maggy demanda à son amie :
— Que signifie « prendre soin de soi » ?
La Pâquerette répondit doucement et tristement :
— Ma maman me disait souvent, ne dépends jamais de personne. Personne ne peut mieux prendre soin de toi que toi-même.
— Comment prend-on soin de soi ? interrogea Maggy.
— Je ne sais pas vraiment… Elle ne m’en a rien dit, répondit tristement la Pâquerette.
— Ne t’inquiète pas, on va apprendre ensemble. On mettra juste plus de temps, s’exclama la Marguerite.
La Marguerite et la Pâquerette restèrent les meilleures amies du monde sans plus jamais, jamais, jamais perdre un seul pétale.
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Œuvre produite dans le cadre des ateliers d’écriture organisés par le Chambray Touraine Handball