PARTIR POUR RENAITRE
Au fond de la vallée une plaine ronde et silencieuse s’ouvre dans une profonde fraternité C’est l’aventure qui commence, goutte après goutte Une femme arpente ces pentes calcaires Dans ce monde minéral, entre les arêtes et les pics, les sentiers et les monts, la lumière change...Tissage de mots et de paysages, elle traverse le désert de sa soif, et voyage pour reconstituer, à partir de traces infimes, son histoire singulière Chaque foulée tresse un nouveau tableau : l’ocre des sentiers et le vert des prairies sous le gris d’une pierre Ainsi elle avance, irriguée d'une flamme qui la pousse toujours devant, vers la source des souvenirs L'imaginaire sous ses pas fatigués se souvient des jardins du grand-père, l’odeur de fer des vieilles racines ou celle plus sensuelle des pêches de vignes Quelquefois il lui semble entendre le chant frais du petit ruisseau, le soir aux alouettes Une odeur de figuier arrive parfois à la faire vaciller...Elle connait la jouissance sous le jus d’un fruit croqué, poire ou muscat Quand elle frôle les coquelicots elle sent encore les joues de sa mère, et lorsqu’elle froisse des blés, l’odeur de la chaise en paille devant la porte ouverte l’été, ravive sa mémoire Des sables é-mouvants avaient saisi au plus vif sa mélancolie sur les territoires du désamour Des grappes de sureau assombrissaient sa nuit comme à la bouche noire des cerises Les ongles abîmés d’avoir tant gratté la poussière d’une existence à chercher un sourire, en ces temps où la forêt seule, lui semblait un vrai refuge A présent l’esprit des lieux l’apaise comme une cabane au bord d’un rêve Dans l’azur taché du blanc des mouettes, elle espère un petit loup qui traversera l’écran de sa peur Elle progresse, courageuse malgré le froid et l’inquiétude au bord des gouffres Bientôt elle se mettra à courir, car elle a cru voir au loin, derrière les nuées, un espace attendrissant de mousses Le vent de la mer lui apporte du courage quand par la route elle rencontre, quelques pièges et puis aussi qu’elle fait face à ses doutes En traversant des villages abandonnés, elle récolte et renoue des bribes du récit des âmes silencieuses qui les ont quittés Sans piétiner les fleurs elle enjambe, comme une reine, les orties et les ronces qui caressent doucement sa peau Son corps peu à peu devient la montagne, ses pieds saignent mais de sa tête elle ne se soucie plus
Elle surprend un lapin, devine les serpents et croise quelques biches qui, comme elle, cherchaient de l’eau En arpentant les sentiers et les champs, elle tisse des liens et des lignes, et quand elle trouve une plume, elle se fait de nouveaux souliers pour s’en aller plus vite C’est bien plus qu’une promenade au clair de lune, car elle écoute à chaque pas, le bruit que font ses chimères Lentement, en creusant des sillons, ce nouveau terreau fertile a fait naître un ailleurs Le paysage ondule et se transforme, le temps nage et plonge au cœur du vivant, le monde de l’air sort d’une terre habitée Le charnel à portée de la femme, la glaise aux chaussettes pour un territoire transfiguré Tous ses sens en éveil l’emmènent au plus loin de ses craintes au plus près de sa vérité Jambes lourdes, chevilles gonflées, elle remet chaque jour son chapeau Elle marche pour écrire une suite à l’histoire...L’imaginaire confronté au réel des cailloux Qu’elle arpente des falaises arides ou des bocages humides, elle suit comme un mirage, le soleil dans ses miroitements Elle s’essouffle de partir encore, des mains amies lui suffiraient mais l’horizon l’appelle La solitude et l’air frais aux narines, le possible à chaque virage, le mouvement du voyage la renouvelle Le départ a ouvert en grand le tiroir aux souvenirs, réveillant les petites choses de rien qui faisaient le sel de sa vie Elle se réapproprie, en douceur, les lieux de son enfance, penchée sur des bêtes anciennes qu’elle apprivoise Elle invente la planisphère d’un royaume sans frontières, et recompose la photo de sa famille enfin réconciliée Des perspectives rieuses sous le pied, un voyage de l’automne à l’été, pour le printemps d’une vie L’errance du cœur sous la voute de sa jeunesse Tout en haut de la dune, le panorama s’agrandit, elle voit mieux les choses et discerne mieux les êtres C’est une joyeuse et improbable dérive pour entrer de plain-pied dans le cosmos La fille est farouche autant que l’espace est grand Le dedans et le dehors échangent leur vertige Le temps et l’espace se mêlent, et appellent le sourire des oiseaux, c’est l’énergie du volcan après la tempête de sable En respirant sa terre elle revient en dansant au centre de son être Voici que s'est accompli une grande traversée qui l’a aidé à se remettre debout Peu à peu la route s’efface, il ne reste qu’un ruban de soie qui la ramène chez elle En balisant de long en large son territoire, elle a repris en mains les cartes de sa destinée.