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Nouvelles - Littérature Générale
Note de l'éditeur : ce texte peut choquer les lecteurs les plus sensibles.
Une large boîte en fer noir, qui repose au sommet de l'étagère. Sally préfère ne pas la regarder plus longtemps. Elle sent déjà que cette boîte l'envoûte. Par sa nature mystérieuse, ses dimensions et son apparence sépulcrales. D'où viens-tu, petite boîte, dit-elle en se prenant au jeu. Elle ne l'a jamais vue auparavant ; elle ne vient pas d'un cadeau de Noël ni d'une livraison Amazon. Evan et elle utilisent le même compte.
Sally hausse les épaules et se détourne pour continuer le ménage. Il ne reste plus qu'à passer un coup de serpillère. Ensuite, elle pourra retourner à l'écriture de son roman. Le parquet luisant, Sally jette un dernier coup d'œil en direction de la boîte et referme la porte.
La boîte a disparu, mais pas l'idée de la boîte, qui loge dans un recoin de son esprit. Evan mérite qu'on respecte sa vie privée. C'est un gosse très sage, toujours poli. À dix-sept ans, il a le droit à son jardin secret. Quand même, une boîte de cette taille. Peut-être pour y ranger des cartes Pokémon. Sally ignore que son fils n'y joue plus depuis qu'il a dix ans. Les enfants grandissent tellement vite.
Sally décide d'aller se promener dans le jardin pour réfléchir à la structure de son roman. Le bonheur des écrivains réside dans de tels moments, conçus dans le seul but d'hypnotiser le corps pour vivifier l'esprit.
Dehors, il fait grand beau, les feuillages du peuplier bruissent. En descendant le vallon, foulant l'herbe de ses pieds nus, Sally regrette de ne pas avoir emporté son chapeau. Elle est contrainte de tourner régulièrement la tête pour dévier les assauts du soleil féroce, qui l'embraserait jusqu'au sang si elle le laissait faire. Pour le moment, elle profite encore des rayons qui papillonnent chastement sur sa joue.
Sally s'assied sur le banc, à l'ombre du tilleul. Elle ferme les yeux et se remémore les doux moments passés ici. Evan, nu comme un ver, jouant avec un bâton près du ruisseau. Ses petites mains qui essayent d'abattre la couverture du livre, une muraille qui dérobe les yeux maternels à la tyrannie enfantine du savoir. Savoir si l'on a le droit de goûter, savoir si l'on a le droit de grimper à l'arbre, d'aller se baigner dans la marre. Les yeux maternels, le puits où l'on contemple le reflet de tous les après-midis possibles. La parole maternelle donne vie aux choses, elle anime ; démiurgique. Les enfants implorent les lèvres closes, sa source.
Avec le temps, le caractère d'Evan a évolué ; il est plus timide et introverti qu'auparavant. Mis à part la natation, qu'il pratique trois jours par semaine. Evan ne sort plus. Sally doit l'obliger à aller faire des tours dans le jardin de sorte que sa peau, translucide comme la chair des poissons, absorbe un peu de cette lumière si essentielle à la santé physique et mentale. Il accepte toujours avec docilité, mais si ça ne tenait qu'à lui, il resterait cloîtré dans sa chambre. L'image fantomatique de la boîte resurgit, remontant des profondeurs inconscientes jusqu'à la surface de son esprit. Dans les boîtes, on range ou on cache. Que peut-il bien posséder, qui nécessite une boîte aussi large ?
Sally ferme les yeux et essaye de se détendre. Appuyée contre le dossier, les jambes au soleil et le visage au frais, elle s'endort. Un long moment plus tard, une voix d'homme la réveille en sursaut.
« Il est l'heure ! Viens, Esteban. Où te caches-tu ? » Le voisin, monsieur Perez, appelle son fils. Les cris durent quelques minutes, puis le garçon finit par apparaître. Sally peut l'apercevoir à travers le rideau de feuilles inquiètes. Il apparaît comme dans un songe ; petit bonhomme au short rouge, neuf ans à peine, un chapeau de paille vissé sur le crâne. Sally sent son cœur se soulever. Ses mains tremblent de façon inexplicable. Le soleil a disparu derrière la crête montagneuse. Déjà la nuit s'écoule, sans bruit, infusant le ciel comme un robinet d'eau glacée. Dans ce chaos des contraires, où les feux du crépuscule se mélangent à la nuit minérale, quelques étoiles pâles transparaissent.
