Si tu es en peine de jambes, tu peux monter en voiture jusqu’au Pont de La lance. Si tu es dans la vaillance, tu peux partir du cœur du village et même de l’intérieur de ses remparts. Avant d’attaquer, tu auras serré les lacets de tes chaussures puis, tu te seras arrêté chez ce boulanger où il est écrit qu’on peut lui dire bonjour... Qu’on peut et pas qu’on doit... Tu lui auras acheté un pain aux céréales qu’il aura cuit dans la nuit et tu auras rempli ta gourde à l’eau courante de la fontaine de la place. Ensuite, tu auras pris le chemin qui démarre de derrière la caserne des pompiers bénévoles. Tu verras, dès les premiers mètres, ça part si fort que c’est le nez dans les cailloux que tu commenceras à grimper. À partir de là, même si tu es en belle compagnie, tu feras silence mais pas comme un vœu, par obligation. Heureusement, le chemin qui s’élève comme un doigt montrant le ciel est d’entrée à l’ombre de la forêt. Il le restera jusqu’à la barrière qui protège du vide, là haut vers le Pont. Ainsi, à la rigueur de la pente ne s’ajoute pas le poids du chaud, quelle que soit l’heure du jour, le frais y est à son aise. Il te passera sur la nuque comme une caresse de Marie Madeleine...
Une fois là-haut, il te faudra marcher un temps sur la route tracée pour y édifier une station de ski qu’on avait eu la bonne idée d’abandonner en cours de projet. Les chamois auraient, paraît-il, applaudi. Reste la route. La Lance la franchit, elle court sous les piles de bois, tourbillonnant, roulant des épaules comme pour rassembler un peu de ses forces, prendre ses élans avant les grands sauts qui la mènent au droit du village en plusieurs cascades coléreuses. Passer les traverses de larges planches et virer à droite, laisser le hameau en désordre sur la gauche et continuer de monter sur cette route de pierres, large comme deux attelages.
Sur la droite quelques vasques où l'on se baigne mais seulement en été quand les pierres ont chauffé le torrent, vers le midi du jour, en compagnie de truites longues comme des avant-bras qu’on attrape avec beaucoup de patience de ruses et de vers... Un long et délicieux passage en sous-bois, accompagné par le grondement du torrent sur les schistes plats que tu longes avant de grimper vers le refuge de la Fruchière. On y vient dormir parfois et on y dort dehors, sous l’abri de la table en bois quand les ronfleurs du dedans dérangent... Ces nuits-là, on est réveillé par le chuintement des étoiles filantes qui zèbrent le noir du ciel, par les farfouillements énervés des sangliers par l'humide du matin et parfois l'ombre d'un loup se faufilant entre les sapins. Une montée assez raide et c’est le refuge du Juge.
Et c'en est un, pour sûr. Si tu te sens bien, tu poursuis, si tu en éprouves le besoin tu t’y poses, un temps ; ce sont tes jambes, ton souffle et ton cœur qui décident. Plus toi. Reposé, puisque tu t’es arrêté, tu reprends la montée qui t’amène, il faut me croire, au pays des marmottes, une longue plaine verte presque plate, enfin plate pour les pentes d’ici... Elles sont toutes là, comme des gendarmes aux carrefours, dressées sur leurs pattes arrière et sifflent comme des peintres italiens quand on approche. Du printemps à la fin juin, on peut voir les petits courir dans cette plaine et plonger dans les terriers au premier sifflement. Là, tu stoppes et tu regardes. Ce sont, maintenant tes yeux qui commandent. Des centaines de peluches caramel qui plongent dans les trous sombres des terriers et qui ressortent dès que le silence revient et qui jouent à trappe-trappe dans cette petite plaine, comme une paume tendue vers le bleu, la lumière étincelante du torrent dans le fond de son creux.
Si tu ne ressens rien, si ton âme reste muette, si ton cœur n'est pas serré d'émotion, redescends de suite, tourne le dos, cet endroit n’est pas pour toi. Pour les autres, à part le souffle qui manque un peu, à cet endroit, le seul souci qu'ils puissent avoir c'est: où regarder?
Un peu plus haut sur la gauche, à mi-pente, sous la barre de roches, les cabanes de Bressanges. D’anciennes bergeries reconstruites à mains nues au plein mitan des champs d'or de boutons jaunes. Remontées de leurs ruines en donnant davantage de fruits aux murs pour lutter contre la poussée de la montagne. Elles sont là, deux, dont l'une reste toujours ouverte et garnie, un poêle, du bois, du sel, une paillasse, des allumettes qu'on puisse s'y abriter et s’y chauffer en cas d'orage, de temps mauvais ou de simple fatigue. Agrippées à la pente, elles sont ouvertes, la cheminée y fume, le feu y est allumé, prêt à cuire ce que tu apportes. Si tu n'apportes rien on partagera ce qui était prévu... Ça tombe bien que les bergeries soient ouvertes, c’est là que tu viens...
L'eau qui dégringole en un fil de lumière de la barre rocheuse du dessus est fraîche et bienvenue. Les poignées de main rigoureuses et fermes, le verre proposé. Approche, entre, tu es attendu, même si on ne t'attendait pas. Au cours du repas tu apprendras qu'on peut devenir propriétaire de ce qui s'appelle une montagne... Quatre centaines d’hectares, d'un seul tenant, délimités par une rivière, une vallée, une barre rocheuse et un groupe de pics... Jolies clôtures... S'il te reste un peu d'allant après le repas, tu peux poursuivre au-delà du rempart rocheux qui surplombe. Ils en ont, les deux qui te parlent, remonté une, de cabane en traçant le chemin dans les caillasses avec les ongles. Galériens par flemme, ils l’ont creusé simplement pour gagner une heure de marche...On y monte en compagnie des chamois. On dit que là-haut c'est un paradis... Ici donc, juste un purgatoire?
