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Autrefois, la Terre était un endroit vaguement sympa. Enfin... ça, c'était avant que l'humanité, dans son immense génie, ne décide de combiner pollution massive et guerres dévastatrices.
Résultat : la vie sur Terre est devenue toxique, invivable, et franchement pas accueillante.
Bref, les survivants (ceux qui avaient encore quelques boulons en place et deux-trois idées pas trop idiotes) eurent une illumination :
— Puisqu'on a foutu la planète en l'air... ben, allons vivre dans le ciel !
C'est ainsi qu'apparut l'Archipel des îles volantes : de grands morceaux de terre verdoyante suspendus dans les nuages, maintenus par des moteurs à vapeur qui grincent, toussotent et s'arrêtent parfois. Autant dire que ça n'inspire pas une confiance folle.
C'est sur l'une de ces îles flottantes que débute notre histoire : l'île 1105.
Comme chaque matin, l'île 1105 fut tirée de son sommeil par un coq à vapeur. Une espèce d'animal mécanique, à mi-chemin entre une bouilloire et un réveil matin, qui produisait un cri étouffé à six heures pétantes. On ne savait pas trop si c'était un "cocorico" ou un "pschhh-chhh-clonk", mais dans tous les cas, c'était insupportable.
Greg roula hors de son lit comme une enclume tombe d'un établi, enfila ses bottines, brossa ses dents à moitié, et avala d'un trait son café soluble : un breuvage dont le principal mérite était de ressembler vaguement à du café. Puis il ajusta ses protections du matin : un casque anti-bruit (pour survivre au vacarme des chaudières) et ses lunettes anti-nuages (parce que, oui, vivre dans les nuages, ça pique les yeux).
— Salut Nemo, t'es prêt pour une nouvelle journée ? lança Greg.
Nemo, son hamster, répondit avec l'énergie d'un athlète coincé dans le corps d'une petite boule de poils. Il enfila son minuscule uniforme et sauta dans la poche de la blouse de travail de Greg.
Clac. Greg verrouilla la porte de sa maison. Trousse à outils sur l'épaule, Nemo dans la poche et des cernes sous les yeux.
Il traversa les champs verdoyants de l'île, pollinisés par les mécabeilles, de petites créatures mécaniques conçues pour féconder les plantes.
Arrivé devant la maison numéro 13, il toqua.
— Gustaud, t'es prêt ?
La porte s'ouvrit en grinçant pour laisser apparaître Gustaud. Gustaud était un gros robot à vapeur, avec un énorme réservoir dans le ventre et de la fumée qui s'échappait en permanence de partout, comme si on avait oublié de serrer la moitié de ses boulons.
— Tu as une mine affreuse, constata le robot. Enfin, comme d'habitude.
— Merci, répondit le mécano. C'est réciproque. Un jour, je vais vraiment desserrer tes boulons...
Gustaud s'esclaffa avec un rire métallique :
— Alors, bien dormi ?
— Comme d'habitude. Bercé par les bruits de vapeur et les conduites qui claquent. Et toi ?
— Pareil. Pas dormi.
Ensemble, ils descendirent jusqu'au cœur de l'île où se trouvait la grande salle du moteur à vapeur, pièce maîtresse qui maintenait tout ce joyeux caillou en suspension. L'endroit vibrait, sifflait et grinçait, le genre de bruit rassurant tant qu'on n'y réfléchit pas trop.
Greg, Nemo et Gustaud se mirent au travail avec l'entrain d'un lundi matin pluvieux. Chacun son rôle. Greg lisait sa liste de tâches à accomplir dans la journée en baillant. Nemo se faufilait entre les engrenages pour resserrer boulons et vis de ses pattes agiles. Gustaud, quant à lui, vérifiait que toutes les pièces étaient correctement huilées, contraste ironique avec les siennes, qui grinçaient comme si elles n'avaient pas vu une goutte d'huile depuis des années.
— Rouages inférieurs, état ? demanda Greg.
Nemo poussa un petit "puit-puit" positif. Tout allait bien.
— Système supérieur ?
— 5/5, confirma Gustaud.
Greg hocha la tête.
— Bon, reste plus que le réservoir d'eau...
Il avança en traînant les pieds et ouvrit la trappe de contrôle. Et là, il sursauta. Le réservoir ressemblait plus à du gruyère qu'à une cuve. Il était percé de partout, de l'eau dégoulinait à grande vitesse.
