La dualité de mon existence

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut être les deux.
J’ai toujours cru tout avoir mais je n’ai toujours pas eu ce que je voulais.
Peut-être que cette chose n’existe pas, ou peut être que j’ignore ce que je recherche.
Serait-elle une illusion, ou serait-elle réelle ?
Tant de questions que je me pose, mais une seule réponse est vrai. Il faut vraiment être dans une obscurité profonde pour ne plus savoir si on a les yeux ouverts. Se sentir impuissant face à ce qui nous arrive, nous effraie au point de se laisser aller sur un nuage paisible et de plonger dans de certaines absurdités (plaisirs éphémères), tout en sentant cette aiguille nous traverser la veine.
A l’intérieur de cette seringue, un drôle de liquide, composé d'un mélange dont j’ignore la composition mais on connait les conséquences à cause des ravages sur mon corps.
Quel genre d’homme suis-je ? Plutôt que suis–je entrain de devenir.
L’homme que j’étais semble être un lointain souvenir, à présent je suis un zombie accro à cette toxine. Cependant je continue à exercer avec aisance mon métier d’infirmier thérapeute en chef à l’instar de patients à risque moindres qui requièrent une assistance et un traitement quotidien dans un environnement spécialisé et contrôlé.
Chaque matin, je rends visite à trois de mes patients dans un hôpital psychiatrique, je pars toujours de bonne humeur juste après ma dose d’héroïne car il m’est impossible d’aller travailler sans ce rituel particulier.
Un beau jour j’avais du temps devant moi, la perspective de travailler sans pression, et de voir trois hommes malades qui, bien que déments, sont d’un contact très agréable. Je savais aussi que le déroulement de la matinée me permettait de saluer le directeur de l’établissement, placer deux plaisanteries, discuter avec le médecin coordonateur qui est justement une bonne amie. Je suis arrivé, et j’ai pris le temps de lire les transmissions infirmières de la semaine qui concernaient mes patients. Les infirmières ne manquent pas de me signaler les soucis qu’elles espèrent me voir résoudre. Je m’empare ensuite des dossiers de mes patients, et pars les visiter chacun dans leur chambre.
Je les vois les uns après les autres et la plupart du temps j’ai tendance à m’attarder un peu dans la chambre du troisième patient car je m’étais familiariser avec lui. Il était très instruit, et me paraissait ouvert d’esprit malgré son état mental.
Tandis que, notre discussion se prolongeait je me rendis compte que c’était l’heure de la pause et que le reste du personnel hospitalier était soit en salle de pause ou installé au réfectoire entrain de savourer pleinement leur demi-heure de détente.
Ne voulant guère rater cette occasion, je décidais de lui dire aurevoir sans imaginer ce qui allait arriver par la suite. A peine lui ai-je dis que celui-ci se saisit d’une grande frustration, me tira par la blouse et tenta de m’étrangler de toutes ses forces.
En moins d’une minute je sentis que ma vision s’éfloutait et que mes forces me quittaient peu à peu, cela était peut être dû au manque d’oxygène. J’étais à deux doigts de perdre connaissance lorsque je me souvins qu’à l’intérieur de ma blouse j’avais en ma possession un puissant sédatif qui administré à fortes doses pouvait causer d’énormes dégâts. Je tentais toujours de me défendre sans résultat car les crises de panique d’un schizophrène ont tendances à quadrupler ces forces.
Me sentant en danger, il fallait que je réagisse alors d’un simple mouvement de bras je sortis le sédatif de ma blouse et l’enfonça dans son cou...
Immédiatement celui-ci me lâcha et se mit à convulser fortement au point de vomir sur le sol. Je fus pris de panique et tenta de le réanimer mais en vain, son cœur s’arrêta aussitôt et mon patient venait de rendre l’âme.
Qu’ai je fais ? Plutôt que dois-je faire.
Cette mort me révoltait car elle était intervenue de façon brutale. Je n’aime pas toucher un patient décédé, quelque soit le délai, la température ou la consistance de sa peau, je dois pourtant le faire pour m’assurer que la mort est bien ‘‘réelle et constante’’.