Sally frissonne. Elle essuie la commissure de ses lèvres, se lève et regagne la maison. Sur le chemin, elle accélère le pas et finit les derniers mètres en courant.
La maison est plongée dans la pénombre, sous les fenêtres quelques feux ressuscitent. Sally distingue une silhouette de géant, l'horloge qui sonne vingt-deux heures. L'entraînement d'Evan finit tard aujourd'hui. Sally essaye de calmer l'angoisse étrange qui la saisit. Inlassablement, l'image de la boîte surgit dans ses pensées, comme une lune ensorcelée qui disparaît et reparaît au gré des feuillages. Sally se dirige vers l'évier, ouvre le placard et cherche quelque chose. Puis elle va vers l'escalier. La main cramponnée à la rambarde en bois mauve, elle monte à l'étage.
Le corridor est embrasé par les derniers feux du soleil. Pourtant, Sally marche sans rien voir, si bien qu'elle se trompe de chambre et pénètre à tâtons dans celle d'Evan. Le lit contourné, Sally pousse une chaise sous l'étagère. Contrairement à ce que son apparence laissait présager, la boîte est assez légère. En descendant de la chaise, et malgré ses précautions, Sally manque de chuter. Elle tombe assise sur le lit et se met à rire. Par hasard ses yeux rencontrent la propriété des Perez, engloutie par la nuit. Sally cesse de sourire. Elle observe la pince coupante qui gît sur le lit. En voyant le cadenas, elle a tout de suite su que cette pince en viendrait facilement à bout. Petite fille, elle passait beaucoup de temps dans l'établi de son grand-père et avait appris à ses côtés. Il est encore temps de faire machine arrière, je peux tout remettre en ordre. Tout sera identique. Evan va bientôt rentrer. Monte sur la chaise, replace la boîte, descends de la chaise, n'oublie pas la pince, tire sur les draps pour masquer les plis, referme doucement la porte, traverse le corridor, assieds-toi sur le canapé, entends le vélo sur les graviers du chemin, ouvre à ton fils et accueille-le dans tes bras, profite de ce long câlin pour lui communiquer tout l'amour qu'il mérite. C'est un enfant trop sage.
Comme prévu, il suffit d'une seule pression pour faire sauter le cadenas. Ses mains soulèvent le couvercle de la boîte, mais Sally n'ose pas baisser les yeux. À Noël dernier, Evan a reçu un polaroïd. Sally saisit une photo qui repose dans la boîte. Et le cauchemar devient réalité, la réalité devient cauchemar. Comme si une boîte pouvait renfermer une forêt lugubre infestée de monstres, comme s'il suffisait de l'ouvrir pour qu'une araignée vous saute au visage. La photo dévore les yeux de Sally qui tremble de tout son corps. La gorge tordue, elle est incapable de crier. Cette réaction contraste avec la simplicité de la photo : un enfant nu qui rit, manifestement à cause des grimaces du photographe. Sur la deuxième photo, un autre enfant se penche, dos à l'appareil, les mains sur l'aine. On a dû lui dire qu'il avait laissé tomber une pièce. Il est nu, lui aussi. Sur la troisième, on reconnaît la piscine municipale, un groupe de petits nageurs barbotant. Sur la quatrième... C'en est trop, Sally sent qu'elle va vomir. Elle prend une longue inspiration. Il y a peut-être une explication à tout cela. Illumination éphémère. Sous les photographies, Sally sent quelque chose de mou. Un slip de bain.
Sally se met à hurler, elle veut s'arracher les cheveux. Ses yeux implorants cherchent un espoir dans le jardin, dans le ciel, dans l'univers dont la dimension apaise tous les maux et amoindrit tous les crimes. En une fraction de seconde, Sally se lève, saisit la boîte, court à travers le couloir, dévale les escaliers, fonce dans le jardin, embourbée dans la nuit angoissante elle se laisse tomber du vallon, atteint le banc, cherche un coin de terre meuble, creuse à pleines mains, enterre la boîte, la recouvre de terre, personne n'en saura jamais rien. En une fraction de seconde elle est revenue. La boîte maléfique repose sur ses genoux, entre ses mains.
