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C'était une veille de Noël, sous un ciel qui ressemblait à une page blanche criblée de taches grises, un ciel lourd et silencieux comme une église vide. Dans cet hiver glacial, Samuel, un jeune homme du Congo, avançait à pas lourds dans les rues enneigées d'une ville de province de France. Il portait tout sur ses épaules : le poids de son passé, les fantômes de la guerre et ce rêve brisé qu'il avait naïvement nommé « Eldorado ».
Quand il avait quitté son pays, il s'imaginait que la France serait une terre de miel et de lait, où tout le monde chantait et dansait au pied de la tour Eiffel. Il n'avait pas prévu le froid qui pénétrerait son corps comme un reproche silencieux, ni la solitude, cette compagne insidieuse qui lui murmurait à l'oreille : « Tu n'es pas à ta place. »
Dans son quartier, Samuel passait inaperçu. Il travaillait de nuit dans une usine où le silence n'était brisé que par les machines et les soupirs des autres invisibles comme lui. Quand il croisait des visages dans la rue, ils semblaient lui renvoyer une vérité cruelle : il était étranger. Étranger au climat, étranger à la langue, étranger à cette culture où tout semblait si ordonné qu'il n'y avait pas de place pour un homme comme lui.
Mais dans ce désert de regards froids, il y avait une oasis : Alice. Alice, avec ses cheveux comme des rayons de soleil et son rire clair comme une cloche. Ils travaillaient ensemble à l'entrepôt, et elle était la seule à lui adresser des mots. Ces mots étaient pour lui comme des caresses. Samuel l'aimait. Pas d'un amour bruyant ou orgueilleux, mais d'un amour silencieux, presque douloureux. Pourtant, il n'osait rien lui dire. Il se voyait si petit, si maladroit, si indigne d'elle.
Alors, quand elle l'invita à passer Noël avec sa famille, il crut d'abord à une erreur. « Moi ? Chez toi ? » demanda-t-il, les yeux écarquillés. Alice haussa les épaules avec un sourire qui disait : « Pourquoi pas ? »
Le soir de Noël, Samuel se présenta chez Alice, hésitant, une boîte de chocolats bon marché dans les mains. Dès qu'il entra, il fut enveloppé par une chaleur qu'il avait oubliée depuis longtemps : une cheminée crépitante, des lumières douces, des voix qui se mêlaient dans une joyeuse cacophonie. On lui prit son manteau, on l'installa près du sapin, on lui servit une tasse de vin chaud. Il avait l'impression d'être entré dans un tableau, un tableau trop beau pour lui.
Le repas était un festin. Il écoutait les conversations, riait parfois, mais parlait peu, de peur de dire une bêtise. Pourtant, il se sentait... bien. Pour la première fois depuis des années, il n'était plus invisible.
Ce fut après le dessert que tout changea. Alice se leva pour attraper quelque chose, trébucha légèrement, et par réflexe, Samuel tendit la main pour la rattraper. Sa main trouva celle d'Alice. Il sentit une chaleur, douce et électrique. Le monde entier semblait s'être arrêté. Elle ne retira pas sa main. Et lui... lui ne voulait plus jamais la lâcher.
À cet instant, Samuel comprit quelque chose d'essentiel. Ce qu'il avait cherché dans ce pays – l'Eldorado, le bonheur, la dignité – n'était pas dans les papiers administratifs ou les promesses des rues illuminées. C'était là, dans cette main qui lui disait sans un mot : « Tu n'es pas seul. »
En quittant la maison d'Alice ce soir-là, il leva les yeux vers le ciel. Il n'y voyait plus une page blanche, mais un livre encore à écrire. L'ironie, pensa-t-il, était que le froid et la solitude l'avaient presque convaincu qu'il n'y avait pas de place pour lui ici. Et pourtant, une simple main venait de renverser cette logique absurde.
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