Depuis sa naissance, Ewa accompagne ses parents, chaque année, sur les pavés du Paris-Roubaix. On attend le second dimanche d’avril avec impatience. C’est l’événement de l’année, toute la famille vibre au rythme de la reine des classiques. Il faut dire qu’Ewa et ses frères ont grandi dans le Nord. La jeune femme est très fière d’être née sur les terres de Paris-Roubaix. C’est à Wallers, que son grand-père, originaire de Pologne s’est installé pour travailler sur le site minier d’Arenberg, un lieu connu à travers le monde pour sa mythique tranchée.
Alors forcément, grandir bercé par ces gladiateurs modernes qui s’affrontent sur les pavés pour remporter l’enfer du Nord donne très envie de pratiquer. Mais faire du vélo coute cher et la famille d’Ewa est modeste. Malgré son insistance, ses parents ne peuvent pas réaliser son rêve. Ils font le maximum pour la rendre heureuse et l’élever dignement, mais quelque chose lui manque. Alors Ewa s’inspire d’Ellen MacArthur et économise son argent de poche et celui des repas de la cantine. Quand elle aura assez, ce trésor paiera son vélo. Il sera de la même marque que celui de son idole Marianne Vos. Mais pour le moment, il est encore à plus de mille euros trop loin.
Ça lui prendra quelques années, mais pour ses seize ans, Ewa a enfin réuni la somme nécessaire. Une remise de fin de saison lui permet même de s’équiper de la tête aux pieds. C’est le plus beau jour de sa vie, après une si longue attente, place aux compétitions. Les premiers entraînements sont difficiles, mais Ewa arbore toujours un grand sourire que ni la pluie, ni le vent ne peuvent effacer de son visage. Elle est heureuse tout simplement.
Les premières compétitions, en revanche, ressemblent à un chemin de croix. Les courses réservées aux femmes sont rares, tout comme les compétitrices. Elle court, le plus souvent, avec des garçons qui font du vélo depuis longtemps. C’est vraiment dur et le cyclisme est un sport exigeant. La première année, Ewa est rapidement lâchée sur toutes les courses. Beaucoup renoncent et baissent les bras face à ces difficultés, mais pas elle ! Ewa termine toutes ses compétitions sans exception. Sans l’avoir jamais avoué à personne, elle a un objectif secret : devenir professionnelle et remporter Paris-Roubaix féminin. Seulement, pour y arriver, elle doit beaucoup progresser et la course de ses rêves n’existe que pour les hommes. Alors Ewa ne dit rien, elle s’entraîne très dur chaque jour tout en travaillant de nuit à l’usine. Son boulot éprouvant ne la passionne pas, mais il lui laisse le temps de s’entraîner. Le salaire paye l’entretien du vélo et ses déplacements aux courses. Malgré la fatigue, elle poursuit ses efforts, sans se plaindre. Chaque jour ses circuits d’entraînement empruntent quelques secteurs pavés, elle aime tant rouler dessus et rêve de l’enfer du Nord.
À force de persévérance, Ewa finit sa première course dans le peloton. Son travail commence à payer. Mais il en faut encore beaucoup pour devenir la première femme à remporter Paris-Roubaix, surtout que l’épreuve n’existe toujours pas. Mais Ewa s’en fiche, ses progrès récompensent son courage, alors elle continue.
Après quelques courses de plus, sa pointe de vitesse lui offre quelques places d’honneur avec les garçons. Puis vient sa première victoire chez les filles. C’est le nouveau plus beau jour de sa vie, mais il reste beaucoup de travail.
En fin de saison, quelques victoires sur des courses locales et une participation aux Championnats de France féminin remplissent les premières lignes de son palmarès. Le chemin vers le professionnalisme est encore long, mais celui parcouru semble désormais immense.
