La dérive

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Bref, peu importe. Ce qui est sûr, c'est que je pense et je me sens fonctionner. D'ailleurs, voilà que mon meilleur ami, m'appelle.
Je me sens libre, loin de tous ces regards accusateurs me critiquant, bougrement d'entretenir un quelconque rapport avec celui qu'il appelle ce"pauvre type". Stigmatisé et considéré comme dangereux, je suis le seul qu'il fréquente et son véritable allié dans tout ce qu'il fait. Les préjugés sur ce "pauvre type" sont agaçants, du moins, angoissants, aussi bien, pour lui que pour moi.
Notre relation était des plus improbables et des plus curieuses, car au début il ne parlait à personne, on ne lui connaissait aucun lien de parenté ou d'amitié dans le quartier. Ce dont on était certain, c'est qu'il fait partie des "sans domicile fixe" vivant dans une voiture. Et pourtant, lui, assez invraisemblablement, c'est dans la Radlett Avenue à Bellflower ici en Californie qu'il dort chaque nuit; devant une maison abandonnée et en n'encourant aucun risque, d' une sévère sanction pour mauvais stationnement. Moi aussi, je réside dans cette même rue, au fond de l'allée. On se rencontrait d'ailleurs, très souvent, la nuit quand je revenais d'une soirée et lui se tenant devant sa bagnole, entrain de fumer et de picoler. Il est plus ou moins frêle avec une taille imposante.
Ce soir là, cinq jours avant Noël, je revenais de l'université vers vingt heures, marchant tranquillement sur le trottoir de la rue, à première vue, déserte et comme d'habitude, il était là. Il n'y avait aucun bruit, un silence profond et terrifiant. Quand je m'apprêtais à dépasser sa voiture, je sentis, subitement des pas feutrés et pressés s'approchant de moi par derrière. Je me retournais et je me retrouvais face à un individu, élancé et costaud, masquant son visage par une cagoule. Tenant un couteau visiblement neuf et bien tranchant, il me demandait tout ce que j'avais sur moi. Apeuré et sans solution, je cédais, sans bruit, quand soudain, je vus cette tête, avec de longs cheveux noirs ébouriffés, que je connaissais seulement de vue, et qui venais, avec hâte, à mon secours avec un flingue. Il neutralisait cet agresseur juste avec des menaces avec son arme. Il venait aux nouvelles, après avoir poursuivi, sans succès, le voyou qui se sauvait. Je lui assurais que tout allait bien et le remerciais infiniment. Je l'invitais à prendre du thé chez moi, ce qu'il avait accepté volontier. Nous nous étions tutoyés, ainsi, je découvrais son prénom : James.
Mes parents et particulièrement ma mère lui exprimèrent toute leur gratitude pour son aide à moi. Depuis ce jour, je m'étais fortement attaché à lui, je lui étais redevable dans ma conscience. Il tenait, lui aussi, à moi, me voyant une certaine confiance. En fin de compte, nous étions devenus de très bons amis. On se quittait presque plus, lorsque je n'allais pas à l'université et il passait régulièrement à la maison. Il ne manque jamais les matchs de tennis que l'on regarde ensemble et surtout ceux de Roger Federer, qu'il décrie comme un régal sans égal.
Mes camarades universitaires et mes amis du quartier voyaient mal notre relation parce que James est quand même une personne bigarrée et excentrique dans son accoutrement, qui pour survivre avait dû commettre quelques séries de vol et a eu plusieurs démêlés avec la justice.
Toutefois ce qu'ils ignorent, c'est comment le "pauvre type" en est arrivé à cette situation. James a vécu une enfance pas simple avec des parents pauvres. C'est un texan qui s'est réfugié à Bellflower pour fuir les nombreuses dettes qu'avaient laissées ses parents, avant leur accident qui leur avaient été fatals. L'unique bien en sa possession est une vieille berline noire, avec des rayures blanches sur les côtés, qu'il avait amenée du Texas. N'ayant pas de travail, James cherche désespérément à se nourrir au quotidien. Pour pallier à sa détresse, il fume beaucoup de cannabis, également, il s'est noyé dans l'alcool. Dans ces moments, il semblait être débarrassé de tous ses tracas et ennuis.
Néanmoins, il est devenu accroc au cannabis, ce qui le met dans un état vraiment lamentable, paraissant déséquilibrer d'un point de vue physique, mais aussi et surtout sur le plan psychique. Quelques fois, il menace de se suicider en maugréant. Cependant, il présume toujours, qu'il plaisante après avoir retrouvé ses sens. Il considére la vie injuste, n'ayant jamais vraiment connu le bonheur et n'ayant ni ami mis à part moi, ni copine, ici à Bellflower.
Là James m'appelle et je le rejoins dehors près de sa voiture. Il a orchestré une promenade avec moi dans l'océan pacifique sur une barque qu'il avait commandé. Nous faisons pleins de choses ensemble, nous sommes quasiment inséparables quand je ne vais pas à l'université. Je l'aide beaucoup à oublier ses soucis et il mange aussi à la maison quand il veut. C'est la moindre des choses pour quelq'un qui m'a secouru, quand j'en avais besoin.
Vers dix sept heures, nous partons, tout en relaxe vers l'ouest, donc vers la mer. Sur le chemin, nous discutons de match de tennis et vaguement sur la politique. Après trente minutes dans sa voiture, nous arrivons et réglons certaines formalités avant d'entamer cette flânerie. Nous démarrons notre balade sur l'océan. C'est lui qui conduit la barque blanche , longue de huit mètres et assez confortable. Nous n'avions pas parlé depuis qu'on n'avait commencé cette promenade, on se contentait d'admirer la beauté et la grandeur de ce vaste étendue d'eau. Au bout de dix minutes d'excursion, il avait arrêté la barque en éteignant le moteur et me dit d'une voix rauque, qu'il aime, qu'il me donne la voiture et que je n'oublie pas de prier pour lui.
Tout à coup, il sauta. Je ne savais pas nager et lui non plus. Je fus petrifié et sans voix, totalement déboussolé.
À cet instant précis, je me rends compte que je faisais un cauchemar car ma mère était venue me réveiller. Et pas seulement, elle m'annonça brusquement la mort de James qui s'était suicidé. Ma réponse abasourdit maman :
-je sais;
Mais, elle en fait fi, et m'expliqua qu'il s'était tiré une balle dans la tête, après avoir perpétré une fusillade sur des éléves d'un collége non loin du centre commercial. Quel choc ! Je fus sidéré et ébahi par ces révélations. Je restais bouche bée pendant quasiment une demi-heure.
James, détruit par le cannabis, avait perdu la raison. Il a, sans aucun doute, disjoncté et a voulu se venger de la vie qu'il trouvait "injuste".
Je fus profondément marqué par ces actes affreux et cruels. Il n'avait pas résisté longtemps aux difficultés auxquelles il faisait face, il ne s'était pas battu jusqu'au bout pour surmonter les défis incessants de la vie, ruiné par la drogue et l'alcool.
Mais, tout de même, il avait pris la peine de m'avertir, et de me dire au revoir. Notre amitié quant à elle n'a jamais faillie, elle survivra au delà de la mort, elle est éternelle.
Je disais tantôt à maman que si j' appris une chose, c'est que la drogue et l'alcool ne soulagent guère et à l'inverse, ils enfoncent dans la tourmente, less personnes que la vie éprouve, conduisant dès fois au pire. Finalement, la meilleure chose à faire, c'est de se battre et de rester positif quoi qu'il advienne.