L’habit ne fait pas le sorcier

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Ce texte mêle habilement le monde de la sorcellerie et celui du travail ! L’entretien d’embauche est relaté avec précision et dynamisme, et le

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Autrice amateur et correctrice professionnelle. Parent de chats. En règle générale, je suis incapable d'écrire des textes courts. Parfois, cependant, des miracles se produisent...

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Nathan se demande ce qu'il fout là.
Il a d'abord cru à un canular, en tombant sur l'annonce LinkedIn. Pourtant, le correspondant qu'il a eu par mail paraissait sérieux, s'exprimait sans fautes d'orthographes douteuses, puis la secrétaire au téléphone lui a paru froide et dénuée d'émotions, comme une véritable employée de la fonction publique.
Même le bâtiment fait officiel, pour peu que cela ait un sens : sobre, ennuyeux, aseptisé. Quelques posters, magazines et autres prospectus agrémentent la salle d'attente, seules touches de couleur apportées par « l'entreprise ». Quant aux autres candidats... Il a beau chercher, il ne voit pas de terme agréable, ni même neutre, pour les caractériser.
Lorsqu'on lui agite un prospectus sous le nez, Nathan force un sourire qui lui semble relever davantage de la grimace, mais qui paraît satisfaire l'homme qui lui tend le papier. Lorsque Nathan le lit, il se sent dépité par le caractère prévisible de celui-ci : le même que l'on trouve dans toutes les boîtes aux lettres, une ou deux fois par an.
Marabout, vaudou, sorcellerie : retour de l'être aimé, réussite aux examens, placement en bourse, promotion, élargissement du pénis, fleuraison des hortensias. Appelez-moi au 06...
Et ces gens pensent réellement être pris au sérieux ? Il pince les lèvres. Voilà, c'est à cause de gens comme ceux-là que lui a honte de révéler son véritable métier à son entourage. Durant six mois, il a réussi à faire croire à son ex qu'il minait du Bitcoin sur internet.
En face de lui, une jeune fille patiente en inspectant ses longs ongles. Elle doit avoir la vingtaine, une foule de bijoux, des tatouages de plantes et des vêtements en laine qui ont l'air de gratter, si on se fie aux rougeurs sur ses bras – sûrement du poil d'alpaga qui vient du Pérou, tissé à la main ou bien il ne sait quelle connerie encore. Une de ces nouvelles sorcières Wicca, sans doute. Toutes les mêmes. Bon, côté religion, il n'a rien à en dire, mais elle ne peut pas s'habiller un peu plus strictement, pour un entretien d'embauche ? Entre ça et les cheveux roses, comment peut-elle espérer que ces gens la prennent au sérieux ?
Et encore, c'est l'une des moins pires. La pièce où se déroule l'entretien s'ouvre. Une petite vieille toute rabougrie puant l'encens, avec un châle et au moins dix amulettes autour du cou, en sort, raccompagnée par un ponte du gouvernement en costard-cravate. Il lui lance le traditionnel « on vous rappellera ! » et retourne s'enfermer dans le bureau, cette fois-ci avec le marabout. Madame Irma chantonne en quittant le bâtiment.
— Eh bien, il y a beaucoup de charlatans, ici, ne trouvez-vous pas ?
C'est son voisin, confortablement installé sur sa chaise en plastique – aussi confortablement qu'on peut l'être, en tout cas, sur ce genre de machins pliants – qui vient de lui adresser cette phrase d'introduction. Son sourire éclatant aurait pu inspirer la confiance, s'il ne portait pas une grande toge blanche ornée de motifs dorés. La cinquantaine, chauve.
— Vous êtes quoi, vous ?
Le type lui tend une main que Nathan ne prend pas, en répondant :
— Je suis Nostradamus, le prêtre cosmique des étoiles du firmament.
Un leader de secte, donc. Alors ça, c'est le pompon. À la limite, les autres arnaqueurs ne font pas trop de mal : s'ils parviennent à subtiliser quelques billets à des petits bourgeois souhaitant parler au fantôme de leur caniche, grand bien leur en fasse ! Dans cette économie, il faut bien trouver des combines pour survivre. Mais cette engeance-là...
Heureusement pour lui, la porte s'ouvre de nouveau sur le costard-cravate. Vu la durée de l'entretien, le marabout ne l'a pas convaincu. Ce n'est pas franchement étonnant. Ce mec arrive vraiment à gagner sa vie avec ce genre de magouilles ?