Si tes mollets sont d’accord, tu peux monter au Lac du Lignin par le sentier en échelle. D'en haut, la vue replonge dans l'autre vallée comme un vol de buse vers Aurent et ses cinq ou six habitants. Puis après avoir imprimé ce qu'il y avait à voir, tu peux redescendre, parce qu'il faut toujours redescendre... heureusement.
Ainsi, on peut, c'est imparable, y remonter, un jour...
Une fois là-haut, il te faudra marcher un temps sur la route tracée pour y édifier une station de ski qu’on avait eu la bonne idée d’abandonner en cours de projet. Les chamois auraient, paraît-il, applaudi. Reste la route. La Lance la franchit, elle court sous les piles de bois, tourbillonnant, roulant des épaules comme pour rassembler un peu de ses forces, prendre ses élans avant les grands sauts qui la mènent au droit du village en plusieurs cascades coléreuses. Passer les traverses de larges planches et virer à droite, laisser le hameau en désordre sur la gauche et continuer de monter sur cette route de pierres, large comme deux attelages.
Sur la droite quelques vasques où l'on se baigne mais seulement en été quand les pierres ont chauffé le torrent, vers le midi du jour, en compagnie de truites longues comme des avant-bras qu’on attrape avec beaucoup de patience de ruses et de vers... Un long et délicieux passage en sous-bois, accompagné par le grondement du torrent sur les schistes plats que tu longes avant de grimper vers le refuge de la Fruchière. On y vient dormir parfois et on y dort dehors, sous l’abri de la table en bois quand les ronfleurs du dedans dérangent... Ces nuits-là, on est réveillé par le chuintement des étoiles filantes qui zèbrent le noir du ciel, par les farfouillements énervés des sangliers par l'humide du matin et parfois l'ombre d'un loup se faufilant entre les sapins. Une montée assez raide et c’est le refuge du Juge.
Et c'en est un, pour sûr. Si tu te sens bien, tu poursuis, si tu en éprouves le besoin tu t’y poses, un temps ; ce sont tes jambes, ton souffle et ton cœur qui décident. Plus toi. Reposé, puisque tu t’es arrêté, tu reprends la montée qui t’amène, il faut me croire, au pays des marmottes, une longue plaine verte presque plate, enfin plate pour les pentes d’ici... Elles sont toutes là, comme des gendarmes aux carrefours, dressées sur leurs pattes arrière et sifflent comme des peintres italiens quand on approche. Du printemps à la fin juin, on peut voir les petits courir dans cette plaine et plonger dans les terriers au premier sifflement. Là, tu stoppes et tu regardes. Ce sont, maintenant tes yeux qui commandent. Des centaines de peluches caramel qui plongent dans les trous sombres des terriers et qui ressortent dès que le silence revient et qui jouent à trappe-trappe dans cette petite plaine, comme une paume tendue vers le bleu, la lumière étincelante du torrent dans le fond de son creux.
Si tu ne ressens rien, si ton âme reste muette, si ton cœur n'est pas serré d'émotion, redescends de suite, tourne le dos, cet endroit n’est pas pour toi. Pour les autres, à part le souffle qui manque un peu, à cet endroit, le seul souci qu'ils puissent avoir c'est: où regarder?
Un peu plus haut sur la gauche, à mi-pente, sous la barre de roches, les cabanes de Bressanges. D’anciennes bergeries reconstruites à mains nues au plein mitan des champs d'or de boutons jaunes. Remontées de leurs ruines en donnant davantage de fruits aux murs pour lutter contre la poussée de la montagne. Elles sont là, deux, dont l'une reste toujours ouverte et garnie, un poêle, du bois, du sel, une paillasse, des allumettes qu'on puisse s'y abriter et s’y chauffer en cas d'orage, de temps mauvais ou de simple fatigue. Agrippées à la pente, elles sont ouvertes, la cheminée y fume, le feu y est allumé, prêt à cuire ce que tu apportes. Si tu n'apportes rien on partagera ce qui était prévu... Ça tombe bien que les bergeries soient ouvertes, c’est là que tu viens...
L'eau qui dégringole en un fil de lumière de la barre rocheuse du dessus est fraîche et bienvenue. Les poignées de main rigoureuses et fermes, le verre proposé. Approche, entre, tu es attendu, même si on ne t'attendait pas. Au cours du repas tu apprendras qu'on peut devenir propriétaire de ce qui s'appelle une montagne... Quatre centaines d’hectares, d'un seul tenant, délimités par une rivière, une vallée, une barre rocheuse et un groupe de pics... Jolies clôtures... S'il te reste un peu d'allant après le repas, tu peux poursuivre au-delà du rempart rocheux qui surplombe. Ils en ont, les deux qui te parlent, remonté une, de cabane en traçant le chemin dans les caillasses avec les ongles. Galériens par flemme, ils l’ont creusé simplement pour gagner une heure de marche...On y monte en compagnie des chamois. On dit que là-haut c'est un paradis... Ici donc, juste un purgatoire?
Si tes mollets sont d’accord, tu peux monter au Lac du Lignin par le sentier en échelle. D'en haut, la vue replonge dans l'autre vallée comme un vol de buse vers Aurent et ses cinq ou six habitants. Puis après avoir imprimé ce qu'il y avait à voir, tu peux redescendre, parce qu'il faut toujours redescendre... heureusement.
Ainsi, on peut, c'est imparable, y remonter, un jour...