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Le verre de vin a taché son pull. On fait une belle famille d'étourdis, tiens ! J'ai rempli son verre avant qu'elle ne serve la soupe et elle n'a pas fait attention à ce verre quand elle s'est penchée vers la soupière. Des maladroits, je vous dis. Et c'est comme ça depuis des années.
Heureusement, c'est facile à corriger. Je rembobine le temps de trente secondes, comme d'habitude, et ensuite (ou avant ?) je ne remplis pas son verre. Voilà. Maintenant, le verre tombe, mais il est vide. Elle dit « Merde », s'excuse et me sourit. Je l'aime, ma sœur.
Trente secondes, ce n'est pas beaucoup, mais ça peut changer beaucoup de choses. Évidemment, il faut réagir vite. Avec les années, je me suis amélioré. Personne ne s'en est jamais rendu compte. Comment pourraient-ils ? Ils vivent dans le présent. À ma connaissance, je suis le seul à pouvoir revenir dans le passé et à le modifier.
Je n'ai jamais compris pourquoi j'avais ce don. Mes parents ne m'en ont jamais parlé et je n'ai jamais rien lu sur le sujet. Ma sœur ne l'a pas, j'en suis certain.
Je me souviens parfaitement de la première fois que je m'en suis rendu compte, à sept ans. Ma mère me tirait par la main, je ne voulais pas aller chez le dentiste. Elle a posé le pied sur la chaussée, le bus est arrivé, elle m'a lâché, et le bus l'a tuée net. J'ai voulu rattraper sa main, mais elle était déjà partie. Alors j'ai souhaité de toute mon âme qu'elle n'ait pas lâché ma main et que j'aie été assez fort pour la retenir. Et je suis revenu au moment où elle levait la jambe pour traverser. J'ai revécu ce moment une deuxième, puis une troisième fois. Et j'ai compris. La quatrième fois, j'ai serré très fort sa main et tiré de toutes mes petites forces. Ma mère s'est retournée, surprise, et a suspendu son mouvement. Le bus est passé. Elle a frissonné. Je l'ai serrée si fort, ce jour-là...
J'ai essayé de lui dire, mais elle m'a regardé avec tellement d'amour... Je n'ai plus protesté pour aller chez le dentiste. Je suis même devenu médecin.
C'est drôle comme la vie ne tient parfois qu'à un fil. J'ai beaucoup joué avec mon talent, je me suis amusé à changer des détails ridicules de la vie pour voir. C'est là que j'ai compris que je ne pouvais sauter en arrière que de trente secondes. J'ai donc appris que je n'étais pas tout-puissant. Je n'ai pas pu ressusciter ma mère quand elle est morte du cancer quelques années après. Je n'ai jamais pu sauver quelqu'un d'autre d'une mort accidentelle. Je n'ai jamais pu gagner au loto, mais j'ai réussi à gagner de nombreuses fois à la roulette avant de me faire interdire de casino. Finalement, ce don m'est devenu familier. Aujourd'hui je ne l'utilise que pour consolider les petits plaisirs de la vie et pour corriger certains gestes médicaux en urgence.
Avec le temps, je me suis persuadé que ce talent n'avait que des côtés positifs. J'ai pourtant souvent remarqué des traces du passé alternatif dans le présent. Un regard, un rire, une réminiscence inexplicable d'un passé que j'ai effacé, comme s'il avait quand même laissé une impression. Comme le frisson de ma mère à côté du bus. C'est étrange.
Ce soir au dîner, nos invités, qui s'étaient esclaffés après le vin renversé, ont juste souri en voyant le verre vide tomber. Je suis habitué à ces réactions avant-après. Pourtant, ce soir, la femme qui est en face de moi a éclaté de rire. Exactement comme la première fois. Le même rire. Tout le monde l'a regardée et les autres ont commencé à rire de nous : ma sœur pour avoir été maladroite, et moi pour ne pas avoir déplacé son verre avant. J'ai souri. La femme m'a regardé dans les yeux. J'ai frémi. Nous ne la connaissions pas avant ce soir. Une amie d'amis. Elle est extraordinairement belle et très détendue. Elle n'est pas accompagnée et les hommes autour de la table lui lancent des regards de coq. Les femmes évitent de parler avec elle.
Elle m'intrigue. Je sens chez elle quelque chose de différent. Elle joue un rôle et je n'aime pas ça. Je décide de tenter une expérience.