Une large boîte en fer noir, qui repose au sommet de l'étagère. Sally préfère ne pas la regarder plus longtemps. Elle sent déjà que cette boîte l'envoûte. Par sa nature mystérieuse, ses dimensions et son apparence sépulcrales. D'où viens-tu, petite boîte, dit-elle en se prenant au jeu. Elle ne l'a jamais vue auparavant ; elle ne vient pas d'un cadeau de Noël ni d'une livraison Amazon. Evan et elle utilisent le même compte.
Sally hausse les épaules et se détourne pour continuer le ménage. Il ne reste plus qu'à passer un coup de serpillère. Ensuite, elle pourra retourner à l'écriture de son roman. Le parquet luisant, Sally jette un dernier coup d'œil en direction de la boîte et referme la porte.
La boîte a disparu, mais pas l'idée de la boîte, qui loge dans un recoin de son esprit. Evan mérite qu'on respecte sa vie privée. C'est un gosse très sage, toujours poli. À dix-sept ans, il a le droit à son jardin secret. Quand même, une boîte de cette taille. Peut-être pour y ranger des cartes Pokémon. Sally ignore que son fils n'y joue plus depuis qu'il a dix ans. Les enfants grandissent tellement vite.
Sally décide d'aller se promener dans le jardin pour réfléchir à la structure de son roman. Le bonheur des écrivains réside dans de tels moments, conçus dans le seul but d'hypnotiser le corps pour vivifier l'esprit.
Dehors, il fait grand beau, les feuillages du peuplier bruissent. En descendant le vallon, foulant l'herbe de ses pieds nus, Sally regrette de ne pas avoir emporté son chapeau. Elle est contrainte de tourner régulièrement la tête pour dévier les assauts du soleil féroce, qui l'embraserait jusqu'au sang si elle le laissait faire. Pour le moment, elle profite encore des rayons qui papillonnent chastement sur sa joue.
Sally s'assied sur le banc, à l'ombre du tilleul. Elle ferme les yeux et se remémore les doux moments passés ici. Evan, nu comme un ver, jouant avec un bâton près du ruisseau. Ses petites mains qui essayent d'abattre la couverture du livre, une muraille qui dérobe les yeux maternels à la tyrannie enfantine du savoir. Savoir si l'on a le droit de goûter, savoir si l'on a le droit de grimper à l'arbre, d'aller se baigner dans la marre. Les yeux maternels, le puits où l'on contemple le reflet de tous les après-midis possibles. La parole maternelle donne vie aux choses, elle anime ; démiurgique. Les enfants implorent les lèvres closes, sa source.
Avec le temps, le caractère d'Evan a évolué ; il est plus timide et introverti qu'auparavant. Mis à part la natation, qu'il pratique trois jours par semaine. Evan ne sort plus. Sally doit l'obliger à aller faire des tours dans le jardin de sorte que sa peau, translucide comme la chair des poissons, absorbe un peu de cette lumière si essentielle à la santé physique et mentale. Il accepte toujours avec docilité, mais si ça ne tenait qu'à lui, il resterait cloîtré dans sa chambre. L'image fantomatique de la boîte resurgit, remontant des profondeurs inconscientes jusqu'à la surface de son esprit. Dans les boîtes, on range ou on cache. Que peut-il bien posséder, qui nécessite une boîte aussi large ?
Sally ferme les yeux et essaye de se détendre. Appuyée contre le dossier, les jambes au soleil et le visage au frais, elle s'endort. Un long moment plus tard, une voix d'homme la réveille en sursaut.
« Il est l'heure ! Viens, Esteban. Où te caches-tu ? » Le voisin, monsieur Perez, appelle son fils. Les cris durent quelques minutes, puis le garçon finit par apparaître. Sally peut l'apercevoir à travers le rideau de feuilles inquiètes. Il apparaît comme dans un songe ; petit bonhomme au short rouge, neuf ans à peine, un chapeau de paille vissé sur le crâne. Sally sent son cœur se soulever. Ses mains tremblent de façon inexplicable. Le soleil a disparu derrière la crête montagneuse. Déjà la nuit s'écoule, sans bruit, infusant le ciel comme un robinet d'eau glacée. Dans ce chaos des contraires, où les feux du crépuscule se mélangent à la nuit minérale, quelques étoiles pâles transparaissent.
Sally frissonne. Elle essuie la commissure de ses lèvres, se lève et regagne la maison. Sur le chemin, elle accélère le pas et finit les derniers mètres en courant.
