Il était une fois en d'autres temps et sous d'autres cieux...
Les cieux ne sont pas cléments envers les femmes. J'ai appris très jeune, que je devrai être la femme de quelqu'un ou que je ne serai rien. En tant que fille, enfant et héritière, toute femme en devenir a une forme de valeur. Elle est l'enfant de... , le nom de son père baignant sa personne telles de douces vaguelettes.
Mais une fois envolée du nid, j'étais destinée à épouser un homme et à en être le trophée. Une belle chose pendue à son bras qu'il exhibera fièrement en public. Non, il n'y a pas erreur pas dans le choix des mots. Exhiber, c'est le bon verbe. Pas présenter, pas introduire, exhiber. L'acquisition d'un homme. Et à ce titre, il pourra m'utiliser comme bon lui semble. Après tout, qui se soucie des sentiments d'un sac à main même s'il porte la marque d'un grand créateur ?
Je n'aurai le droit à rien d'autre que tenir sa maison, porter son engeance et être une pierre de prix à son annulaire. Je n'aurai pas le privilège d'être quelqu'un par moi-même. En fait, si on prend le temps de lire attentivement les petites lettres en bas de pages en se munissant d'une loupe, je n'aurai tout simplement pas le droit d'être. Parce que je suis née femme.
Je n'ai jamais pu accepter ce fait. Je suis un être humain. A ce titre je voulais pouvoir être autre chose qu'une chose à brandir. Je voulais pouvoir conquérir le monde si tel est mon vœu. Je voulais avoir une substance en dehors de l'existence d'un autre être humain.
Alors quand j'ai dû choisir, j'ai renoncé à être une femme, une épouse, une mère. Je voudrais pourtant ! Parce que c'est aussi inscrit en moi. Je fais partie de ces femmes qui veulent avoir une vie de famille. Bichonner et se laisser bichonner en retour. Donner de l'amour et en recevoir.
Il se trouve malheureusement que selon l'air du temps, cette noble fonction dégage des relents d'avilissement. Ce désir est semble-t-il, incompatible avec mon autre désir. Cette époque dit que je ne peux pas être les deux. Que j'ai l'obligation d'être l'un et pas le droit d'être l'autre. Mais je voulais aussi être vue en tant que Moi, une personne à part entière. Dans un monde parfait, je n'aurais pas eu à choisir. Je me serais fondue dans la luminescence d'un tout, tout en resplendissant de ma propre lumière au sein de ce tout. Seulement, le monde est beaucoup de choses, mais "parfait" ne figure pas sur la liste.
Alors, j'ai choisi la part de moi qui me semblait la plus importante. J'ai laissé filer une part de ma vie parce que je n'avais pas la possibilité d'être qui je voulais. Plutôt que d'être étiquetée comme étant la femme de Mr ET-C'EST-TOUT, je me suis défaite de cet aspect de moi. Et quelque part, je les ai laissés gagner, parce qu'aujourd'hui je ne suis pas complète.
Je lutte tous les jours avec acharnement pour me faire une place dans ce monde qui me rejette. Je dois travailler deux fois, trois fois, quatre fois plus, pour espérer avoir le dixième de ce que recevrait un homme à ma place. Et le soir, quand éreintée et vacillante je pousse la porte de ma maison, personne ne s'y trouve pour m'offrir un sourire et une étreinte.
Je pense à toutes ces choses, alors que je me place sur la ligne de départ de la course amateur de 5 km en faveur du droit de la femme : Défendre, Chérir, Aimer, Encourager et Laisser vivre.
Quand j'en ai entendu parler, j'ai absolument voulu en être. Cette course est un engagement. C'est l'engagement que je prends envers moi-même de lutter pour faire bouger les choses. C'est l'engagement que je prends envers toutes les femmes.
Je m'élance en petites foulées quand le coup de départ est donné. Le but n'est pas d'arriver en premier, mais de franchir la ligne d'arrivée. Pour chaque personne qui y arrive, une somme X est reversée à une association qui défend le droit de la femme. Il me faut franchir cette ligne.
Au deuxième kilomètre, mes poumons commencent à brûler. Je me suis préparée pour y arriver, mais j'ai quarante-cinq ans et je ne suis pas en très bonne forme physique. Mais cette course est la course de ma vie. Mes genoux tremblent, mais je cours. Mes pieds brûlent, mais je continue de courir. J'ai du mal à respirer, mais je ne m'arrête pas.
