L'heure de rentrer

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Nous étions allongés sur la plage.
Marie, moins frileuse que moi, s'était baignée après notre pique-nique. Elle était revenue s'allonger à côté de moi, sans se sécher. Elle aimait sentir le soleil sur sa peau mouillée. Elle fermait les yeux et restait immobile. Puis retournait se baigner quand sa peau était sèche.
Je me redressais de temps en temps pour regarder l'heure. J'avais glissé ma montre dans une de mes chaussures, près de mes pieds, pour la protéger du sable. Ce n'était qu'une babiole à quinze euros que j'avais achetée dans un mouvement d'humeur. Une réaction au soupir de Marie après que j'avais parlé de m'offrir une montre connectée.
Marie et moi avions rejoint l'île des Ebihens en passant par le banc de sable qui, à marée basse, reliait la pointe du Chevet à l'archipel. Nous étions nombreux à faire la traversée à pied. Le ciel était d'un bleu lumineux, dégagé de tout nuage, il faisait chaud, et les heures de marée étaient favorables à un déjeuner sur l'une des plages de l'île.
Pour plaisant qu'il soit, le séjour sur l'île imposait d'être vigilant. L'île n'était accessible que pendant cinq heures environ. Rater l'heure du retour signifiait appeler les secours ou attendre la prochaine marée basse. Neuf heures plus tard. Piégés sur cette île minuscule. Une inscription, peinte sur les rochers, vous rappelait qu'elle était privée. Aucun hôtel, aucun restaurant. Même pas une buvette. Chaque année, des imprudents se faisaient avoir.
C'était ma responsabilité de surveiller l'heure. Alors, régulièrement, je sortais ma montre de ma chaussure.
— C'est beau, ici. On est bien. Profite ! soufflait Marie, sans même ouvrir les yeux.
— C'est peut-être beau, lui répondais-je, mais ça n'empêche pas qu'il faille surveiller l'heure.
J'avais laissé mon téléphone à la maison. Marie avait insisté. J'avais cédé. Les e-mails, vacances ou pas, devaient continuer à s'accumuler dans ma boîte professionnelle. J'attendais le résultat d'un appel d'offres, la confirmation d'un rendez-vous avec un important décideur que nous chassions depuis des mois, et la revue de presse préparée quotidiennement par mon entreprise.
— C'est vraiment si important que ça ? m'avait demandé Marie.
— C'est ce qui paie ces vacances, avais-je répliqué.
Elle avait haussé les épaules, dit qu'elle se souvenait de très belles vacances quand je gagnais trois fois rien, et était sortie dans le jardin téléphoner à sa mère, tournant ostensiblement le dos à la fenêtre par laquelle je la regardais. Au moment de partir, j'avais laissé mon portable sur la table du salon.
Nous étions une vingtaine, à peine, à avoir choisi cette plage. Certains, comme nous, étaient tributaires des marées. Pour d'autres, débarqués des petits voiliers qui mouillaient vers les rochers, le temps ne comptait pas.
Marie avait raison. C'était beau ici. Incontestablement. La plage de sable blanc, très fin, était nichée dans une petite crique. De sombres et imposants blocs de granit sur lesquels s'accrochait un lichen orange. Au-delà des dunes, les fougères adoucissaient les formes de l'île, ondulaient sous l'air du large. Ici et là des pins, tordus par le vent, projetaient un peu d'ombre. Aucune maison n'était visible depuis la plage. Nous pouvions être au bout du monde. Sur une plage sauvage. Ailleurs. Nulle part. Dans l'illusion d'échapper à la civilisation.
J'étais allongé sur le sable. Les yeux fermés. Sur ma peau, le soleil et l'air du large.
Près de nous, les vacanciers les plus prudents commençaient à ranger leurs affaires. Je voulus me redresser mais Marie posa sa main sur moi.
— On a le temps, murmura-t-elle.
Son visage était détendu. Nous avions laissé beaucoup de choses derrière nous en traversant par le banc de sable. Peut-être la vie était-elle plus facile quand on vivait dans un endroit tel que celui-ci. Je restais allongé. La main de Marie tout près de la mienne. Je fermai les yeux à nouveau. Le soleil. L'air du large. Le bruit des vagues qui remontaient doucement la plage. La respiration de Marie.
Lorsque enfin je me redressai, il ne restait que ceux des bateaux et nous. Marie gémit tandis que je me penchai vers ma chaussure. Je regardai autour de moi. On était de l'autre côté du monde, un endroit d'où personne ne voudrait revenir. Je pris ma montre et, sans regarder l'heure, la jetai de toutes mes forces en direction de la mer. Puis m'allongeai à nouveau et pris la main de Marie dans la mienne.

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