«Maître? Vous plaisantez? Vous pouvez me cogner, comme tous les autres, mais je ne vous
appellerai pas maître.»
-Et comment souhaites tu appeler le sauveur de ton peuple?
-Vous? Un sauveur? Vous profitez des faiblesses de mon père, un vieil homme qui n'a plus
toute sa tête. Il m'a donnée en pâture à un vile personnage, un despotique, qui pille, asservie
hommes, femmes et enfants.
-Je suis le souverain de la Goal! Le plus puissant et le plus riche de tous les royaumes. Crois-tu
que nous ayons assis notre domination sans sacrifices? Nous avons assis notre domination sur
tous les clans grâce à la guerre et le commerce avec les hommes blancs. Sans la sagesse de ton
père, les virians serraient décimés. Il m'a gratifié de sa loyauté en te faisant mienne. Tu te
soumettras donc à ma volonté. Pour le moment ton statut n'est pas encore clairement défini,
tout dépendra de toi. Mais tu es faible et les faibles se mettent au service des plus forts. Tu seras
donc traiter en servante et tu m'appelleras maître.
-Jamais! Car je suis également fille de roi! Qu'importe que mon royaume soit maintenant sous
votre domination. Mon rang ne sera point celui d'un vulgaire esclave.
-Crois-tu donc te mettre au rang d'une reine? Toi, la fille maudite, Myriam la boiteuse. L'enfant
rejeté de ton un peuple, celle qui porte le malheur sur tout son corps. Qui crois-tu mépriser ?
-Je reste et demeure la fille d'un roi, fusse-t-il le plus petit de toute la Gaurhé. Je connais mon
rang.
-Soit! Faites venir la garde royale! Messieurs, conduisez notre hôte vers les servantes des
concubines. Je vous verrez donc plus tard lorsque vous ressemblerez à une femme de cour.
Ce malheureux concours de circonstance conduisait la jeune femme à repenser son existence.
Myriam se retrouvait loin de son clan, loin de tous. D'ailleurs, au fond d'elle, c'était un
soulagement maintenant. Myriam la boiteuse était morte pour tous. La naissance de la jeune
fille se jumelait à la mort de sa mère. Le chef du clan Vira perdait ainsi sa première épouse, sa
bien-aimée, la plus gracieuse et la plus belle des reines. Une étoile fut éteinte, ce qui plongea
tout le peuple dans une profonde tristesse. Le chagrin rendu le roi fou, il rejeta donc tout
naturellement sa fille. N'ayant aucun sein sur lequel se reposer; elle ne connut pas l'allaitement.
Quand l'enfant fit ses premiers pas, une nourrice remarqua la démarche inhabituelle de l'enfant
et confia l'affaire au roi. Ce dernier au comble de l'agacement s'en alla, accompagner de cette
dernière dans la nuit sombre au territoireʺ des danseuses du lacʺ. Une nuit sans étoile et chargée
d'un brouillard lourd.
-Un roi sans ses hommes de mains, sans ses guerrier s'approchent maladroitement dans une
terre où la vie physique prend fin et d'où commence la vie astrale. Que cherches-tu? Lui
demanda la femme la plus âgée.
-Je viens chercher des réponses.
-Tu veux nier ton sang car tu es un roi arrogant et narcissique, tu cherches ce qui est parfait à
tes yeux et aux yeux des hommes.
-Soit! Mais la reine ne supporte pas la vue de cette enfant, elle vivra ici cacher de tous.-Nous ne la garderont que le temps qu'arrive le moment où son bras gauche touchera son oreille
droite. Apres son apprentissage, elle se verra confiée à l'homme étranger qui porte une robe
noire.
Le roi retournait soulager enfin d'avoir laissé l'enfant loin de la cour royale. Cependant l'une
des danseuses le susurra des mots étranges qui troubla le temps d'un battement de paupières le
souverain du peuple Vira; elle lui dit: «Voici un homme qui gouverne un peuple d'un bras de
fer mais qui reste sans intelligence devant la grandeur d'une âme. Le propre des hommes
puissants, c'est de voir sans voir, avec le temps leur mémoire leur joue des tours.»