Ne constatant aucun pou, ni battement dans sa poitrine j’étais confronté là à une situation inhabituelle. Il s’agissait de mon tout premier meurtre même si cela était de la légitime défense.
Comment l’expliquer ? Peut-être le prouver.
Sans que cette situation ne provoque aussitôt des suspicions de la part des autres membres du personnel hospitalier.
En réalité, je venais d’enfreindre l’une des lois du règlement intérieur de L’hôpital qui disait : «  qu’aucun membre du personnel n’avait le droit de se trouver en présence d’un malade en dehors des heures de soins ». J’étais dans un sal pétrin surtout avec ce cadavre à la clé je devais vite réagir.
En tant qu’infirmier thérapeute en chef, je connaissais avec certitude le protocole effectué lorsque survient un décès brusque vu qu’à la base je suis moi-même chargé de rédiger la plupart des certificats de décès.
Pour un début, l’infirmier en charge du patient devrait mentionner dans son rapport les circonstances exactes par lesquelles sont intervenues la mort du patient.
Ensuite, il devrait mentionner l’ensemble des médicaments administrés au malade, ainsi que le traitement suivi par celui-ci.
Enfin, l’infirmier devrait passer un examen de sang par simple contrôle de nécessité ; c’est à ce niveau que mon problème se situait car cet examen allait révéler la présence de l’héroïne dans mon sang ce qui n’était pas bien pour ma défense.
Un silence s’installa dans la pièce pendant que je cogitais, lorsque soudain une idée de génie me traversa la tête. Cette idée consistait à m'inspirer de l’identité du patient mort en face de moi.
Toutes ces années, d’expériences dans cet hôpital m’avaient permis d’être en contact avec un grand nombre de patients schizophrènes, me permettant ainsi d’apprendre plusieurs choses leur concernant telles que : leur personnalité, leur agissement et ces formes de schizophrénie qui ne sont pas des catégories figées.
La schizophrénie simple était l’alibi parfait car me faire passer pour un malade atteint de psychose blanche (niveau 1) était chose facile pour moi car ceux-ci ont tendance à l’isolement et au repli autistique dans un monde intérieur. Le malade manifeste une froideur affective, marque un désintérêt pour les autres, se complait dans la solitude. Mon passif dans les groupes de désintoxication anonyme et mes rendez-vous fréquents chez le psy afin de parler de mes problèmes de dépression peuvent me servir de carte blanche afin d’appuyer cette alibi de malade schizophrène.
Pour combler le puzzle je devais faire passer mes prises d’héroïnes pour un traitement médical car il est prouvé scientifiquement que l’héroïne peut apaiser la douleur morale (tristesse, angoisse), calmer la douleur physique (c’est un antalgique), en cas de dépendance, elle supprime les désagréments du manque, elle peut procurer une sensation de bien-être physique et psychique, euphoriser tout en restant lucide donner un sentiment de confiance en soi. Ce stratagème élaboré est en quelque sorte ma carte de sortie de ce dilemme.
Est-ce de ma faute ? Peut-être le destin.
Je laisse plutôt au temps de me le dire car on voit mieux les choses avec des yeux qui ont déjà pleuré. Chaque personne à le pouvoir de décider d’aller chercher la lumière afin de chasser les ténèbres qui obscurcissent sa vision et qui plonge son âme meurtrie dans une confusion sans précédent.
En choisissant d’être schizophrène, je choisis de vivre plutôt que d’encourir une peine sévère voir la condamnation à vie pour homicide volontaire. Je pourrais être interné quelque temps dans un centre pour malade mentaux et espérer en sortir un jour même après quelque années (3 à 4 ans) voire 2 pour bonne conduite. Je n’étais pas fier de ce que j’avais fait, mais aucun regret ne fait avancer un homme ; je dirais plutôt que toute vérité cache un mensonge et que dans mon cas la folie était une liberté.