La fête foraine

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Chaque année, avec Manon et Victor, nous allons à la fête foraine. Ce sont toujours les mêmes manèges, mais on ne s'en lasse pas. Cette année, pourtant, il y avait une nouveauté. 
C'est Victor qui l'a remarquée en premier.
— Regardez ! Il y a une nouvelle attraction, là ! Elle n'y était pas la dernière fois !
En effet, il y avait, derrière le marchand de barbe à papa, une vieille maison toute biscornue.
Je me suis écrié :
— Super, une maison hantée ! On y va ?
— Chiche !
 
Sur le seuil, une sorcière immonde nous attendait. Son déguisement était parfait : vieilles guenilles, nez crochu et verrues, il ne manquait rien. Elle nous a demandé :
— Vous êtes prêts à affronter vos plus grandes peurs ? Quitte... à ne jamais ressortir ?
— On n'a peur de rien ! a répondu Manon. À part Victor, qui a peur des araignées ! 
La sorcière a poussé la porte pour nous laisser entrer. Sur le linteau, il y avait une inscription :
« Ne vous fiez pas aux apparences ».
 
Nous avons suivi un long couloir. On entendait des pas, des grincements de porte, des gémissements. Il faisait très sombre. Au plafond, les ampoules grésillaient et clignotaient. Manon a frissonné.
— Ne t'inquiète pas, tout est faux, fanfaronnait Victor.
Au bout du corridor, une porte s'est ouverte, puis s'est refermée derrière nous en claquant. Il nous a fallu un peu de temps pour nous habituer à l'obscurité. La pièce semblait vide, jusqu'à ce que de petites choses se mettent à bouger un peu partout. Victor est devenu livide :
— Des... des... des arai...
Autour de nous, les murs étaient tapissés de milliers de petites araignées qui descendaient du plafond et se dirigeaient vers nous. Je me suis écrié :
— Pfff, c'est du plastique ! Des jouets mécaniques, ça se voit ! Venez, on sort de là.
Je ne vais pas vous mentir, en vrai, j'étais terrifié. Mais je ne voulais surtout pas que Victor panique. Hélas, c'était trop tard. Il était pétrifié, incapable de faire un pas. Des milliers d'arachnides ont commencé à monter le long de ses jambes et à tisser une toile. Leurs corps étaient couverts de poils ; ils n'avaient plus du tout l'air d'être en plastique. Heureusement, un courant d'air venu de nulle part venait d'ouvrir des portes battantes dissimulées dans un mur.
Manon a crié :
— Venez vite !
Mais Victor n'en a pas eu le temps. Quand Manon et moi sommes passés dans la pièce suivante, les portes se sont refermées sur notre ami et ont disparu, comme englouties par le mur.
Manon était paniquée.
— On ne peut pas le laisser là !
— Ne t'en fais pas, nous le retrouverons dehors ! ai-je assuré, même si, pour être sincère, je n'en étais pas tout à fait certain. 
 
L'endroit dans lequel on se trouvait désormais était très étrange. Il y faisait encore plus sombre que dans la pièce aux araignées, mais c'était beaucoup moins cauchemardesque. Il y avait une rivière calme et agréable. Une brise légère dessinait de petites vagues à la surface des flots. Sur la rive, une barque nous attendait. J'étais rassuré, et persuadé que ce bateau nous conduirait vers la sortie.
— Viens, on monte dans le bateau ! C'est probablement le seul moyen de sortir d'ici.
— Tu es sûr que c'est sans danger ? a demandé Manon.
— Évidemment ! Il doit y avoir un mètre d'eau à peine !
Naviguer sur la rivière était assez simple. Au début.
— Je ne vois pas ce qu'il y a de terrifiant ici, a dit Manon.
J'ai ricané, en prenant une voix terrifiante :
— Ne te fie pas aux apparences !
Je ne croyais pas si bien dire ! Soudain, de petites lumières se sont allumées un peu partout. Le décor a immédiatement changé d'aspect. Manon a poussé un cri :
— Regarde l'eau ! C'est du sang !
Malgré ma peur, j'ai réussi à me contenir.
— C'est de la peinture, ne t'inquiète pas.
La barque a commencé à tanguer un peu, puis de plus en plus. Je n'étais pas très à l'aise, je dois bien l'avouer. Quant à Manon, elle a commencé à franchement paniquer :
— Léon, il faut que je te dise... Je ne sais pas nager !
À peine avait-elle fini sa phrase qu'une main a surgi brusquement hors de l'eau. Une longue main blanche et sale, aux ongles crochus, qui a saisi Manon par le bras pour l'entraîner vers le fond. Elle n'a même pas eu le temps de se débattre. Elle a disparu en quelques secondes, tandis que la surface de l'eau redevenait lisse et calme comme si rien ne s'était passé.
 