Finalement, le recruteur prononce le nom de Nathan et celui-ci se lève comme un ressort. Il ne flanche pas même en se sentant analysé de la tête aux pieds et entre dans le petit bureau sans fenêtres, où on lui demande de s'asseoir.

Il ignore en quoi consiste exactement ce « travail » auquel il postule, mais l'annonce vient du gouvernement, rien que ça ! La description était vague et contenait les mots : paranormal, sorcellerie, au-delà, pouvoirs spéciaux. Il doit s'agir d'une section de recherche scientifique sur tout ce qui a trait à l'inexpliqué, comme ce qu'a mis en place la CIA au siècle dernier. Le genre de choses un peu immorales sur les bords.
Mais la morale, Nathan n'en possède pas plus que tous ces diseurs de bonne aventure. Oh, lui, il se targue de faire correctement son boulot, sans mentir à quiconque ! Seulement, voilà, les clients ne se bousculent pas au portillon... Alors, ce job, c'est une aubaine pour lui.
Il s'est préparé pour l'occasion, s'est rasé, vêtu de sa plus belle chemise et a mis à jour son CV. Il est sérieux, pas comme ces clowns qui se pavanent dans la salle d'attente !
Le cadre en costume-cravate épluche ses papiers, puis lève des yeux mornes vers Nathan, avec un sourcil arqué jusqu'au milieu du front comme s'il ne le prenait pas au sérieux.
— Bien. Parlez-moi de vous.
— Je m'appelle Nathan Daot. Je suis consultant en paranormal.
Le sourcil s'arrondit encore, s'il est possible.
— Consultant ? répète le recruteur en articulant chaque syllabe.
— Oui. Cela consiste surtout à déterminer si les gens sont hantés par un fantôme, un démon, ou juste paranoïaques.
Le type écrit quelque chose sur ses papelards. Il prend son temps, le bougre. Nathan s'agite.
— Je vois. Et quelle est la différence entre ces... trois cas de figure ?
Il prend le ton sceptique de tous ceux à qui Nathan explique son métier. Oh, il ne s'attendait pas à ce que ce soit facile, de toute façon !
— Les démons sont agressifs et vicieux. Tout ce qu'ils font a un but : rendre fou, blesser, tuer... Les fantômes sont juste des énergies rémanentes après la mort. Si leurs manifestations blessent quelqu'un, ce n'est que par pure coïncidence. Quant à la paranoïa, c'est simple : portes qui claquent à cause des courants d'air, bruits étranges qui proviennent en réalité de la plomberie... Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin.
— Que faites-vous pour renvoyer ces... entités, dans l'au-delà ?
— C'est impossible. Les démons sont ici à cause d'un pacte, et rien ne les arrêtera avant le terme de celui-ci. Quant aux fantômes, il n'existe aucune technique pour les faire disparaître.
Ce mec va vraiment se faire une torsion des sourcils à force de les hausser.
— Vous n'aidez pas ces pauvres gens ?
— Que voulez-vous que je fasse ? Je leur conseille de quitter le lieu hanté, au mieux. Si un candidat vous sort l'aspirateur de Ghostbusters, flanquez-le à la porte, par pitié !
La blague ne fait pas rire le recruteur. Nathan déglutit.
— Autre chose à signaler ? questionne-t-il de son ton traînant. Télékinésie, télépathie, communication avec l'au-delà...
— Des conneries, tout ça ! Euh, sans vouloir vous offenser.
Mince, il passe tellement de temps à s'agacer sur tout ceci que la moutarde lui monte naturellement au nez chaque fois qu'il en parle. Réflexe.
— Bien. On vous rappellera.
Quoi, c'est tout ? Alors, il n'est pas crédible ? Nathan se lève, dépité, alors que le recruteur le raccompagne à la porte. Enfin, il est beaucoup plus crédible que les autres imbéciles ! Il repasse par la salle d'attente, alors que le cinquantenaire – le prêtre suprême de Jupiter ou il ne sait pas quoi – s'avance pour lui succéder.

Pourquoi ne les a-t-il pas convaincus ? Aurait-il dû se présenter en tant que sorcier ? Bah ! Trop connoté. Le terme évoque des toges et des chapeaux pointus ridicules. Magicien ? Encore pire ! Il ne fait pas de tours de passe-passe !
Blasé, il sort du bâtiment et s'adosse au mur. Là, il sort une cigarette qu'il cale entre ses lèvres, puis claque des doigts pour faire apparaître une flamme au bout de son index, dont il se sert pour allumer le tube de tabac. Il secoue le doigt pour l'éteindre, souffle un tourbillon de fumée vers le ciel.
Vraiment, quelle galère, de trouver du travail.
 

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