— Les gars ? fit Greg d'une voix blanche.
Gustaud accourut, Nemo sur ses talons, et tous trois contemplèrent la catastrophe. Le réservoir était aux trois quarts vide. L'aiguille de pression descendait plus vite qu'une luge sur une pente glacée.
— Je crois qu'on a un problème, déclara Greg.
— Rectification, nous allons mourir, corrigea Gustaud.
— Alerte rouge !
Et c'est ainsi que commença leur journée de poisse.
— À cette allure-là, dans une heure on s'écrase sur Terre !
— Dans 46 minutes et 20 secondes, selon mes calculs, précisa Gustaud.
— C'est pas le moment ! Qu'est-ce qui a pu causer ça ?
Il n'eut pas le temps de réfléchir davantage. Du réservoir troué sortit une guêpe géante. Oui, une guêpe. Mais pas la petite qui vous tourne autour au pique-nique. Non, celle-ci faisait la taille d'une vache et bourdonnait comme une locomotive en colère. Un vrai cauchemar volant, cadeau des charmantes mutations de la Terre radioactive. Et visiblement, elle n'appréciait pas que des intrus viennent fouiller son nouveau nid douillet.
La guêpe fonça sur eux à toute vitesse. Greg, Nemo et Gustaud se jetèrent au sol juste à temps. Les mandibules monstrueuses claquèrent dans le vide, à l'endroit exact où ils se tenaient une seconde plus tôt. La bestiole attaqua alors Gustaud. Greg, armé de sa clé anglaise, frappa la patte de la guêpe de toutes ses forces. En renfort, Nemo bondit comme un ninja miniature et mordit la même patte. La guêpe vrombit et les envoya valser contre le mur.
Boum. Ça fait mal !
Furieux, Gustaud se jeta sur la tête de l'insecte et enfonça ses mains de métal sur les yeux énormes
La guêpe se débattit comme une folle, battant des ailes et faisant trembler toute la salle du moteur. Bientôt, tout l'île sera impactée.
— Gustaud ! Attention ! cria Greg.
Le robot baissa les yeux vers son ventre. Greg comprit immédiatement ce qu'il tramait :
— Tu n'oserais pas....
— Nous n'avons pas le choix.
Et, dans un geste théâtral, Gustaud ouvrit la trappe de son réservoir. Une giclée d'eau bouillante jaillit et éclaboussa la tête de la guêpe. La créature poussa un cri strident, puis s'écroula, fumante, au milieu de la salle.
Greg et Nemo se précipitèrent vers leur ami. Gustaud ne bougeait plus. Sacrifice héroïque ? Fin tragique ? Pas vraiment. Greg vida en vitesse sa gourde dans le réservoir du robot, referma la trappe, et... clac-clac-clong. Gustaud se remit à bouger.
À ce moment-là, les habitants de l'île débarquèrent en trombe.
— Les gars, on dégringole ! Et c'est quoi toutes ces secousses ? hurla Karl, le maire, en découvrant la guêpe géante étalée au sol.
Greg expliqua rapidement ce qui s'était passé, tout en colmatant les trous du réservoir avec ses compagnons. Bientôt, tout le village s'y mit, chacun avec un marteau, une plaque de métal ou même une casserole pour taper dessus (parfois, ça marche). Enfin, l'île se stabilisa.
— Bien, dit Greg. Mais pour remonter, il nous faut plus de liquide dans la chaudière.
— On n'a plus rien ! s'affola Karl.
—Il reste une solution, annonça le mécano, l'air grave.
Tout le monde le fixa. Karl pâlit.
— Non... pas ça...
— Si. Il faut brûler... l'alcool et la bière.
Un silence glacial parcourut la foule. Puis tous les habitants crièrent d'une seule voix :
— Non !
Mais ils n'avaient pas le choix. Alors, le cœur lourd, ils versèrent les précieux tonneaux dans la chaudière. L'odeur d'alcool brûlé se répandit dans la salle, et l'île commença lentement à reprendre de l'altitude.
Greg soupira, épuisé, Nemo toujours dans sa poche, Gustaud soufflant bruyamment à côté.
— Au moins, on est vivants.
— Sans bière, est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? répliqua un villageois en sanglotant.
Et c'est ainsi que l'île 1105 échappa à la catastrophe. Enfin... pour cette fois.
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