J'attends le moment où elle boit une gorgée de vin et je rembobine. Plusieurs fois. Une centaine de fois. Personne ne s'est rendu compte de rien, naturellement. Mais maintenant ses joues sont un peu plus roses. Comme si elle avait bu plus qu'une gorgée. Elle est silencieuse. Elle semble comme éteinte. Mais elle lève la tête et me regarde dans les yeux. Un regard de flamme qui me fait rougir. Je soutiens son regard pendant quelques secondes, puis elle baisse les yeux. Progressivement elle arrête de capter l'attention des convives. Personne n'aime les gens qui ont le vin triste, ou les femmes qui boivent trop.
Je suis content de ma petite expérience. C'est bien fait pour elle.
Et puis, juste au moment où je bois une gorgée de vin, elle allonge la jambe vers moi et pose son pied nu (nu ?) sur ma cheville. Je ressens un choc électrique tellement puissant que j'en lâche mon verre. Maintenant c'est mon pull qui est taché et tout le monde a éclaté de rire. Sauf elle. Je murmure quelques mots d'excuse et je rembobine. Moi, ridicule ? Jamais, si je peux l'éviter !
Je rembobine et tiens fermement mon verre de vin juste avant qu'elle ne me touche. Je suis certain d'avoir réussi, mais pourtant je me tache. Dix fois, je reviens en arrière et dix fois je renverse ce foutu verre. Elle me regarde toujours. Je me sens un peu saoul. Je décide de laisser filer. Je me lève de table en bredouillant des excuses et je me dirige vers la salle de bain pour me nettoyer.
C'est là qu'elle me rejoint. C'est là que nous faisons l'amour. C'est là que je rembobine cent fois le moment où nous jouissons. Je sais qu'elle n'aura qu'un souvenir diffus de ces multiples orgasmes, mais moi je suis pleinement heureux de les revivre. Et tellement de fois !
J'ai dit cent fois, mais je ne sais plus. Nous sommes maintenant tous les deux debout contre le mur, épuisés. Elle me regarde et me caresse la joue.
— J'aime faire et refaire l'amour avec toi, dit-elle. Moi c'est trente secondes, et toi ?
Heureusement, c'est facile à corriger. Je rembobine le temps de trente secondes, comme d'habitude, et ensuite (ou avant ?) je ne remplis pas son verre. Voilà. Maintenant, le verre tombe, mais il est vide. Elle dit « Merde », s'excuse et me sourit. Je l'aime, ma sœur.
Trente secondes, ce n'est pas beaucoup, mais ça peut changer beaucoup de choses. Évidemment, il faut réagir vite. Avec les années, je me suis amélioré. Personne ne s'en est jamais rendu compte. Comment pourraient-ils ? Ils vivent dans le présent. À ma connaissance, je suis le seul à pouvoir revenir dans le passé et à le modifier.
Je n'ai jamais compris pourquoi j'avais ce don. Mes parents ne m'en ont jamais parlé et je n'ai jamais rien lu sur le sujet. Ma sœur ne l'a pas, j'en suis certain.
Je me souviens parfaitement de la première fois que je m'en suis rendu compte, à sept ans. Ma mère me tirait par la main, je ne voulais pas aller chez le dentiste. Elle a posé le pied sur la chaussée, le bus est arrivé, elle m'a lâché, et le bus l'a tuée net. J'ai voulu rattraper sa main, mais elle était déjà partie. Alors j'ai souhaité de toute mon âme qu'elle n'ait pas lâché ma main et que j'aie été assez fort pour la retenir. Et je suis revenu au moment où elle levait la jambe pour traverser. J'ai revécu ce moment une deuxième, puis une troisième fois. Et j'ai compris. La quatrième fois, j'ai serré très fort sa main et tiré de toutes mes petites forces. Ma mère s'est retournée, surprise, et a suspendu son mouvement. Le bus est passé. Elle a frissonné. Je l'ai serrée si fort, ce jour-là...
J'ai essayé de lui dire, mais elle m'a regardé avec tellement d'amour... Je n'ai plus protesté pour aller chez le dentiste. Je suis même devenu médecin.