Je cours pour ma vie à demi-vécue. Je cours pour toutes celles qui aspirent à être autre chose qu'une chose. Je cours pour toutes ces femmes qui sont des sacs à main coûteux pendus aux bras d'un homme. Je cours pour cette femme qui n'a pas le courage de croiser son propre regard dans le miroir, parce qu'on lui a appris à avoir honte de vouloir plus.
Je cours pour ma voisine qui se fait violer par son mari mais qui ne peut rien contre, parce qu'il n'y a pas de viol au sein du mariage. Je cours pour les rêves brisés de cette jeune fille mariée de force. Je cours pour les larmes que j'ai versées. Je cours pour être plus qu'une chose sans sentiment et sans volonté.
Mes pieds martèlent le macadam. Ma respiration est sifflante. Chaque inspiration porte à ma conscience la menace d'être la dernière. Je suis à la traîne, très loin derrière tous les autres. Mais je ne m'arrête pas, je ne baisse pas les bras. Je l'ai fait trop souvent et je ne le ferai plus. Je continue de courir.
Encore un kilomètre. Pour la jeune Anne qui rêve de bâtir un empire. Pour Corrie qui veut être juste une épouse et une mère, mais qui a peur que ce désir signe le début de sa non-existence. Pour Aminata qui se fait violenter verbalement à son travail. Pour Marie à qui son patron met la main aux fesses tous les matins. Pour Fidèle qui tient son service à bout de bras, mais qui est la moins payée de tous. Encore un pas, pour que Lucie puisse avoir une chance d'y arriver. Et un dernier pour Rose. Pour qu'elle puisse faire ses propres choix.
Je suis la dernière à franchir la ligne d'arrivée. Je titube jusqu'à la banderole où il est écrit "Je m'engage aux côtés de nous toutes". Je la touche du bout du doigt. Ma vision est floue sur les bords. Je chancelle. Des mains me retiennent. Les mains de ces "toutes" anonymes. Je respire à peine. Je suis fière. Je l'ai fait. J'ai paraphé mon engagement.
Les cieux ne sont pas cléments envers les femmes. J'ai appris très jeune, que je devrai être la femme de quelqu'un ou que je ne serai rien. En tant que fille, enfant et héritière, toute femme en devenir a une forme de valeur. Elle est l'enfant de... , le nom de son père baignant sa personne telles de douces vaguelettes.
Mais une fois envolée du nid, j'étais destinée à épouser un homme et à en être le trophée. Une belle chose pendue à son bras qu'il exhibera fièrement en public. Non, il n'y a pas erreur pas dans le choix des mots. Exhiber, c'est le bon verbe. Pas présenter, pas introduire, exhiber. L'acquisition d'un homme. Et à ce titre, il pourra m'utiliser comme bon lui semble. Après tout, qui se soucie des sentiments d'un sac à main même s'il porte la marque d'un grand créateur ?
Je n'aurai le droit à rien d'autre que tenir sa maison, porter son engeance et être une pierre de prix à son annulaire. Je n'aurai pas le privilège d'être quelqu'un par moi-même. En fait, si on prend le temps de lire attentivement les petites lettres en bas de pages en se munissant d'une loupe, je n'aurai tout simplement pas le droit d'être. Parce que je suis née femme.
Je n'ai jamais pu accepter ce fait. Je suis un être humain. A ce titre je voulais pouvoir être autre chose qu'une chose à brandir. Je voulais pouvoir conquérir le monde si tel est mon vœu. Je voulais avoir une substance en dehors de l'existence d'un autre être humain.
Alors quand j'ai dû choisir, j'ai renoncé à être une femme, une épouse, une mère. Je voudrais pourtant ! Parce que c'est aussi inscrit en moi. Je fais partie de ces femmes qui veulent avoir une vie de famille. Bichonner et se laisser bichonner en retour. Donner de l'amour et en recevoir.
