La cruauté du maître

_ Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître.

La voix de Kai résonne encore dans la tête de Cécilia. Calmement mais avec détermination, il a su défier le maître. Le petit n'a même pas encore un poil sous le menton et il se comporte déjà comme un homme. Si ça la rend fière, ce comportement ne cesse de l'effrayer.
Elle se retourna sur le lit, incapable de trouver le sommeil. Elle a pourtant essayé de se convaincre que tout ira bien, mais elle sait que cette situation risque de très mal se terminer.
Trois coups frappés à la porte la fit sursauter. Discrètement, elle se faufile hors du lit. Laissant tomber le vieux drap tout déchiré par terre, elle enfile ses savates et sortis. Dehors il fait froid et sombre. elle enroule sur ses épaules le vieux foulard qui lui sert de manteau, et se dirigea vers la forêt. Il ne faut surtout pas qu'elle soit en retard. Le maître a été claire dans ses instructions.
_ C'est ta seule chance, Cécilia. Soit tu gagnes cette course et vous aurez la vie sauve. Soit tu y laisses ta vie pour sauver la sienne. 

Danielle l'attend déjà à la lisière de la forêt. Sans perdre une minute de plus, elle lui fit signe de la suivre. 
_ Nous n'avons plus beaucoup de temps à perdre. Murmura t-elle.
Elles sont pourtant seules. Mais les arbres ont des oreilles, et prévenir vaut mieux que courir. Il ne faut surtout pas qu'elles se fassent répérer. 
_ Prends la route du fleuve, mon enfant. Séparée, nous avons plus de chance de réussir. Et si l'une d'entre nous se fait répérer, l'autre pourra s'en sortir indemne.

Danielle ne se fit pas prier et partis dans la direction que Cécilia lui a indiquée. Celle-ci la regarde s'éloigner, le coeur lourd de chagrin. Elles savent ce qu'elles risquent. Néanmoins, elles s'envoient des ondes positives et continuent leur chemin, chacune dans le sens opposé.


_ Là-bas ! Regarde, c'est la vieille. 
Cécilia sursauta. Elle vient de se faire répérer. Quoique ses jambes ne sont plus aussi fermes qu'avant, elle n'a plus qu'une seule option; S'enfuir.

A cause de nombreuses incendies, la forêt n'est plus la même qu'avant. son aspect débroisé permet à Cécilia d'accélerer sa course avec plus de facilité. Cependant, il per aussimet à ses adversaires de la répérer, plus vite qu'elle ne le pensait. Elle sentie ses poursuivants se rapprocher et accéléra sa course. Mais, peu importe combien on a été fort il arrive un moment où le corps décide de lâcher prise, marqué par les rides, affaibli par la fatigue; la vieillesse finit toujours par avoir raison avec l'âge. Alors, sentant ses jambes devenues molles se dérober sous son poids, elle s'arrêta, prenant appui à un palmier. Cécilia ruisselle de transpiration, ses musclent se tendirent. Derrière elle, les voix sont de plus en plus proches, plus que quelques mètres les séparent. Ils auraient pu tirer et l'achever sur le champ. Mais une chasse à l'homme digne de son nom n'en serait pas une si victime et bourreau ne peuvent pas se confronter au regards, ne serait ce pour satisfaire l'égo de ce dernier. A cette pensée, Cécilia frémit, ses mains deviennent moites et sa gorge se noua. Elle a envie de hurler mais aucun son ne sortit. Il fut un temps où elle aurait pu faire plusieurs kilomètres sans se fatiguer. Elle s'en souvint encore de ce dynamique corps somptueux et de ses exploits. Face à la mort, elle voit sa vie défiler et eut envie de pleurer sa jeunesse; mais "regretter le passé, c'est courir après le vent". Ce vieux proverbe russe l'aida à rassembler les dernières forces qui lui restèrent pour affronter ses démons lorsqu'elle sentit la balle transpercer son corps.
_ Danielle aura donc tout le temps pour traverser la forêt. Pensa-t-elle. Il commencera une nouvelle vie, mieux que celle qu'elle a connu jadis. Quant à moi, mon chemin s'arrête ici et maintenant.
Et c'est avec sérénité qu'elle s'en va vers son nouveau berceau.

DANIELLE

_ C'est de ma faute, elle est morte par ma faute.