L'enfant grandit dans une forêt, près du grand lac calme, silencieux et magistral. C'est de là
que tirait le pouvoir mystérieux des danseuses du lacs. Ses femmes énigmatiques commençaient
les journées dès l'aube, les plus jeunes allaient dans les plantations de manioc. Les anciennes
se divisaient en deux groupes, d'un côté, celles qui pêchaient dans une petite rivière proche des
habitations; en effet la pêche au lac ne se faisait que trois fois dans une année. Le dernier groupe
gardait les huttes et ramassait le bois. Les activités s'alternaient tous les trois jours. Chacune
savait quoi faire. Myriam apprit que les danseuses du lacs étaient appelées ainsi par habitudes.
Lorsqu'on l'initia, elle comprit que ces danses ne se faisaient que pendant la nuit et à de très
rares occasions, uniquement sur la demande de la reine des eaux qui exigeait un sacrifice. En
effet elle restait la seule divinité qu'elle vénérait. Cet esprit qui qui les confiant le pouvoir de
guérisons mais aussi celui de lire le fil du temps. Les usages de ses femmes pour la plupart
veuves, répudiées, violées, adultérines, incestueuses étaient régis par la loi du silence. Lorsque
sept années furent écoulées, on confia l'enfant au missionnaire. Celui-ci ne vit aucun
inconvénient à éduquer une fille, de plus il avait besoin d'une personne à qui confier des tâches
de ménage. Les gens du peuple se méfiaient de lui, mais il trouvait des remèdes à la fièvre jaune
ou la lèpre. C'est ainsi qu'on le laissait occupé une petite case parmi les virians. Il enseigna
l'enfant à déchiffrer le langage des étrangers, à lire dans leurs livres et à comprendre leur mode
de communication. Quand la guerre inter-ethnique s'amplifiait dans la Gaurhée. Le royaume
s'est vite retrouver dans le chao. Pour le souverain de Vira, il fallait créer des alliances. Mais la
famine sévissait, se mettre sous la protection d'un royaume plus grand était la dernière solution.
Seul le royaume de la Goal avait accepté cette alliance, si on peut l'appeler ainsi. Car le vieux
chef du clan Vira perdait tout droit de décision politique et plaçait le pays sous une taxe
annuelle. Et un autre caprice du souverain de la Goal c'était avoir l'une de ses filles, celle qu'on
surnommait «la boiteuse». Surpris, mais sans hésitation, il accepta de conclure l'alliance.
Plus elle y repense moins Myriam comprenait son rôle dans cette alliance.
-Sur la côte, nous avons l'avantage de commercer les premiers avec les étrangers. Jeune fille tu
ressembles maintenant à une femme! Le roi de la Goal riait à pleine dents devant la vue de
Myriam habillée en tenue traditionnelle.
- Vous pouvez maintenant me dire ce que je fais ici? Mon père, a trois épouses et vingt-deux
enfants dont seize filles. Chacune d'elle serait une parfaite concubine pour vous.
-Je suis un homme puissant et je peux avoir tout ce que je souhaite.
-Je n'ai pas de secret ni ne pouvoir particulier.-Certainement, et d'ailleurs tu n'as ni tempérance ni retenue pour une femme. Tu refuses de te
soumettre à ton roi et tu exiges que je me rabaisse à ton niveau! Comment appelle-t-on cela? Si
ce n'est de l'arrogance.
-Qu'importe comment on l'appelle. Je n'ai rien demandé à personne, et mon père n'est mon
père que de nom, je ne me sens pas donc obliger de supporter votre acharnement. Mettez un
terme à ma vie.
-Ta vie est précieuse pour moi. Nos projets sont immenses, quand on aura terminé avec, je te
laisserais finir avec ta vie. Tu y mettras un terme toi-même.
-Que dites-vous ?
-Je réitère mes propos, pauvre petite chose. Je t'ai choisi parmi les seize plus belles perles de
peuple Vira car tu es comme moi. Tu détestes les âmes de ses étrangers. Tu as reçu le mystère
des eaux du lac silencieux, tu connais donc le pouvoir des femmes. Celui de protéger toute
chose, la nature, la famille, son peuple. De plus tu connais déchiffrer les codes cachés dans leurs
livres. Je compte étendre mon pouvoir sur les deux rives et prendre le contrôle de toute la côte.
Nous commerçons déjà avec les blancs mais je souhaite que tu sois présente lors de leur
prochaine venu.
C'était des projets bien audacieux, mais ce roi impétueux ne savait pas que Myriam la boiteuse
n'avait qu'un seule rêve, celui de vivre dans une totale indifférence et loin de tout.