La saison suivante marque de nouveaux progrès. Lors d’une course en Belgique, elle se confronte à quelques équipes professionnelles, dont celle gérée par Johan Museeuw, triple vainqueur de Paris-Roubaix. Ses compétitrices sont toutes des spécialistes des classiques. Pour réaliser ses rêves, elle doit être forte aujourd’hui. Ewa va tout faire pour qu’on la remarque. Sur les pavés, la cycliste nordiste voltige sans jamais quitter les premières positions. Elle se démène tel un lion et fait jeu égal avec des favorites bien plus aguerries. Sans gagner, le pari est réussi, on l’a remarquée. Le manager de l’équipe belge professionnelle, l’une des légendes du cyclisme vient la féliciter de sa prestation. C’est l’occasion qu’elle a attendu toute sa vie. Alors Ewa saisit sa chance.
- Monsieur Museeuw, dit-elle, vous avez aimé ma course, mais je peux encore beaucoup progresser. Prenez-moi à l’essai et vous verrez.
- Pour l’an prochain, je cherche encore une fille. Mais, je pense plus à un profil aguerri doté d’une culture des classiques...
La jeune femme interrompt la légende.
- ... Dans tout le peloton, vous ne trouverez aucune cycliste qui connaît, comme moi, chaque centimètre du parcours de Paris-Roubaix.
- Oui enfin bon...
Elle le coupe de nouveau.
- ... personne qui a autant envie de gagner la reine des classiques, et de lever les bras, comme vous, à Roubaix.
- Il y a aussi la barrière de la langue, objecte le manager. Dans notre équipe, on parle anglais ou néerlandais.
- Très bien, j’apprendrai toutes les langues que vous voulez.
- En fait, s’agace l’ancien champion, vous avez réponse à tout.
- Non, je suis seulement déterminée pour qu’on me donne ma chance, ne plus travailler la nuit à l’usine ni venir aux courses en train ou, comme aujourd’hui, en vélo.
- Vous êtes venue en vélo ? demande le manager, visiblement interloqué.
- Oui, quarante kilomètres d’échauffement et autant pour rentrer chez moi avant de prendre mon poste dans trois heures.
Finalement elle obtient un mois d’essai comme stagiaire. Un mois, c’est court pour montrer ce qu’on a dans le ventre. Ewa travaille beaucoup pour sa nouvelle équipe. Elle se lie d’amitié avec ses coéquipières provisoires. Son nom complexe et son explosivité lui valent le surnom de Gaz. Le salaire de l’essai est synonyme de congé sans solde à l’usine. Ewa progresse de manière fulgurante tout en apprenant les bases de l’anglais sur son téléphone. Son essai est prolongé jusqu’en fin de saison.
Le manager de l’équipe l’a convoquée pour lui parler de leur collaboration, elle va enfin savoir. Au cours de cet échange, Ewa Gasztowtt, la petite fille de mineur signe son premier contrat de cycliste professionnelle. Quelle joie ! Son premier objectif atteint, toute son énergie sera désormais consacrée au second : gagner Paris-Roubaix féminin. Malgré son enthousiasme, chaque fois qu'elle parle de son idée d’une épreuve ouverte aux femmes, tout le monde la trouve géniale, mais personne ne fait rien ! Année après année, cette idée l'obsède. Pas une sortie, pas une compétition, pas un seul weekend ne s’écoulent sans y penser.
Rendre accessible aux femmes la course mythique est le combat de sa vie, alors Ewa contacte l’association Les amis du Paris-Roubaix. Son Président trouve fabuleux de voir les femmes arriver avant les hommes, d'autant plus que de nombreuses épreuves ont déjà leur version féminine. Ensemble, ils élaborent un plan et organisent une reconnaissance de parcours pour les femmes. Ewa se charge de la présence des filles du peloton pro et de la promotion sur les réseaux sociaux. L’association, quant à elle, invite les organisateurs de l’épreuve masculine et les journalistes pour cette reconnaissance féminine symbolique.
Le jour J, un plateau digne des plus belles courses s'est réuni au carrefour de l'Arbre. Le public a également répondu présent. Ewa pose un panneau « Paris-Roubaix féminin KM0 », marquant symboliquement le point de départ de l’épreuve. Face à une telle détermination et emballés par l’engouement généré par l’opération, les organisateurs, annoncent officiellement que l’an prochain, au printemps 2020, se tiendra le premier Paris-Roubaix féminin. Ewa est si heureuse que les larmes inondent son visage. Désormais, elle compte bien devenir la première à s’imposer dans l’enfer du Nord réservé aux femmes.