Il se trouve malheureusement que selon l'air du temps, cette noble fonction dégage des relents d'avilissement. Ce désir est semble-t-il, incompatible avec mon autre désir. Cette époque dit que je ne peux pas être les deux. Que j'ai l'obligation d'être l'un et pas le droit d'être l'autre. Mais je voulais aussi être vue en tant que Moi, une personne à part entière. Dans un monde parfait, je n'aurais pas eu à choisir. Je me serais fondue dans la luminescence d'un tout, tout en resplendissant de ma propre lumière au sein de ce tout. Seulement, le monde est beaucoup de choses, mais "parfait" ne figure pas sur la liste.
Alors, j'ai choisi la part de moi qui me semblait la plus importante. J'ai laissé filer une part de ma vie parce que je n'avais pas la possibilité d'être qui je voulais. Plutôt que d'être étiquetée comme étant la femme de Mr ET-C'EST-TOUT, je me suis défaite de cet aspect de moi. Et quelque part, je les ai laissés gagner, parce qu'aujourd'hui je ne suis pas complète.
Je lutte tous les jours avec acharnement pour me faire une place dans ce monde qui me rejette. Je dois travailler deux fois, trois fois, quatre fois plus, pour espérer avoir le dixième de ce que recevrait un homme à ma place. Et le soir, quand éreintée et vacillante je pousse la porte de ma maison, personne ne s'y trouve pour m'offrir un sourire et une étreinte.
Je pense à toutes ces choses, alors que je me place sur la ligne de départ de la course amateur de 5 km en faveur du droit de la femme : Défendre, Chérir, Aimer, Encourager et Laisser vivre.
Quand j'en ai entendu parler, j'ai absolument voulu en être. Cette course est un engagement. C'est l'engagement que je prends envers moi-même de lutter pour faire bouger les choses. C'est l'engagement que je prends envers toutes les femmes.
Je m'élance en petites foulées quand le coup de départ est donné. Le but n'est pas d'arriver en premier, mais de franchir la ligne d'arrivée. Pour chaque personne qui y arrive, une somme X est reversée à une association qui défend le droit de la femme. Il me faut franchir cette ligne.
Au deuxième kilomètre, mes poumons commencent à brûler. Je me suis préparée pour y arriver, mais j'ai quarante-cinq ans et je ne suis pas en très bonne forme physique. Mais cette course est la course de ma vie. Mes genoux tremblent, mais je cours. Mes pieds brûlent, mais je continue de courir. J'ai du mal à respirer, mais je ne m'arrête pas.
Je cours pour ma vie à demi-vécue. Je cours pour toutes celles qui aspirent à être autre chose qu'une chose. Je cours pour toutes ces femmes qui sont des sacs à main coûteux pendus aux bras d'un homme. Je cours pour cette femme qui n'a pas le courage de croiser son propre regard dans le miroir, parce qu'on lui a appris à avoir honte de vouloir plus.
Je cours pour ma voisine qui se fait violer par son mari mais qui ne peut rien contre, parce qu'il n'y a pas de viol au sein du mariage. Je cours pour les rêves brisés de cette jeune fille mariée de force. Je cours pour les larmes que j'ai versées. Je cours pour être plus qu'une chose sans sentiment et sans volonté.
Mes pieds martèlent le macadam. Ma respiration est sifflante. Chaque inspiration porte à ma conscience la menace d'être la dernière. Je suis à la traîne, très loin derrière tous les autres. Mais je ne m'arrête pas, je ne baisse pas les bras. Je l'ai fait trop souvent et je ne le ferai plus. Je continue de courir.
Encore un kilomètre. Pour la jeune Anne qui rêve de bâtir un empire. Pour Corrie qui veut être juste une épouse et une mère, mais qui a peur que ce désir signe le début de sa non-existence. Pour Aminata qui se fait violenter verbalement à son travail. Pour Marie à qui son patron met la main aux fesses tous les matins. Pour Fidèle qui tient son service à bout de bras, mais qui est la moins payée de tous. Encore un pas, pour que Lucie puisse avoir une chance d'y arriver. Et un dernier pour Rose. Pour qu'elle puisse faire ses propres choix.
Je suis la dernière à franchir la ligne d'arrivée. Je titube jusqu'à la banderole où il est écrit "Je m'engage aux côtés de nous toutes". Je la touche du bout du doigt. Ma vision est floue sur les bords. Je chancelle. Des mains me retiennent. Les mains de ces "toutes" anonymes. Je respire à peine. Je suis fière. Je l'ai fait. J'ai paraphé mon engagement.