Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle des tribulations de ma famille a commencé le jour où mon père a touché le gros lot à la loterie. Aussi paradoxal que cela te puisse paraître lecteur, c’est le pactole de papa qui nous a pourri la vie. Si l’argent d’après ce qu’on dit est le nerf de la guerre, je ne trouve aussi aucun paradoxe au fait qu’il porte malheur à une famille. Et c’est exactement ce qui est arrivé à la notre.
Je suis le fils et unique rejeton d’un modeste couple qui vivait tranquillement sa misérable petite vie dans un de ces quartiers poisseux d’Abidjan. Mon père, monsieur Biaka faisait la sentinelle à la morgue de Yopougon depuis bientôt vingt ans. Ce travail qui au gré des circonstances l’avait choisi, le courrouçait, le répugnait et cela se traduisait par un mal de vivre que je lisais toujours dans la rétine de cet homme ainsi que dans ses rapports sociaux. Enfant, il rêvait de devenir Docteur ès je ne sais plus quoi. C’était l’une de ces victimes de la vie, animées par la rage de vouloir changer l’ordre de l’univers. Ces pauvres diables dont le seul lot de consolation reste une éventuelle réussite de leur progéniture. Mon père était de ceux là. Un véritable misanthrope. Le peu de gens qu’il côtoyait était ceux qui partageaient son péché mignon: la loterie. Je me rappelle encore les crises de colère de ma mère lorsqu’elle découvrait pendant la lessive, des tickets perdant de loterie dans les poches de mon père. Elle devenait cynique et pour le reste de la journée, elle ne quittait pas un masque horrible si bien que moi-même, avais peur de l’approcher. Pourtant, il me semble l’avoir vue jubiler le jour où mon père avait gagné cinquante million à ce jeu qui lui déplaisait tant. Ah les femmes et l’argent!
Cet imprévu m’emplit d’une incommensurable joie car l’occasion m’était enfin offerte de réaliser un rêve que je nourrissais depuis longtemps: Voyager pour l’Europe. Cette Europe qui est jusque là vue d’ici comme le pays de cocagne: une illusion commune à nous tous, noirs africains. Je ne devais plus y aller par la mer tel que je l’avais projeté mais, de façon régulière à présent. Je n’y allais plus pour vendre des beignets faits à l’africaine ou pour faire la sentinelle encore moins le baby-sitter et la nuit venue, me retrouver à dormir dans un métro ou sous un pont à une température hibernale de moins de vingt degrés Celsius. J’y allais pour faire plutôt du business. Du showbusiness à l’instar de nos concitoyens dont les artistes locaux nous rebattent les oreilles de leurs noms à longueur de journée. Oui, les affaires. Il n’y a plus que ça qui paye véritablement ici et ailleurs de nos jours. Mon père eût tout à fait raison d’ailleurs de rendre démission à la morgue pour se consacrer entièrement à ses affaires. Même si personne ne savait exactement ce qu’il faisait comme affaire, l’essentiel n’est-il pas de se faire de l’argent. Biaka la sentinelle avait percé comme on le dit chez nous. Il roulait à présent dans des véhicules que seules les personnalités les plus illustres de notre pays pouvaient s’offrir non sans avoir au préalable, coupé sur la tête des pauvres. LA VOITURE qui demeure encore un mystère sous nos tropiques. C’est bien plus qu’un moyen de déplacement chez nous. Il vous suffit par exemple d’en posséder une pour gagner toute l’estime d’un africains, comme si toute notre humanité se définissait par un tas de ferraille. Il parait même que ça facilite les formalités avec les jeunes filles. C’est d’ailleurs pour cette raison essentielle que tout petit fonctionnaire d’ici veut se l’approprier à tout prix.
Le nom de mon père défrayait tellement la chronique qu’il avait fini par pousser des ailes. C’était lui Biaka après tout: la larve devenue un pittoresque papion; le lombric d’hier, qui grâce à la magie de la loterie, s’était transformé en un énorme boa. Il s’adonnait à tous les vices: dipsomanie, sexe, tabagisme. Toutes les pulsions que ruminent les misérables gens, pour ensuite les régurgiter une fois que l’argent vient prendre le pas sur la pauvreté. Dans ses frasques, il avait fini par trouver un ami intime en la personne de Zibé ; un vieil infirmier retraité dont le fils, Docteur ès quelque chose faisait toute la fierté. Ils pouvaient passer des journées entières à causer nanas autour de l’alcool. Comme ils étaient ridicules ces vieux vicieux. On eût dit des adolescents qui venaient de faire la découverte du sexe. Toute leur amitié me semble-t-il, ne tenait qu’à cela. Pour une simple salutation par exemple, nos deux hommes se communiquaient par des signes qui avaient apparemment quelque chose à voir avec la femme. Lorsqu’ils se rencontraient, ils se prenaient d’abord les deux mains sur la poitrine, pointaient leurs indexes l’un sur l’autre, puis les agitaient fébrilement en se dandinant sur une note fictive. Ils allaient souvent même jusqu’à se défier ou encore à parier sur des filles à conquérir. Argent quand tu nous tiens.