C'est là que j'ai commencé à avoir vraiment les chocottes. J'avais beau savoir que c'était une attraction de fête foraine et que mes amis m'attendaient probablement dehors, j'avais hâte de sortir. Quelque chose d'autre m'inquiétait aussi : la sorcière avait parlé d'affronter ses plus grandes peurs. Or, Victor avait été attaqué par des araignées, sa pire phobie. Manon, qui ne sait pas nager, avait été entraînée sous l'eau. Qu'allait-il m'arriver, à moi ?
J'ai réfléchi... ma plus grande peur... Je n'ai peur ni des insectes, ni des serpents. Je sais nager, faire des arts martiaux, je ne crois pas aux extra-terrestres. Ma plus grande frayeur, celle qui me fait faire des cauchemars, n'existe pas pour de vrai. J'ai cru... ou plutôt j'ai espéré, de tout mon cœur, que je ne risquais rien.
La barque a touché la rive, j'ai continué mon exploration tout en cherchant la sortie. Nouvelle porte ; je l'ai poussée sans difficulté. Le décor était somptueux : longue table en bois entourée de sièges recouverts de velours, cheminée démesurée, grands miroirs dans de riches cadres en or, et chandeliers un peu partout.
J'ai entendu un bruit de pas et je me suis retourné : la sorcière venait d'entrer. Il y en avait une autre appuyée contre un mur, et encore une autre un peu plus loin. Je me suis mis à tourner sur moi-même, et j'en découvrais chaque fois de nouvelles. J'ai voulu faire le fier, et j'ai déclaré en riant (jaune) :
— Raté ! Je n'ai jamais eu peur des sorcières ! La seule chose qui me terrifie, ce sont les...
C'est là que je me suis dit que quelque chose clochait. Ces sorcières, d'où venaient-elles ? Pourquoi est-ce que je ne les avais pas vues venir alors que la pièce était pleine de miroirs ? J'ai vérifié. Je me suis posté face à une glace, mais à part mon visage livide et mes cheveux qui se dressaient sur ma tête, je n'ai rien vu. Ces sorcières étaient donc...
— Ne te fie pas aux apparences, a ricané l'une d'elles, en laissant voir deux énormes canines...
Des vampires ! Mon pire cauchemar. J'étais encerclé. J'avais beau crier, je savais que personne ne m'entendrait. Je crois que j'ai perdu connaissance quand je les ai vus fondre sur moi.
 
***
 
Lorsque j'ai ouvert les yeux, une lumière forte m'a aveuglé. Du soleil ! Un grand soleil brillant... J'étais dehors ! Je me suis redressé et j'ai jeté un coup d'œil autour de moi. Tout semblait normal, et pourtant, quelque chose me tracassait. 
Près de moi, quelqu'un a lancé :
— Tu vas bien ? 
C'était Manon ! Elle était bien là ! Victor, très pâle, était à ses côtés. Je me suis approché d'eux et les ai enlacés. J'ai ressenti alors un profond soulagement, et j'ai eu l'impression de respirer plus facilement. 
Nous avons ri, nerveusement, puis j'ai scruté une nouvelle fois les alentours. Le vendeur de barbe à papa était toujours là, à sa place habituelle, mais derrière lui, plus aucune trace de la maison hantée. Elle avait disparu.
J'ai observé mes amis plus attentivement. Manon était trempée. Victor avait le corps couvert de petites piqûres.  Instinctivement, j'ai passé la main sur mon cou. J'avais une longue trace de sang coagulé juste à l'endroit où passe la veine jugulaire.

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Image de La fête foraine
Illustration : Mathilde Ernst