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Histoires Jeunesse - 8-11 Ans (Cycle 3)
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La première chose à savoir, c'est que Hans n'y est pour rien de rien dans cette histoire.
Être Père Fouettard de père en fils, ça ne s'invente pas, et ça ne se choisit pas non plus !
Finalement, c'est un peu comme une malédiction. Une épouvantable, une abominable malédiction !
Hans avait donc hérité de ce fardeau qui consistait à aller corriger tous les enfants-faiseurs de bêtises de la planète en leur filant une trouille mémorable. Depuis de longues années maintenant, il jouait son rôle à la perfection.
Dès que le mois de décembre arrivait, il enfilait son gros manteau tout rapiécé qu'il attachait en entourant une lourde chaîne autour de sa taille. La ferraille faisait un bruit du diable quand il se déplaçait et les enfants tremblaient en l'entendant arriver de loin, avant même qu'il ne sonne à leur porte.
Ce soir-là, il faisait un temps idéal pour la saison : un froid de canard congelé, un vent glacial à ébouriffer tous les épouvantails de la région. Une épaisse couche de verglas recouvrait les routes et les lacs des alentours, faisant la joie des patineurs du dimanche.
Armé de ses chaussures à crampons antidérapantes, Hans était fin prêt. Pourtant, il ne se sentait pas aussi en forme que d'habitude. L'estomac lourd, il n'avait sans doute pas bien digéré le ragoût d'anguilles qu'il avait englouti la veille. Et puis ce mal de tête qui ne le quittait pas... ah la la, quel dur métier que Père Fouettard !
Il vérifia sur son calepin le nom du terrible garnement qu'il devait sermonner : Martin Dubourdon. Il disposait en outre d'une fiche d'identité. Numéro 635 877. Six cent trente-cinq mille huit cent soixante-dix-sept ! Tant que ça ! Tous ces enfants que j'ai punis ! songea Hans.
Bon, voyons un peu qui est ce Martin de malheur !
Âge : six ans.
Signes distinctifs : espiègle et facétieux.
Motif de l'intervention : Martin est le pire des inventeurs de bêtises de la terre !
Dernière bêtise en date : a mis de la moutarde extra-forte sur la tétine de sa petite sœur...
Rien que de très banal, en somme, un enfant comme beaucoup d'autres auxquels il avait déjà eu affaire !
Hans frappa à la porte d'un poing décidé.
Un petit garçon haut comme trois pommes avec un air de lutin farceur ouvrit et resta un instant interdit devant la stature de géant de l'imposant bonhomme.
— Ah ah ! Voilà Martin ! Malin, vilain, coquin, que le démon te quitte en un tournemain !
Hans avait dégainé son bâton magique, qu'il agitait, menaçant, sous le nez de Martin en fronçant les sourcils.
— Mais, mais, mais... je promets d'être sage maintenant ! balbutia le jeune garçon tout tremblant.
— Tu as intérêt, tonna Hans, ou sinon il t'en cuira ! Et le Père Noël, jamais plus tu ne verras ! Ah ah ah !
Le visage du petit Martin vira d'abord du blanc chou-fleur au vert brocolis, puis au mauve navet pour finir par un rouge poivron bien mûr.
Hans s'apprêtait à boucler son numéro de Père Fouettard en lançant un des regards furieux dont il avait le secret, lorsqu'un cri aigu insupportable déchira ses tympans.
Martin avait hurlé de toutes ses forces, jurant qu'il ne ferait plus jamais jamais jamais de bêtises, implorant que le Père Fouettard laisse le Père Noël venir lui rendre visite la nuit du 24 décembre, même s'il ne lui apportait pas de cadeaux, juste pour le bonheur simple de le voir en chair et en os, et de continuer à rêver à un monde rempli de fées et de rennes volants.
Et puis après avoir prié, crié, hurlé à pleins poumons, Martin s'évanouit au pied d'un Hans tout décontenancé.
Ce n'était bien-sûr pas la première fois qu'il voyait un enfant « mort de peur » face à lui, mais ce soir-là, il se surprit lui-même à éprouver de la compassion – infime, certes – pour le garçon qui gisait inconscient, là, à ses pieds.
Il rentra chez lui, bouleversé, sans terminer sa tournée de punitions.
Quelques jours plus tard...
— Je n'en peux pluuuuuuuuuuus ! Schrprouuuuuuuuunch !
Hans venait de se moucher bruyamment. Il se frotta le nez en grimaçant. Après être resté plusieurs jours enfermé chez lui, porte et volets clos, il s'était finalement décidé à aller consulter un spécialiste, expert en personnages de légende à la dérive.
— Il faut avant tout vous reposer, vous êtes surmené, commença le Docteur Jean Némar.
— Mais vous ne comprenez pas ! Je ne dors plus, je n'ai plus d'appétit, même les anguilles marinées ne passent plus, ça me fait des gargouillis dans le ventre pendant des heures, et je ne vous parle même pas de la potée de choux au miel, d'ordinaire mon plat préféré, je n'en ai plus envie du tout ! C'est une catastrophe ! J'ai bien réfléchi et je crois que j'ai compris. Je ne veux plus de ce rôle de méchant ! Je ne veux plus frapper à la porte des maisons et trouver en face de moi des enfants terrorisés ! Ils ne sont pas si méchants que ça finalement, ils sont si mignons... moi aussi quand j'étais petit j'ai bien dû faire quelques bêtises... En deux mots : je dé-mi-ssionne !!
Le docteur demeura un instant songeur :
— Mmmhh... c'est vrai, après tout, il y a le croque-mitaine, le loup-garou, des sorcières en surnombre... moui... le marché des méchants est déjà bien pris finalement...
Hans poussa un immense soupir.
— Merci Docteur, je savais que vous au moins, vous me comprendriez et trouveriez un remède !
Ce jour-là, Hans rentra chez lui plus guilleret qu'à son habitude.
On n'entendit plus jamais parler de lui.
Quelques curieux – des parents épuisés par leurs enfants terribles jusqu'aux garnements audacieux que rien n'effrayait – tentèrent bien de se renseigner, histoire de savoir ce qu'était devenu le célèbre, l'illustre, le terrible Père Fouettard. Tout ce qu'ils trouvèrent, épinglé sur la page Facebook consacrée au personnage fut un panneau placardé de guingois, sur lequel était écrit :
« Fermé pour cause de gentillesse ».
Joyeux Noël à tous !
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