C'est drôle comme la vie ne tient parfois qu'à un fil. J'ai beaucoup joué avec mon talent, je me suis amusé à changer des détails ridicules de la vie pour voir. C'est là que j'ai compris que je ne pouvais sauter en arrière que de trente secondes. J'ai donc appris que je n'étais pas tout-puissant. Je n'ai pas pu ressusciter ma mère quand elle est morte du cancer quelques années après. Je n'ai jamais pu sauver quelqu'un d'autre d'une mort accidentelle. Je n'ai jamais pu gagner au loto, mais j'ai réussi à gagner de nombreuses fois à la roulette avant de me faire interdire de casino. Finalement, ce don m'est devenu familier. Aujourd'hui je ne l'utilise que pour consolider les petits plaisirs de la vie et pour corriger certains gestes médicaux en urgence.
Avec le temps, je me suis persuadé que ce talent n'avait que des côtés positifs. J'ai pourtant souvent remarqué des traces du passé alternatif dans le présent. Un regard, un rire, une réminiscence inexplicable d'un passé que j'ai effacé, comme s'il avait quand même laissé une impression. Comme le frisson de ma mère à côté du bus. C'est étrange.
Ce soir au dîner, nos invités, qui s'étaient esclaffés après le vin renversé, ont juste souri en voyant le verre vide tomber. Je suis habitué à ces réactions avant-après. Pourtant, ce soir, la femme qui est en face de moi a éclaté de rire. Exactement comme la première fois. Le même rire. Tout le monde l'a regardée et les autres ont commencé à rire de nous : ma sœur pour avoir été maladroite, et moi pour ne pas avoir déplacé son verre avant. J'ai souri. La femme m'a regardé dans les yeux. J'ai frémi. Nous ne la connaissions pas avant ce soir. Une amie d'amis. Elle est extraordinairement belle et très détendue. Elle n'est pas accompagnée et les hommes autour de la table lui lancent des regards de coq. Les femmes évitent de parler avec elle.
Elle m'intrigue. Je sens chez elle quelque chose de différent. Elle joue un rôle et je n'aime pas ça. Je décide de tenter une expérience.
J'attends le moment où elle boit une gorgée de vin et je rembobine. Plusieurs fois. Une centaine de fois. Personne ne s'est rendu compte de rien, naturellement. Mais maintenant ses joues sont un peu plus roses. Comme si elle avait bu plus qu'une gorgée. Elle est silencieuse. Elle semble comme éteinte. Mais elle lève la tête et me regarde dans les yeux. Un regard de flamme qui me fait rougir. Je soutiens son regard pendant quelques secondes, puis elle baisse les yeux. Progressivement elle arrête de capter l'attention des convives. Personne n'aime les gens qui ont le vin triste, ou les femmes qui boivent trop.
Je suis content de ma petite expérience. C'est bien fait pour elle.
Et puis, juste au moment où je bois une gorgée de vin, elle allonge la jambe vers moi et pose son pied nu (nu ?) sur ma cheville. Je ressens un choc électrique tellement puissant que j'en lâche mon verre. Maintenant c'est mon pull qui est taché et tout le monde a éclaté de rire. Sauf elle. Je murmure quelques mots d'excuse et je rembobine. Moi, ridicule ? Jamais, si je peux l'éviter !
Je rembobine et tiens fermement mon verre de vin juste avant qu'elle ne me touche. Je suis certain d'avoir réussi, mais pourtant je me tache. Dix fois, je reviens en arrière et dix fois je renverse ce foutu verre. Elle me regarde toujours. Je me sens un peu saoul. Je décide de laisser filer. Je me lève de table en bredouillant des excuses et je me dirige vers la salle de bain pour me nettoyer.
C'est là qu'elle me rejoint. C'est là que nous faisons l'amour. C'est là que je rembobine cent fois le moment où nous jouissons. Je sais qu'elle n'aura qu'un souvenir diffus de ces multiples orgasmes, mais moi je suis pleinement heureux de les revivre. Et tellement de fois !
J'ai dit cent fois, mais je ne sais plus. Nous sommes maintenant tous les deux debout contre le mur, épuisés. Elle me regarde et me caresse la joue.
— J'aime faire et refaire l'amour avec toi, dit-elle. Moi c'est trente secondes, et toi ?
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Pourquoi on a aimé ?
Et si vous aussi, vous aviez le pouvoir de revenir en arrière sur les 30 dernières secondes ? Une petite gaffe, un mot de trop, piouf, on rembobine
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Pourquoi on a aimé ?
Et si vous aussi, vous aviez le pouvoir de revenir en arrière sur les 30 dernières secondes ? Une petite gaffe, un mot de trop, piouf, on rembobine