Je rentre. C'est donc ça, un tas de vieux jouets poussiéreux dans un carton ! Vraiment incroyable comme surprise... Je décide de faire abstraction de ma déception, après tout peut être retrouverai-je un objet intéressant ? Je sors un à un les objets vétustes et obsolètes qui me répugnent tant ils ressemblent à un simple amas de poussière : une peluche, un bout de bois à moitié mâchouillé par mon chien, un puzzle à trois pièces, encore une peluche, une petite voiture et... une musique. J'entends une musique. Certainement j'ai percuté dans le carton quelque bizarrerie ensorcelée et cette horreur se mit à jouer d'une musique stridente. Ah oui ! C'est cette fameuse boîte à musique achetée dans un marché en Province pas loin d'Apt. Je la prends entre mes mains, tourne la petite clé, le musique se remet en route et les petits papillons aux ailes cassées reprennent vie en même temps que mes souvenirs.
Je me souviens maintenant de la chaleur de cet été, de l'odeur si douce et particulière de la lavande, de la froideur du bois de cette boîte immense entre mes mains encore toutes potelées lorsque je la tins pour la première fois. Je tournai alors cette clé pour la première fois avec l'aide de mon père. Cette mélodie autrefois féerique berçait tant mes après-midis. Je passais mes matinées et mes soirées à écouter cette musique et à observer de mes yeux d'enfant ce morceau de bois à la forme magique, ces papillons qui tournillaient, et leurs couleurs vives m'incendiaient à présent de souvenirs très étranges.
C'était un jour d'été ou d'hiver enfin je ne sais plus. Je ne devais avoir plus de cinq ans. Ma mère venait de me lire Ville dans une tabatière de Vladimir Odoïevski et, dans mon délire d'enfant puéril et naïf, tout devint clair. Je courus, toute joyeuse, vers la boîte magique, je l'enclenchai et commençai à écouter. Je n'entendais pas la mélodie, mais bien les petits hommes qui travaillaient à l'intérieur. Il était évident que des petits hommes et des petites femmes pas plus grands que des trombones vivaient dans ce petit espace exigu et faisaient tourner les papillons à l'aide de leur force. Et dans la joie euphorique de ma découverte j'entendais... J'entendais Pierre, le chef des lutins leur hurler dessus pour qu'ils avançassent plus vite, Castor, celui qui pleurnichait tout le temps, Eden, le gaillard de la bande, Aramis, le malin, et Charles le coquin, Stéphane et Stéphanie, les doyens, Jean et Louis, les nouveau-nés qui babillaient et tant d'autres dont depuis j'oubliai l'existence...
Aussi j'aimais imaginer que les petits hommes se divisaient en deux équipes et que chacune s'occupait d'un des papillons qui se faisaient la guerre. J'encourageais toujours l'insecte rose, parce que le jaune à cette époque ne m'attirait guère et que j'avais au fond une préférence et de la pitié pour le petit insecte rose qui eut perdu au cours d'un combat une de ses deux ailes. Ainsi je passais de longues minutes à observer les deux papillons tourner, s'entrechoquer et puis presque s'arrêter puis repartir de plus belle. Je me consolais dans ma solitude à me dire qu'à l'intérieur de cette boîte aussi, au même moment, mes petits amis tremblaient pour la papillon rose et suivaient de près le combat et que certains, que je haïssais à cet instant se réjouissaient de le voir tomber et de voir le papillon jaune triompher.
La musique s'arrête. Je repose la petite boîte qui vient de me retourner le cœur. Elle était si magique et féerique pour moi alors qu'aujourd'hui ce n'est plus qu'un vieux mécanisme tout bête auquel je suis quelque peu attachée.