Alors forcément, grandir bercé par ces gladiateurs modernes qui s’affrontent sur les pavés pour remporter l’enfer du Nord donne très envie de pratiquer. Mais faire du vélo coute cher et la famille d’Ewa est modeste. Malgré son insistance, ses parents ne peuvent pas réaliser son rêve. Ils font le maximum pour la rendre heureuse et l’élever dignement, mais quelque chose lui manque. Alors Ewa s’inspire d’Ellen MacArthur et économise son argent de poche et celui des repas de la cantine. Quand elle aura assez, ce trésor paiera son vélo. Il sera de la même marque que celui de son idole Marianne Vos. Mais pour le moment, il est encore à plus de mille euros trop loin.
Ça lui prendra quelques années, mais pour ses seize ans, Ewa a enfin réuni la somme nécessaire. Une remise de fin de saison lui permet même de s’équiper de la tête aux pieds. C’est le plus beau jour de sa vie, après une si longue attente, place aux compétitions. Les premiers entraînements sont difficiles, mais Ewa arbore toujours un grand sourire que ni la pluie, ni le vent ne peuvent effacer de son visage. Elle est heureuse tout simplement.
Les premières compétitions, en revanche, ressemblent à un chemin de croix. Les courses réservées aux femmes sont rares, tout comme les compétitrices. Elle court, le plus souvent, avec des garçons qui font du vélo depuis longtemps. C’est vraiment dur et le cyclisme est un sport exigeant. La première année, Ewa est rapidement lâchée sur toutes les courses. Beaucoup renoncent et baissent les bras face à ces difficultés, mais pas elle ! Ewa termine toutes ses compétitions sans exception. Sans l’avoir jamais avoué à personne, elle a un objectif secret : devenir professionnelle et remporter Paris-Roubaix féminin. Seulement, pour y arriver, elle doit beaucoup progresser et la course de ses rêves n’existe que pour les hommes. Alors Ewa ne dit rien, elle s’entraîne très dur chaque jour tout en travaillant de nuit à l’usine. Son boulot éprouvant ne la passionne pas, mais il lui laisse le temps de s’entraîner. Le salaire paye l’entretien du vélo et ses déplacements aux courses. Malgré la fatigue, elle poursuit ses efforts, sans se plaindre. Chaque jour ses circuits d’entraînement empruntent quelques secteurs pavés, elle aime tant rouler dessus et rêve de l’enfer du Nord.
À force de persévérance, Ewa finit sa première course dans le peloton. Son travail commence à payer. Mais il en faut encore beaucoup pour devenir la première femme à remporter Paris-Roubaix, surtout que l’épreuve n’existe toujours pas. Mais Ewa s’en fiche, ses progrès récompensent son courage, alors elle continue.
Après quelques courses de plus, sa pointe de vitesse lui offre quelques places d’honneur avec les garçons. Puis vient sa première victoire chez les filles. C’est le nouveau plus beau jour de sa vie, mais il reste beaucoup de travail.
En fin de saison, quelques victoires sur des courses locales et une participation aux Championnats de France féminin remplissent les premières lignes de son palmarès. Le chemin vers le professionnalisme est encore long, mais celui parcouru semble désormais immense.
La saison suivante marque de nouveaux progrès. Lors d’une course en Belgique, elle se confronte à quelques équipes professionnelles, dont celle gérée par Johan Museeuw, triple vainqueur de Paris-Roubaix. Ses compétitrices sont toutes des spécialistes des classiques. Pour réaliser ses rêves, elle doit être forte aujourd’hui. Ewa va tout faire pour qu’on la remarque. Sur les pavés, la cycliste nordiste voltige sans jamais quitter les premières positions. Elle se démène tel un lion et fait jeu égal avec des favorites bien plus aguerries. Sans gagner, le pari est réussi, on l’a remarquée. Le manager de l’équipe belge professionnelle, l’une des légendes du cyclisme vient la féliciter de sa prestation. C’est l’occasion qu’elle a attendu toute sa vie. Alors Ewa saisit sa chance.
