La fille du soleil

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J'avais quinze ans et les deux pieds encore en enfance lorsque chaque matin, j'attendais Nadia devant chez elle ; nous faisions alors ensemble les deux kilomètres à pied pour rejoindre le village. Nadia étudiait la philosophie et moi, j'allais au lycée sans conviction ni autre but que celui de suivre les recommandations de mes parents. La fille de nos voisins avait quelques années de plus que moi, elle était une grande sœur de substitution, une confidente, plus souvent encore quand les mauvais jours frappaient mon existence. Elle me tenait alors par la main et son sourire enjôleur me laissait croire que demain serait différent. Nous avions toujours notre place attitrée dans le bus qui nous emmenait dans nos établissements scolaires, et le gosse mal dans sa peau que j'étais alors se blottissait contre elle pour respirer son parfum et sentir sa présence.

Le soir venu, après une demi-heure d'attente à la gare routière, le bus repartait en sens inverse, puis après avoir refait les deux kilomètres qui nous séparaient du domicile, elle déposait un baiser sur ma joue et nous nous séparions jusqu'au lendemain. En cours de route, nous bavardions comme de vieux amis, nous remémorant les aléas de nos vies. Nadia se rappelait souvent avec un brin de nostalgie sa vie d'avant et son regard se perdait au loin quelque part « là-bas » comme elle disait, au pays du soleil et des palmiers. Les jours passaient ainsi sans que je m'en rende compte. Sur demande de mes parents, elle me concédait quelques cours de soutien scolaire et moi, je regardais simplement remuer ses lèvres, perdu dans mes pensées. Elle rapprochait alors son visage jusqu'à ce que nos nez se touchent et quand ses yeux clairs s'incrustaient dans mon esprit, je sortais de ma léthargie. Nadia éclatait alors d'un formidable éclat de rire et dans ses bras, je retrouvais une forme de sérénité.

J'étais bien trop jeune en ce temps-là pour me rendre compte de la chance que j'avais de pouvoir profiter de ses faveurs pendant que d'autres cherchaient vainement à attirer son regard.
Puis un soir sur le chemin du retour, un violent orage s'abattit sur nous, nous avons couru pour nous mettre à l'abri d'une gloriette qui se trouvait sur notre chemin. Il suffit de quelques secondes pour que nous soyons trempés jusqu'aux os, il fallut donc patienter le temps que cesse le déluge.
Nadia pour une fois avait perdu ses magnifiques boucles noires, et ses cheveux retombaient lourdement sur ses épaules. Quelques franges indociles balayées par la bourrasque s'étaient égarées sur son front et ondoyaient le long de son nez en enrobant sa joue. D'autres encore scindaient effrontément son œil gauche, et tout cela, enluminé par les gouttelettes de pluie, me semblait soudain d'une incroyable beauté. Pour la première fois, je me suis dit : « Dieu qu'elle est belle ! »

Quelque chose en moi venait de s'éveiller !

Tandis qu'elle retirait sa veste et qu'il ne restait plus que son chemisier mouillé, je restais sidéré de voir apparaître ce que je ne soupçonnais pas. Tout alors fut différent ; à dater cet instant, je voyais en elle, « la Femme », comme je ne l'imaginais pas. Et déjà, je portais plus d'attention à ce visage, à la finesse de ses traits, aux détails de ses sourcils qui enluminaient ses yeux. Je n'arrivais plus à me détacher de ses lèvres si bien dessinées, je restais planté là, immobile sur le banc, incapable d'effacer sa silhouette de mon esprit.

Elle enleva ses chaussures qui avaient pris l'eau, puis voyant que je restais sans réaction, comme d'habitude elle prit l'initiative de me débarrasser de ma veste en m'envoyant un « coucou » susceptible de me ramener à la réalité. Je restais muet, avec la désagréable sensation de commettre une profanation. Je découvrais là l'élégance de ses gestes, le galbe de son corps, le prodige de ses rondeurs et la délicatesse de sa peau moirée. L'étrange sensation qui se faisait au creux de mon estomac et l'impossibilité de détourner mon regard prévint toute action.

C'est une incompréhensible peur qui s'imposa ensuite, un sentiment étrange et inconnu, la peur de la voir s'éloigner un jour. Je venais de découvrir « l'amour », l'amour brut, l'amour avec ses joies et ses peines, l'amour et sa contingence qui m'imposerait, je le savais déjà, de la laisser s'en aller. J'étais prêt à céder à Satan huit années de ma vie pour avoir le droit de vivre avec elle le reste de mon existence.
Je ne sais pas comment j'ai pu avoir le courage de me jeter à son cou pour me presser contre sa poitrine et pendant un instant, j'ai cessé de respirer. Ce fut un instant de grâce et pendant un long moment nous sommes restés sans mot dire, les yeux dans les yeux, Nadia venait de comprendre elle aussi et j'ai vu dans son regard le reflet de ses pensées les plus intimes, et peut être également quelques regrets ?

Nous avons partagé, je le sais, la joie, puis la peine et finalement le désespoir et les chagrins que vous impose l'évidence. La cruauté aussi d'une prise de conscience définie par la règle du temps et des âges. Ainsi va la vie ! Mais ces quelques instants d'union de nos sentiments resteront gravés en ma mémoire pour l'éternité. Quelquefois, je ferme les yeux et je retrouve encore la fragrance de son parfum puis, les jours de pluie, quelques gouttes qui mouillent ma chemise suffisent à me rappeler Nadia et la sensuelle tiédeur de son corps.

Oh Dieu ! qu'elle était jolie la fille du soleil !

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