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Nouvelles - Littérature Générale
Young Adult - Nouvelles
C'étaient les années 80 ; à cette époque, Serge était un petit garçon comme les autres. Du haut de ses dix ans, il aimait aller s'amuser dehors, sentir le contact de l'herbe fraîche sous ses mains et surtout jouer au foot avec ses copains. Ils avaient l'habitude de courir après ce ballon dégonflé que son ami Julien avait eu à Noël. Le champ du paysan voisin était le plus grand stade du monde, vu avec leurs yeux d'enfant. Comme beaucoup d'autres de son âge, il n'aimait pas aller à l'école, il perdait son temps au sein de cette institution vieillotte. La vraie vie, elle était dans la nature avec ses camarades.
Un dimanche après-midi, comme une semaine sur deux, les parents de Serge allaient chez sa tante Hélène qui habitait à une vingtaine de kilomètres de chez eux. Serge était obligé de suivre ses parents. Céline, sa sœur, avait seize ans et, depuis cette année, avait le droit de rester à la maison à la condition qu'elle aille voir la tante Hélène une fois de temps en temps. Elle n'appréciait pas ces visites mais donnait le change. Serge rêvait d'avoir seize ans, pour pouvoir rester chez lui le dimanche après-midi et jouer avec ses amis.
Ce jour, Serge était malade, depuis le matin il était resté dans son lit. Un peu de fièvre, quelques douleurs et une sensation de fatigue qui l'avaient obligé à louper ses dessins animés préférés.
L'heure du départ approchait pour la petite famille, la maman de Serge ne souhaitait pas le laisser seul à la maison. Malheureusement, c'est un jour spécial, une cousine lointaine venait leur rendre visite chez la tante Hélène. Même Céline devait se déplacer pour la rencontrer.
Après avoir pris soin de lui amener tout ce dont il pourrait avoir besoin et l'avoir bordé avec une douceur extrême, la petite famille amputée de Serge sautait dans la voiture.
Il sortait à peine de son profond sommeil. 15h46. Les parents ne rentreraient pas avant 18 heures. Il aimait être seul de temps en temps. Cela lui donnait l'impression de posséder la maison entière. Il devait aller faire un tour au petit coin. Son état s'était bien amélioré avec les nombreuses heures de repos.
En passant devant la chambre de Céline, il remarqua qu'elle avait dû oublier de fermer sa porte, on pouvait voir le désordre qui régnait à l'intérieur. Il continuait son chemin à travers le couloir, appréciant le silence de cathédrale qui emplissait la maison. En retournant vers sa chambre, il repassa une deuxième fois devant l'antre de sa sœur ; une petite tache rouge, qui dépassait sous le lit, attira son attention. Il hésita longuement avant de rentrer. Mais il savait qu'il bénéficiait d'un temps assez long avant son retour.
Il entra tout doucement, presque sur la pointe des pieds, dans cette pièce inconnue. Il se sentit perdu : des vêtements pendaient partout, jaillissaient des malles ou avaient échoué sur le sol. Des chaussures de tous genres accompagnaient les fripes : des rouges, des noires, des talons immenses, de tous petits... Malgré le désordre, cette pièce ressemblait à une caverne aux trésors. En effet, en plus des habits, des bibelots trônaient sur chaque étagère, des bijoux regroupés par type étaient exposés sur des présentoirs en forme de main ou d'arbre et des posters d'inconnus ornaient les murs de la chambre.
Serge arriva à hauteur de la tache rouge. Il récupéra cette petite culotte. Son visage devint écarlate bien qu'il appréciât la douceur du tissu. Il observa sous tous les angles cette lingerie banale qui semblait comme un trésor dans ses mains. Il la fourra dans sa poche et entreprit de visiter la penderie de sa sœur. En ouvrant, c'était une vraie palette de couleurs qui s'illumina sous ses yeux. Il passa sa main sur les différents drapés : tulle, coton, laine, lycra... Ici étaient entreposées, sur des cintres, les robes que Céline portait chaque jour. Il en attrapa une puis la posa sur le lit. Sans réfléchir, il se déshabilla. Il enfila la petite dentelle rouge qu'il avait conservée puis, dans un geste très peu assuré, il enleva la robe du cintre et se glissa, non sans mal, à l'intérieur. La robe était bien trop grande pour lui. Le blanc du tissu faisait contraste avec le rouge vif de son visage. Les fleurs de toutes sortes dispersées sur le vêtement ne changeaient rien à cela. Il observait son reflet dans le miroir sans savoir ce qu'il faisait. Il décida de continuer son exploration de la chambre. Il attrapa une paire de ballerines à petit talons, trop grande pour lui, et les chaussa. Un petit foulard rose bonbon était accroché au porte-manteau et il le posa autour de son cou. Il arriva au niveau de la coiffeuse et un nouveau monde sembla s'ouvrir devant lui : celui du maquillage. À côté d'un drôle d'appareil ressemblant à celui de sa mère pour préparer les gaufres, une grosse boîte à maquillage. Ne connaissant aucun des produits présents sauf un, il fouilla et commença à se barbouiller les lèvres avec ce stick rouge vif. Une fois terminé, il se dirigea devant la glace pour se regarder. Il se trouvait marrant et plutôt bien dans sa tenue.
En entendant la voiture se garer dans la cour de la maison, Serge prit panique. Il se déshabilla en vitesse et essaya de remettre chaque objet à sa place avec plus ou moins de réussite. Le capharnaüm était tel que Céline ne remarquerait rien. Il enfila rapidement son pyjama, le haut à l'envers et sauta dans son lit en ayant, au préalable, attrapé un mouchoir imbibé d'eau pour se débarbouiller le visage. Il souriait encore quand sa mère entra dans la chambre pour lui expliquer qu'une dispute avait éclaté durant la réunion de famille et qu'ils avaient préféré rentrer.
Aujourd'hui, alors qu'il entre sur scène comme chaque soir, il se souvient encore et avec émotion de ce dimanche après-midi. Son numéro de transformiste est un réel succès, il rejoue, notamment, cette scène initiatrice de son enfance dans le décor réaliste d'une chambre d'adolescente. Un public ravi l'accueille d'applaudissements enthousiastes. Il sait maintenant poser le rouge à lèvres et sa robe lui va parfaitement.
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