La fille en or

"Ça a duré une minute, une vraie minute, une éternité. Le temps s'est arrêté, pas de secondes, pas d'heures. Tout est transformé en une minute. Un soir, en revenant de la boutique du quartier, deux malfrats l'ont suivie jusqu'à la ruelle qui conduit à sa maison. Ils l'ont traînée dans une vieille maison abandonnée, ils l'ont prise de force, elle essaie de se défendre, en vain. Elle essaie de crier, en vain. Après cet acte odieux, elle est restée inconsciente pendant une heure. Soudainement, elle ouvre les yeux, entend les cris de sa mère, mais elle n'a pas la force de répondre ni de se relever. Après une heure à chercher sa fille, elle la trouve enfin, désormais rien ne sera plus pareil.Le lendemain, elle savait qu'elle devrait la conduire à l'hôpital, mais elle ne l'a pas fait de peur d'être la nouvelle cible du commérage de ces voisins. Après deux mois, elle découvre que sa fille est enceinte. Elle voulait qu'elle se débarrasse à tout prix de l'enfant du diable, sa fille quand à elle voulait se débarrasser de sa propre vie, une vie sans bonheur, une vie sans la lumière du jour, une vie sans les étoiles de la nuit ce n'est pas une vie, peu importe un jour nous mourrons tous, quelle différence ça fait si c'est aujourd'hui ou dans une dizaine d'années ? Pourquoi rester dans un monde qui m'a tout pris ? À maintes reprises, elle a tenté de mettre fin à sa vie, mais ses plans ont tous échoué, même la mort ne veut pas d'elle.Quelques jours après, elles sont retournées dans leur village natal, ici dans cet endroit paisible et calme où tous les habitants vivent en harmonie avec la nature. Vivait un médecin-feuille, un vieil homme de quatre-vingts ans, l'homme le plus respecté de tout le village. Aujourd'hui, elles ont rendez-vous avec lui. En les voyant arriver, le vieux ne leurs donne pas le temps de parler, il leur a fait comprendre que la fille ne peut pas avorter et que l'enfant qu'elle porte est promis à une grande destinée. Il ferme les yeux, touche le visage et la main de la fille , il comprend rapidement que la fille va très mal physiquement et psychologiquement et que toute tentative d'avortement serait synonyme de la mort.Elles sont reparties déçu , mais la mère n'a pas cru un seul mot de ce que racontait le vieux. D'ailleurs, elle connaît quelques astuces, elle passe au marché et achète toutes sortes de plantes et de feuilles, en rentrant à la maison elle les mélange dans une marmite, laissant les bien bouillir et donne un verre à la petite.À minuit, tout le village s'est réveillé sur le cri d'une maman désespérée qui croyait qu'elle allait perdre sa fille, une fille qui voulait mourir mais pas de cette façon, elle voulait mourir de la plus belle manière possible, la vie la doit bien ça, elle a déjà assez souffert. Devant cette situation, seule une personne saurait quoi faire, le médecin-feuille. Quelques minutes après, il est arrivé dans la maison, déçu et en colère, il a pointé la mère du doigt : "Des femmes comme toi ne méritent pas d'être mères." Il est allé dans la cour et revient avec sept feuilles de sept plantes différentes, il les écrase dans un bol en marmonnant un jargon que personne ne comprenait. Il donne à la fille sept cuillères du jus vert. Au chant du coq, elle allait déjà mieux.Cela a duré une minute, une vraie minute, une éternité. Cela fait déjà 9 mois que l'horloge de sa vie est restée coincée, les mois, les heures, les secondes se sont tous transformés en une minute. Le jour de l'accouchement, sa mère assistait au déroulement de la scène, tenant la main de sa fille, caressant ses cheveux. Elle sait comment c'est douloureux de mettre un enfant au monde, d'ailleurs, elle en a mis quatre, pourtant elle n'est la mère que d'une fille, les autres ont été adoptés. Pour elle, son unique fille c'est un trésor, tout l'amour qu'elle n'a pas pu donner aux autres, elle essaie de le partager avec sa seule fille. Sous l'ordre de la sage-femme, elle applique de l'huile à base de Palma-christi sur le ventre de sa fille essoufflée.Il est là! crie la sage-femme, il est là! Pousse ! Pousse ! Pousse ! Pousse !La future maman pousse de toutes ses forces, mais le bébé semble ne pas vouloir connaître ce monde. La sage-femme commence à s'inquiéter, le bébé devrait déjà naître : "Où est-ce que je fais une erreur ?" Soudain elle crie à la mère de la jeune femme : "le Gombo, tu l'avais bouilli ?" Donne-lui un peu, cela facilitera l'accouchement. La sage-femme prend une bougie, l'allume en marmonnant quelque chose qu'elle seule comprenait, elle fait brûler quelques feuilles sèches, selon elle ça devrait chasser le mauvais présage qui rôdait autour de la petite maison.Quelques minutes après, le même refrain recommence. Pousse ! Pousse ! Vas-y ! - J'arrive pas. - Vas-y ma chérie, tu en es capable. La jeune fille essoufflée serre son poing, fronce ses sourcils, respire profondément et elle recommence à pousser.Je vois sa tête! crie la mère. Continue, répond la sage-femme, tu y es presque, tu y es presque. Ça y est, il est là.La sage-femme prend le bébé dans ses bras, tout le monde attend avec impatience son premier cri, les secondes s'écoulent, pas de cri. Le visage de la nouvelle maman est de plus en plus inquiet, elle prie le Bon Dieu de protéger son enfant, il doit pleurer, pourquoi ne pleure-t-il pas ? On commence tous à s'inquiéter, mais ça n'a pas duré trop longtemps. Enfin, le cri tant attendu se fait entendre, en ce moment on sentait un vent de soulagement. La sage-femme remet l'enfant à sa mère, c'est une jolie petite fille. Cela a duré une minute. Une vraie minute, une minute, ce n'est pas beaucoup, mais c'était la meilleure de toute sa vie . Durant cette courte instant, elle a oublié toutes les douleurs, toutes les souffrances qu'elle a dû endurer pendant toute son existence. Le cri de son enfant, c'est la plus belle des chansons pour une nouvelle maman. Elle la prend dans ses bras, soudain une larme sort de ses yeux et arrose le front de son enfant, elle sourit, l'essuie et dit : "Toi, ma petite fille, tu seras une battante, une guerrière, une grande femme. Je te baptise Claire Heureuse, ce prénom fait référence visiblement à la femme de Dessalines, connue pour son grand cœur, sa générosité."
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