La Bille bleue de Gaëtan

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Je m'appelle Gaëtan, et j'ai 7 ans.

Dans ma chambre, il y a mon cartable et mes cahiers. Il y a aussi ma caisse de lego pour inventer, mes figurines pour imaginer... et, dans un petit coffret en bois avec un cadenas doré, il y a ma collection de billes de verre.

J'adore les regarder et les faire rouler dans mes mains. Elles font un joli son quand elles tapent les unes contre les autres. Il y en a de toutes les couleurs, des jaunes, des oranges, des vertes... mais ma préférée, c'est ma petite bille bleue, même si elle n'est pas aussi grosse que les autres, et qu'elle est un peu abîmée. Je l'ai trouvée au bord de la plage l'été dernier. Je l'ai glissée tout au fond de la poche de mon ciré. Et depuis, c'est toujours celle que je pose sur le dessus, dans mon coffret.

Quand je suis rentré de l'école hier, j'ai fait mes devoirs plus vite que les autres soirs, parce que je voulais fabriquer un toboggan de livres. J'étais très fier qu'il tienne en équilibre entre mes trois plus gros doudous ! Mais quand j'ai ouvert mon coffret, j'ai découvert que ma petite bille bleue avait disparu.

En serrant les poings, j'ai débaroulé dans la chambre de mon grand frère Raphaël en hurlant :
— Tu as intérêt à me rendre ma bille bleue tout de suite !
Il m'a crié en retour :
— Mais je ne l'ai pas ! J'ai juré de ne jamais la toucher... et je tiens toujours mes promesses, moi !
Il s'est levé de son bureau en continuant :
— De toute façon j'en ai rien à faire, de ta bille bleue toute minus ! Maintenant, tu sors. Ma chambre, c'est mon espace privé.
Il a refermé sa porte derrière moi et est retourné faire semblant de travailler, alors qu'il allait encore rester des heures à regarder des vidéos sur son ordinateur ! J'ai renoncé.

Rouge de colère, j'ai foncé vers la chambre de ma sœur jumelle, en vociférant :
— Lila, dis-moi où est ma bille !
Lila a sursauté sur sa chaise de bureau et s'est retournée en me brandissant sous le nez la paire de ciseaux avec laquelle elle était en train de bricoler un bonhomme en rouleaux de papier w.c.. Ses yeux lançaient des éclairs.
Elle a râlé comme le tonnerre :
— Non mais ça va pas de crier comme ça ? À cause de toi, j'ai raté l'œil que j'étais en train de découper.
Elle m'a fait reculer en me menaçant d'aller tout raconter à Maman. De toute façon, vu le nombre de papiers et bouts de carton qui étaient éparpillés sur le sol de sa chambre, même si ma bille avait roulé jusqu'ici, nous ne pourrions jamais la retrouver. J'ai renoncé.

La boule au ventre, j'ai couru jusqu'à la cuisine où Maman se battait avec une montagne de courses. Il a fallu que je répète trois fois, de plus en plus fort, qu'elle devait absolument venir m'aider à chercher ma bille bleue pour qu'elle s'arrête enfin de gesticuler entre un poulet, deux melons et une salade.
Elle a sorti la tête du frigo... mais au lieu de venir dans ma chambre avec moi, elle m'a demandé de réfléchir à la dernière fois où j'avais joué avec. Comme si je pouvais m'en souvenir !!!

Pour cacher les larmes que je sentais monter dans mes yeux, j'ai remonté le couloir à toute vitesse et j'ai claqué la porte de ma chambre de toutes mes forces. Ça a fait trembler tous les cadres photos sur leurs étagères. J'allais encore me faire disputer, mais ça m'était égal ! J'étais trop enragé ! Je suis resté assis, dos à la porte, un très long moment.
Maman est venue me chercher à l'heure du déjeuner. Je l'ai suivie, les sourcils froncés, les lèvres serrées. Pendant tout le repas, Lila et Raphaël n'arrêtaient pas de rigoler, mais je me bouchais les oreilles pour ne rien écouter.