- Monsieur Museeuw, dit-elle, vous avez aimé ma course, mais je peux encore beaucoup progresser. Prenez-moi à l’essai et vous verrez.
- Pour l’an prochain, je cherche encore une fille. Mais, je pense plus à un profil aguerri doté d’une culture des classiques...
La jeune femme interrompt la légende.
- ... Dans tout le peloton, vous ne trouverez aucune cycliste qui connaît, comme moi, chaque centimètre du parcours de Paris-Roubaix.
- Oui enfin bon...
Elle le coupe de nouveau.
- ... personne qui a autant envie de gagner la reine des classiques, et de lever les bras, comme vous, à Roubaix.
- Il y a aussi la barrière de la langue, objecte le manager. Dans notre équipe, on parle anglais ou néerlandais.
- Très bien, j’apprendrai toutes les langues que vous voulez.
- En fait, s’agace l’ancien champion, vous avez réponse à tout.
- Non, je suis seulement déterminée pour qu’on me donne ma chance, ne plus travailler la nuit à l’usine ni venir aux courses en train ou, comme aujourd’hui, en vélo.
- Vous êtes venue en vélo ? demande le manager, visiblement interloqué.
- Oui, quarante kilomètres d’échauffement et autant pour rentrer chez moi avant de prendre mon poste dans trois heures.
Finalement elle obtient un mois d’essai comme stagiaire. Un mois, c’est court pour montrer ce qu’on a dans le ventre. Ewa travaille beaucoup pour sa nouvelle équipe. Elle se lie d’amitié avec ses coéquipières provisoires. Son nom complexe et son explosivité lui valent le surnom de Gaz. Le salaire de l’essai est synonyme de congé sans solde à l’usine. Ewa progresse de manière fulgurante tout en apprenant les bases de l’anglais sur son téléphone. Son essai est prolongé jusqu’en fin de saison.
Le manager de l’équipe l’a convoquée pour lui parler de leur collaboration, elle va enfin savoir. Au cours de cet échange, Ewa Gasztowtt, la petite fille de mineur signe son premier contrat de cycliste professionnelle. Quelle joie ! Son premier objectif atteint, toute son énergie sera désormais consacrée au second : gagner Paris-Roubaix féminin. Malgré son enthousiasme, chaque fois qu'elle parle de son idée d’une épreuve ouverte aux femmes, tout le monde la trouve géniale, mais personne ne fait rien ! Année après année, cette idée l'obsède. Pas une sortie, pas une compétition, pas un seul weekend ne s’écoulent sans y penser.
Rendre accessible aux femmes la course mythique est le combat de sa vie, alors Ewa contacte l’association Les amis du Paris-Roubaix. Son Président trouve fabuleux de voir les femmes arriver avant les hommes, d'autant plus que de nombreuses épreuves ont déjà leur version féminine. Ensemble, ils élaborent un plan et organisent une reconnaissance de parcours pour les femmes. Ewa se charge de la présence des filles du peloton pro et de la promotion sur les réseaux sociaux. L’association, quant à elle, invite les organisateurs de l’épreuve masculine et les journalistes pour cette reconnaissance féminine symbolique.
Le jour J, un plateau digne des plus belles courses s'est réuni au carrefour de l'Arbre. Le public a également répondu présent. Ewa pose un panneau « Paris-Roubaix féminin KM0 », marquant symboliquement le point de départ de l’épreuve. Face à une telle détermination et emballés par l’engouement généré par l’opération, les organisateurs, annoncent officiellement que l’an prochain, au printemps 2020, se tiendra le premier Paris-Roubaix féminin. Ewa est si heureuse que les larmes inondent son visage. Désormais, elle compte bien devenir la première à s’imposer dans l’enfer du Nord réservé aux femmes.