Par un beau matin de printemps, Paul se leva et s'installa sur sa terrasse pour prendre le petit déjeuner. Alors qu'il buvait son café, il releva quelque chose d'anormal. Il entendait un silence d'une rare intensité. Si sa maison était en pleine campagne, c'était pourtant la première fois que le silence était si lourd. Il n'entendait ni le chant des oiseaux, ni le bourdonnement des insectes volants, pas même un âne brailler ou une vache beugler au loin.
Occupé à nettoyer sa maison et à faire sa toilette, cette sensation étrange lui passa mais quelques heures plus tard, alors qu'il entretenait son potager, le silence régnait toujours et il n'apercevait aucuns insectes. Mais où étaient passés tous les animaux ? Il rentra chez lui, saisit ses jumelles et observa la campagne environnante par la fenêtre battante de son grenier. Il vit alors quelques oiseaux très loin à l'horizon et il pouvait aussi distinguer quelques papillons flotter dans les airs. Dans la ferme voisine, les vaches étaient regroupées sous un arbre tout au fond de leur champ. Cela le rassura, les animaux n'avaient pas disparu mais il semblait qu'ils préféraient vivre au plus loin de chez lui.
Et Pito, son chat, où était-il ? Il ne l'avait pas vu de la journée.
Le matou rentra tard à la maison, l'air dédaigneux. Mais ce n'était pas cet air supérieur que la majorité des chats véhiculent souvent, il faisait comme si Paul n'était pas là. Il n'était pas rare de voir Pito s'absenter la journée entière mais d'ordinaire, à son retour, il n'arrêtait pas de miauler et de réclamer des caresses. Ce jour-là, rien, il se contenta d'aller se coucher sous le buffet du salon, bien loin de son propriétaire.
Le lendemain, Paul observa le même comportement étrange chez nos amis les bêtes. Il rendit alors visite à son voisin pour lui demander s'il rencontrait le même problème avec ses animaux. L'agriculteur lui confirma ses observations.
- "Depuis hier, Mustang, mon âne, ne m'approche même pas lorsque je lui amène une portion de fourrage ou de pain. Il attend au fond de sa parcelle et c'est seulement lorsque je pars qu'il vient manger les victuailles."
L'agriculteur continua sur un ton désespéré.
- "Et mon Spirou, il n'a pas aboyé depuis deux jours. Il n'a même pas cherché à courir après le facteur ni hier, ni aujourd'hui. Et quand je lui ai lancé une branche, il m'a regardé d'un regard méprisant avant d'aller se coucher dans sa niche. Deux jours qu'il refuse mes caresses le Spirou. S'il est aussi déprimé demain, je l'amènerais chez le véto."
En rentrant chez lui, Paul vit une colonie de fourmis faire des allers/retours sur le chemin, il s'arrêta pour les observer mais quelques secondes plus tard, il n'y avait plus un mouvement. Leur autoroute était fermée, les deux rangées de fourmis avaient disparu en un rien de temps dans le fossé attenant.
Paul réfléchit longuement. Peut-être qu'une catastrophe naturelle allait se produire et que les animaux l'avaient sentie. Mais cette solution paraissait peu plausible puisqu'il n'y avait pas un nuage dans le ciel ni même une petite brise dans l'air. Lorsqu'une catastrophe arrive, les animaux se cachent et fuient le danger mais ils ne s'éloignent pas forcément des humains. Le chien du voisin se serait caché dans la maison proche de son maître et non à l'extérieur dans sa niche.
Une fois de retour chez lui, Paul alluma la télévision, Pito n'était pas sur l'accoudoir du canapé comme il l'est souvent mais il avait encore déserté la maison. Sur les chaînes d'information en continue, des dizaines de personnes témoignaient du comportement étrange des animaux à travers le monde.
Les tortues se rentraient dans leur carapace à la moindre vue d'un humain.
Les cochons se couvraient de boue pour passer inaperçus. Les hippopotames utilisaient la même technique.
Les chevaux partaient au galop dès qu'un humain s'approchait d'eux.
Les poules pondeuses avaient cessé de pondre des œufs.
Les crustacés restaient éloignés des côtes et faisaient leur petite vie au bord de falaises abruptes.
Les insectes avaient tous rejoint des zones dépeuplées.
Les mammifères sauvages restaient dans leurs terriers ou dans les zones protégées des forêts ou de la savane.
Et des exemples comme cela, il y en avait des centaines
Aucun scientifique n'avait trouvé d'explication au phénomène mais tous étaient d'accord pour dire que les animaux voulaient passer un message aux humains. Ils semblaient nous dire : "Puisque vous, les humains, faites tout pour que nous disparaissions, alors nous préférons vivre au plus loin de vous afin de garantir notre protection".
Les humains allaient-ils continuer de vivre ainsi sans le chant des oiseaux, sans le bourdonnement des abeilles, sans les caresses de leurs chats et chiens, sans les bulles des poissons, sans les sauts de sauterelles, sans les mignonneries des lapins, pingouins, chatons et toutes autres espèces poilues, à plumes ou à écailles ? Ou alors, allaient-ils réagir pour vivre en pleine harmonie avec le monde qui les entoure ?
L'avenir était entre leurs mains.