La maison est plongée dans la pénombre, sous les fenêtres quelques feux ressuscitent. Sally distingue une silhouette de géant, l'horloge qui sonne vingt-deux heures. L'entraînement d'Evan finit tard aujourd'hui. Sally essaye de calmer l'angoisse étrange qui la saisit. Inlassablement, l'image de la boîte surgit dans ses pensées, comme une lune ensorcelée qui disparaît et reparaît au gré des feuillages. Sally se dirige vers l'évier, ouvre le placard et cherche quelque chose. Puis elle va vers l'escalier. La main cramponnée à la rambarde en bois mauve, elle monte à l'étage.
Le corridor est embrasé par les derniers feux du soleil. Pourtant, Sally marche sans rien voir, si bien qu'elle se trompe de chambre et pénètre à tâtons dans celle d'Evan. Le lit contourné, Sally pousse une chaise sous l'étagère. Contrairement à ce que son apparence laissait présager, la boîte est assez légère. En descendant de la chaise, et malgré ses précautions, Sally manque de chuter. Elle tombe assise sur le lit et se met à rire. Par hasard ses yeux rencontrent la propriété des Perez, engloutie par la nuit. Sally cesse de sourire. Elle observe la pince coupante qui gît sur le lit. En voyant le cadenas, elle a tout de suite su que cette pince en viendrait facilement à bout. Petite fille, elle passait beaucoup de temps dans l'établi de son grand-père et avait appris à ses côtés. Il est encore temps de faire machine arrière, je peux tout remettre en ordre. Tout sera identique. Evan va bientôt rentrer. Monte sur la chaise, replace la boîte, descends de la chaise, n'oublie pas la pince, tire sur les draps pour masquer les plis, referme doucement la porte, traverse le corridor, assieds-toi sur le canapé, entends le vélo sur les graviers du chemin, ouvre à ton fils et accueille-le dans tes bras, profite de ce long câlin pour lui communiquer tout l'amour qu'il mérite. C'est un enfant trop sage.
Comme prévu, il suffit d'une seule pression pour faire sauter le cadenas. Ses mains soulèvent le couvercle de la boîte, mais Sally n'ose pas baisser les yeux. À Noël dernier, Evan a reçu un polaroïd. Sally saisit une photo qui repose dans la boîte. Et le cauchemar devient réalité, la réalité devient cauchemar. Comme si une boîte pouvait renfermer une forêt lugubre infestée de monstres, comme s'il suffisait de l'ouvrir pour qu'une araignée vous saute au visage. La photo dévore les yeux de Sally qui tremble de tout son corps. La gorge tordue, elle est incapable de crier. Cette réaction contraste avec la simplicité de la photo : un enfant nu qui rit, manifestement à cause des grimaces du photographe. Sur la deuxième photo, un autre enfant se penche, dos à l'appareil, les mains sur l'aine. On a dû lui dire qu'il avait laissé tomber une pièce. Il est nu, lui aussi. Sur la troisième, on reconnaît la piscine municipale, un groupe de petits nageurs barbotant. Sur la quatrième... C'en est trop, Sally sent qu'elle va vomir. Elle prend une longue inspiration. Il y a peut-être une explication à tout cela. Illumination éphémère. Sous les photographies, Sally sent quelque chose de mou. Un slip de bain.
Sally se met à hurler, elle veut s'arracher les cheveux. Ses yeux implorants cherchent un espoir dans le jardin, dans le ciel, dans l'univers dont la dimension apaise tous les maux et amoindrit tous les crimes. En une fraction de seconde, Sally se lève, saisit la boîte, court à travers le couloir, dévale les escaliers, fonce dans le jardin, embourbée dans la nuit angoissante elle se laisse tomber du vallon, atteint le banc, cherche un coin de terre meuble, creuse à pleines mains, enterre la boîte, la recouvre de terre, personne n'en saura jamais rien. En une fraction de seconde elle est revenue. La boîte maléfique repose sur ses genoux, entre ses mains.
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Pourquoi on a aimé ?
C’est avec une efficacité glaçante et une tension réelle que cette histoire pose la question du rôle de protection d'un parent vis à vis de son
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Pourquoi on a aimé ?
C’est avec une efficacité glaçante et une tension réelle que cette histoire pose la question du rôle de protection d'un parent vis à vis de son