Kai continue de se larmoyer et taper des points contre mon torse. Je comprends sa peine. Si je suis en colère contre ces monstres pour ce qu'ils ont fait à Cécilia, je le suis aussi contre moi-même car j'ai aussi ma part de responsabilité dans cette histoire. Certains diront que je n'ai pas à me sentir coupable, je ne suis qu'une victime de plus. Le seul crime que j'ai commis a été celui d'avoir été une jeune femme pubère dans un monde hypersexualisé. Mais n'empêche qu'il y a cette mise en cause qui pèse sur moi depuis ce jour où, revenu à la forêt pour la chercher, j'ai trouvé son corps inerte et infecte à moitié devoré par les oiseaux. 
_ Je n'aurais pas dû crier.
Seule et désemparée, je me suis entendue prononcer cette phrase devant l'affreux spectacle qu'offrent le cadavre de Cécilia. Si certaines victimes de viol se culpabilisent de ne pas s'être débattue, qu'elles n'ont pas pu réagir, qu'elle aient été paralysées, ma honte vient du contraire et aux conséquences qui y sont liées. Si je n'avais pas crié, Kai n'aurait pas agressé le maître et haussé le ton avec lui pour me sauver. Cécilia n'allait pas être alerté et volé à mon secours en pactant avec eux ; 
_ Si tu veux autant la protéger, ôter la de ma vue avant le lever du jour. Nous pouvons bien nous passer de sa présence ainsi que de la vôtre dans les prochains jours.

Elle avait aquiescé, les yeux baissés. Mais le maître avait trouvé plus interressant d'en faire une course contre la mort. Puisque nos deux vies n'avaient plus aucune valeur à ses yeux, nous devions mériter cette liberté qu'il nous offre en échappant à la mort.


_ Kai, ce n'était pas de ta faute. Cécilia savait très bien ce qu'elle risquait et elle a enfin trouvé la paix qu'elle mérite. Elle n'aurait pas aimé que tu continues à t'appitoyer sur son sort, ni à te culpabiliser comme tu le fais.

Je le repousse tendrement et pris son visage dans mes mains. De mes doigts, j'essuis les dernières larmes qui coulèrent de ses yeux. Il n'a que treize ans, pourtant il n'a pas hésité à prendre des risques et chercher à savoir ce qui nous étaient arrivé à Cécilia et moi. Il a fouillé dans les affaires des maîtres, fouiné ça et là et posé des questions à qui voulait l'écouter. Jusqu'au jour où, tenu au courant, j'ai moi-même décidé de l'aider. Il avait le droit de savoir. Alors, j'ai glissé cette lettre sous sa porte au beau milieu de la nuit, lui donnant rendez-vous de l'autre côté de la forêt. Néanmoins, j'ai pris les mesures nécessaires pour assurer sa protection et l'aider à quitter le domaine en toute discrétion. Il m'a promis de rester vivre avec moi et de ne plus jamais y retourner, à condition que je lui montre là où repose notre maman adoptive; Cécilia.

_ Ce n'est pas de ta faute non plus, Dani.
Sa phrase me sortis de ma rêverie et me fait beaucoup plus de bien qu'il n'a voulu. Je souris, pour la première fois depuis longtemps. Je ne l'ai pas non plus repoussé quand il s'est mis sur la pointe des pieds pour me déposer un baiser sur la joue. 
Nous rentrâmes à la maison en silence, main dans la main et le coeur léger. Ce soir, des millions d'étoiles brillent dans la nuit et je peux les contempler avec un nouveau regard.


LE LENDEMAIN

Je me reveillai en sursaut, j'ai encore rêvé d'eux cette nuit. Je pensais qu'avec Kai à mes côtés, cette nuit allait être différente des autres, mais rien n'a changé. Je me tourne pour voir s'il dort encore. Aucune trace de Kai. Par contre, une enveloppe est possée sur la table. Je la pris. Elle contient une feuille de cahier pliée maladroitement mais recouverte d'une écriture soignée. Les mains tremblantes, le coeur battant la chamade, je m'empresse de la lire.

Dani,

Il est inutile de me mentir. Tu prétends aller mieux, tu dis avoir pardonné à ce salaud, mais je sais que c'est faux. Dans tes yeux je lis tes silencieux appels à l'aide. Je refuse de laisser cette peur te consummer. Quelqu'un doit agir. Ils doivent tous payer pour ceux qu'ils t'ont fait. Je ne te reviendrai pas avant de m'en avoir assuré.

Kai