La dysgueusie

Ce matin-là, Amné la sexagénaire se réveillait brusquement sur son couchage. Elle avait un trouble de sommeil la nuit passée comme une âme en peine dans une recluserie. Il était déjà huit heures et elle n’a pas pu rejoindre ses compagnes d’infortune. Et pourtant, elle est une lève-tôt.
Faciès ridé par le poids de l’âge, visage patibulaire, cavité orbitaire creux et yeux presque fermés ; c'était une vieille dame sèche, incapable de mettre le fil dans le chas d’une aiguille. Elle s’avançait à pas pesants, son allure exprimait un profond désarroi. Amné se dirigeait vers l’amas de matériaux s'élevant sur une large base. Amné tenait un sac poisseux qui contenait son marteau, outil de concassage. La sueur dégoulinait à flots de son visage blême. Tout cela, c’est juste pour avoir une pitance journalière.
Une de ses compagnes nommée Kassara l’aperçut de loin et commença à taper la poitrine, en signe de contrition du fait que Amné marchait difficilement comme si elle avançait à reculons.
Sous un soleil torride, elle essayait de plonger ses mains dans les décombres et commençait à triturer dans les morcelles de briques auxquelles adhéraient les bribes des fers servant de fil d’attache.
Dame Amné n’a pas de coudes assez solides pour briser ce cocktail dur comme le diamant. Elle passe dix à quinze minutes avant d’y parvenir. Elle ne se lasse pas, puisque sa vie en dépendait. C’est une véritable guerrière du quotidien.
Ce travail de concassage est le seul moyen de survie de la pauvre Amné. Chaque jour, elle rentrait à la maison vers dix-neuf heures avec une poignée de riz pour le repas. Manger pour elle et sa petite-fille est une aubaine, car il y a des jours où elle ne trouvait pas un sou pour la pitance.
Son feu mari, monsieur Babikir fut un agent de la voirie à la commune. Moins qualifié, son traitement ne dépassait guère le seuil de SMIG qui est de vingt et sept mille francs CFA, en dépit de ses vingt ans de service rendu à la nation. À la mort de Monsieur Babikir, la veuve Amné vit la géhenne. Percevoir le capital-décès de ce dernier est un mystère de la croix en raison des manœuvres et des louvoiements des agents de la Caisse nationale de la sécurité sociale. Cette caisse qui s’est assigné un noble objectif, devient un mouroir à cause des agents qui veulent se sucrer au dos de ceux qui ont cotisé des années durant pour une retraite digne.
Le repas quotidien de Amné et sa petite-fille, est composé d’une boule de djigari avec la sauce de daraba . Les ingrédients ne sont que du sel et de natron. La sauce est noire comme le goudron. Comme une personne tellement affamé apprécie difficilement le goût, elles mangeaient comme s’il s’agissait d’un repas fastueux.
Un matin, elle sortait pour le concassage, un motocycliste ivre l’a renversée. Elle est tombée raide. Les parents de son épouse et sa propre famille apporte beaucoup d’argent et de moyens matériels pour organiser des grandes funérailles.