Mon père était ainsi perdu dans ses folies de nouveau riche et moi dans mon projet onirique de voyage en Europe puisqu’il me manquait de l’argent pour le réaliser. Il me fallait donc en trouver par tous les moyens le plus tôt possible.
Un samedi matin, je profite de l’absence de mes parents pour m’introduire dans leur chambre à coucher en me servant d’une copie de leur clé que je me suis fait fabriqué par un artisan du quartier qui n’eût qu’à se servir des traces de l’authentique clé laissées sur un morceau de savon dans lequel je l’avais enfoncée. La chambre était bien rangée comme d’habitude. Au chevet du lit, baillait un gros portefeuille. Je la fouille et découvre à l’intérieur, la CARTE MAGNETIQUE de papa. BINGO! Il y a longtemps que je la cherchais celle là. J’en connaissais le code puisque papa m’avait une fois envoyé faire un retrait pour lui à la banque. Je me rends de toute urgence chez Maximien ; Un ami qui tout comme moi caressait le rêve d’aller en Europe. Ce dernier me conduit à son tour chez Frac. Un crac des TIC qui pouvait nous aider à craquer la carte magnétique. Entreprise qu’il réussit fort bien d’ailleurs en transférant vingt millions de francs CFA du compte de mon père vers un autre compte dont il me remit la carte avec toutes les informations nécessaires. J’étais éberlué au point de perdre l’usage de la parole.
-Tout se passera bien Romuald. Crois-moi. Cherchait Maximien à me mettre en confiance.
Je remis plus tard la première carte magnétique dans la poche d’un pantalon de mon père qui ne se douta de rien.
Frac nous aide à faire établir tous les papiers nécessaires au voyage. Nous les récupérons une semaine plus tard et payons nos billets d’avions avant de disparaître de nos maisons respectives. Nous passons une nuit dans un petit hôtel et un jour du mois de décembre de l’an 2014, nous prenons un vol pour Paris à deux heures du matin. Je ne sais plus trop comment le voyage s’est déroulé puisque j’avais dormi.
Lorsque l’oiseau métallique se posait sur le tarmac de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le temps commençait à blanchir. A la descente de l’avion, j’eus l’impression d’avoir pénétré une chambre froide. C’est Jean-Yves, un coussin de Maximien qui vient nous recevoir. Il appelle un taxi qui nous conduit en résidence universitaire à la Sorbonne. Celui-ci avait bénéficié d’une bourse d’étude pour la France et y poursuivait des études en sciences économiques depuis deux ans.
Le lendemain de notre arrivée, nous lui proposons de nous faire visiter la ville. Il s’érigea en guide touristique et nous fait visiter pour cette seule journée, la Tour Eiffel, le Musée du Louvre, Les Champs Élysées et l’arc du Triomphe. A la fin de la balade, je voulus faire un retrait pour faire du shopping avant de rentrer à la maison. Je rentre dans un guichet automatique, sorts ma carte, l’introduit dans la machine, compose le code secret, compose un montant, et patiente. Ironie du sort! La carte est invalide. Je reprends le processus. Peine perdue. Ma température augmenta malgré la climatisation et mes mains devinrent toutes moites. Je ressors tremblotant et larmoyant du guichet pour expliquer mon problème à mes compagnons. Nous nous rendons ensemble chez un conseiller en banque pour savoir ce qui se passait. Celui-ci nous fît de graves révélations: la carte était fausse et il n’y avait pas un sous dans le compte afférent. C’était comme si le ciel venait de me tomber dessus.
-Les vingt millions ? Frac ? Je vais le tuerrrr, hurlai-je avant de m’écrouler sur le carrelage.
Le jour suivant, je me réveille dans un lit d’hôpital. La vérité était difficile à accepter. Frac nous avait grugé. Dans mon état de convalescence je prends mon courage à deux mains pour appeler maman afin de tout lui expliquer. Au pays, les nouvelles n’étaient pas bonnes. Mon père venait de se faire arrêter par la police pour trafic de stupéfiants. C’était donc ça les affaires qu’il faisait ? La plus embarrassante des nouvelles était que quelqu’un venait de vider son compte en banque. Nos malheurs ne faisaient que commencer.