La dernière danse

« Maître? Vous plaisantez? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. », lâcha-t-elle, d'une voix étouffée. L'homme qui lui faisait face ne recula pas, son regard animé d'un mélange d'aigreur et de mépris. Voilà une heure qu'il esquivait les reproches. Il n'avait pas l'habitude de s'emporter, mais, cette fois, elle exagérait.

Devant l'absence de réponse, elle détourna la tête. Le silence qui planait était insupportable. Son pouls résonnait si fort qu'elle nourrissait la certitude qu'il pouvait l'entendre aussi. L'écho de la gifle qu'elle reçut mit fin à l'attente. Elle accueillit le coup sans broncher. À quoi la parole lui servirait-elle de toute façon? Il n'écoutait plus. Seul le temps et la distance sauraient lui faire entendre raison. Elle devait attendre et se taire. Mais quelque chose en elle, aujourd'hui, refusait de soumettre.

Lui, il commençait à perdre patience. La colère avait cédé à la rage et la rage, elle, n'avait pas de limites. Tant d'arrogance dans un être si faible. Elle ne semblait pas près de s'abandonner à lui. Que pouvait-il faire de plus? « N'avez-vous pas honte de vous défendre ainsi? », gémit la forme à ses pieds. De quel droit l'accusait-elle? N'était-elle pas l'instigatrice de ce conflit? N'avait-il pas droit, lui aussi, d'être blessé?

Elle se permit de le regarder un bref instant pour peser l'effet de ses mots. Sans doute espérait-elle qu'il entendrait la raison. Ce qu'elle vit la fit frissonner... Ce n'étaient plus les yeux de l'homme qu'elle connaissait, c'était ceux d'une bête qui guette sa proie. Une bête, sa bouteille à la main : aussi puissante que minable. « C'est bon, vous avez gagné. », murmura-t-elle d'un ton si calme qu'elle-même se surpris.

« C'est bon, vous avez gagné. » Les mots résonnaient dans sa tête comme un tambour. Gagné, gagné, gagné... Et, elle, qu'avait-elle perdu? À présent, il ne souhaitait plus le calme. Elle devait répondre de ses actes. Il voulait la justice, le respect! Il devait la punir.

Devant la désescalade, l'orgueil fut englouti par la peur et le calme céda à la panique. Elle n'avait plus qu'une seule envie : fuir cet homme qui la menaçait, le bras levé.

Enflammé par l'affront, il ne réfléchissait plus : il bouillonnait. Il se faisait tard, il voulait dormir. L'échange avait assez duré. D'un coup sec, il balança la bouteille. Le son du verre eût l'effet d'une berceuse. La femme à ses pieds ne bougeait plus.

Plus rien, le noir.

Et les pleurs d'un enfant qui criait « Maman! ».