Je ne pensais qu'à ma bille bleue préférée, à sa couleur, à sa douceur. Au soleil qui se couchait dans la mer, le soir où je l'avais ramassée.

En sortant de table, j'ai essayé de chercher tout seul dans mes tiroirs de jeux, puisque personne ne voulait m'aider. Mais je ne savais pas par où commencer. Je me sentais de plus en plus triste. Je ne savais pas comment chercher correctement. Je mélangeais tout, sans rien trouver.

Plus tard, quand mon copain Simon est venu sonner, je n'ai même pas voulu descendre jouer avec lui. Je suis resté seul dans ma chambre, au milieu du bazar qui s'était étalé jusque sous mon lit. Je crois bien que ça a été la plus longue après-midi de toute ma vie... J'avais mal au ventre et mal au front.

Le soir est arrivé. Lila a tapé à la porte. J'ai bougonné :
— Quoi, encore ?
Elle m'a dit :
— Tiens ! Je ne sais pas où est ta bille, mais je t'ai bricolé un soleil.
Et elle m'a tendu un soleil en carton, plein de paillettes dorées, avec un grand sourire dessiné au feutre rouge.
On l'a mis ensemble dans mon petit coffret de bois. Les paillettes se reflétaient dans les billes en dessous. Qu'est-ce que c'était joli !

Après le repas, Raphaël m'a appelé dans sa chambre. Il m'a fait assoir sur son lit et m'a dit :
— Je n'ai pas de bille bleue pour remplacer celle que tu as perdue. Mais maintenant que tu as grandi, je vais te donner ma figurine Gulbarok.
Je suis resté muet tellement j'étais surpris : cela faisait des mois que j'en rêvais. Mais il avait toujours dit que j'étais un bébé, que j'allais l'abîmer. Il la cachait même dans un endroit secret pour être certain que je ne la trouverai jamais !
Je me suis levé et il a posé Gulbarok dans mes mains. Nous étions tous les deux aussi sérieux que les grandes personnes des émissions ennuyeuses que Maman regarde le soir à la télévision.
Je me suis raclé la gorge et j'ai répondu :
— Tu peux compter sur moi pour jouer tous les jours avec. Et tu pourras même me l'emprunter de temps en temps.
Raphaël a eu l'air très content. Je suis allé installer Gulbarok pour qu'il monte la garde devant mon petit coffret. Qu'est-ce que j'étais fier !

Quand je me suis réveillé, le lendemain matin, j'ai senti une boule bizarre sous mon oreiller. C'était un petit poisson en laine, que Maman avait tricoté pendant que je dormais. Il était doux, comme du velours. Je l'ai glissé dans mon coffret, à côté du soleil à paillettes. J'ai rejoint doucement Maman à la cuisine. Sans rien dire, on s'est serré fort fort fort dans nos bras. Qu'est-ce que c'était bon !

Sur le trottoir en allant à l'école, Simon m'a rattrapé en courant. Il a ralenti en arrivant à ma hauteur :
— Tu as retrouvé ta bille bleue ?
J'ai répondu :
— Non, toujours pas... mais ça va mieux. On pourra jouer tous les deux ce soir en rentrant, si tu veux bien ?
— Bien sûr que je veux ! Tiens, je te donne ma balle fluo rebondissante... Je crois que tu l'aimes bien.
— Wow ! Merci !!!
Je n'étais pas très sûr d'avoir le droit de l'apporter à l'école, alors je l'ai glissée tout au fond de la poche de mon ciré en attendant de pouvoir la ranger, le soir, dans mon coffret.

Je n'ai toujours pas retrouvé ma bille bleue préférée. Elle réapparaitra surement un jour, au fond d'une chaussette ou entre les pages d'une bande dessinée. Mais maintenant, dans mon petit coffret de bois, c'était certain : il y a un trésor de roi...

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Image de La Bille bleue de Gaëtan
Illustration : Pablo Vasquez

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