L et L

La boutique de Luana est un monde à part, un désordre gentil et insolite. On y a chaud tout le temps, aux yeux et au cœur.
Luana vient du pays de la Samba et quand elle est arrivée en France, par un morose jour de Novembre, elle a eu froid , froid de tout, du temps qui brutalement, jouait à l'ère glaciaire alors que l'été avait été plus que suffocant...du décor où elle voyait trop de papiers jetés, de canettes épuisées, d'épluchures et même  des restes de repas... et plus encore, du regard triste ou fatigué des gens qui la croisaient, la glaçant davantage ! C'était désarmant, angoissant et ce monde avait l'air si désabusé !
 
Alors elle a décidé que plus jamais, jamais, elle ne vivrait ces moments de blues à l'âme ! Sa mère était française et lui avait donné le goût des jolies choses y compris l'amour de la langue. Son père brésilien était mort dans un accident de voiture et quand sa mère le rejoignit après une longue maladie, elle quitta sa terre de soleil.  Forte d'un bel héritage, elle s'installa à Paris, cette ville de légende mais son arrivée dans la capitale, la déçut un peu ! Elle ne vit que le noir des choses et s'en voulut. Elle avait la lumière et l'azur dans son sang : il lui fallait réagir !
Elle s'adapta très vite et trouva rapidement un local où elle donna tout de son talent.
 
Parce que...
 
Luana tricote. Elle tricote depuis qu'elle est toute petite, elle sait tout faire. Maille à l'endroit, maille à l'envers ! Elle noue  le monde à son âme et fait exploser la douceur ! Entre ses mains et parce qu'elle aime l'univers d'un amour émerveillé de petite fille encore, elle invente tout et provoque d'audace imaginaire, les gens indifférents au sort fragile de la terre.
 
Sur le premier rayon du mur de droite, vers la fenêtre, on trouve des Mohaircanet, on peut y glisser n'importe quelle petite bouteille ronde et à l'intérieur une petite cloche résonne lorsque la canette tombe par terre. Un rappel à l'ordre pour ne pas la  jeter n'importe où !
Plus haut vers l'escalier en bois, il y a les  Cachemirimes, enveloppes de cachemire pour papier. On y met ses pages et le tout est retenu par une épingle en bois qui couine si on arrache les feuilles et qu'on les laisse voler au sol !
Pour éviter les déchets  sur les trottoirs, on peut avoir l'Angorétui, tout en angora  et dont le fond  se rallonge à souhait. Il suffit de tirer sur les bretelles en bambou, le sac se déplie et peut contenir beaucoup d'intrus . Le tout est relié à une petite lampe Led, clignotant à l'approche d'une grosse poubelle urbaine. Signal  lumineux pour ne pas la manquer et se délester de tout ce qui a été récolté !
Pour les détritus plus encombrants, il y a la Shtelandpoub,  housse colorée et esthétique, qui entoure  les poubelles ordinaires, chaque chute d'objet  claque sur des petits grelots, installés dans les compartiments du sac; si une erreur s'est produite, si on a mis du bois là où l'on aurait du mettre du verre,les grelots s'agitent ! 
On trouve aussi le Doudoumouton qui permet de rassembler les plus petits éléments oubliés tels que morceaux de plastique, ficelles égarées, rubans usés .  Le Mérinobag est un abri soyeux pour chats perdus et la  Lainelaisse, une laisse tricotée en plusieurs laines croisées  pour chien  fidèle .On peut aussi avoir l'Alpagalà dit Sac de Générosité pour mettre la nourriture que l'on veut donner à de plus nécessiteux.
 
Tout ceci a déjà été inventé, oui, bien sûr, d'une façon beaucoup plus sérieuse mais Luana y a mis sa patte. Elle a tout rendu esthétique, drôle et fantaisiste. Le monde ne rit plus, elle n'a pas la prétention de le faire rire, elle veut juste l'adoucir de ses petites créations farfelues mais qui font fondre le regard des clients ! Le monde s'use parce que les gens l'ignorent, le maltraitent avec des gestes peu élégants, ils oublient les secrets des arbres et les odeurs des jardins magiques. Elle n'a pas le talent d'un orateur pour expliquer que la fragilité se soigne autrement que par l'indifférence et la négligence, elle veut juste montrer qu'un petit rien souriant peut beaucoup ! 
 
Dans la boutique de Luana, personne ne paye .Tout est prêté. Quand les gens reviennent, Luana leur prend le matériel qu'elle recycle autrement et leur en donne un neuf. On choisit, on utilise, on rend même en mauvais état, tout va renaître !
 
 Luana vit de son héritage et n'a besoin de rien d'autre que de tricoter... Maille à l'endroit, maille à l'envers !  On lui passe même des commandes ! Ce  matin, on lui a demandé des plumes en tricot léger, aérien pour un volant qui fait la gloire de l'Indiaca, jeu populaire dans son pays mais moins connu en France, malgré sa place aux Jeux Olympiques. Son père y jouait, une sorte de volley mêlé à du badminton et à de la pelote basque. Un jeu aux règles simples qui oublie l'agressivité et qu'elle a toujours aimé !
 
Elle tricote donc quatre plumes en rouge et jaune qu'elle fixe sur un petit bâton, ce qui les rend  équilibrées et souples, des plumes d'oiseau !  Elle est ravie de les créer comme si elle retrouvait un rien  de son pays. Le volant est parfait, éblouissant et il pourra rencontrer  le filet qui sépare les deux équipes, avec une superbe envolée. Luana rêve en caressant les plumes au duvet léger La porte s'ouvre :
 
  •          Bonjour, je viens chercher ce que vous tenez dans vos mains ! Il fera un essai aujourd'hui avant notre prochain match !
 
Luana sourit.
 
Le jeune homme  signe le papier de prêt et s'engage à rapporter le volant usé.
Elle regarde le prénom de ce prince que le hasard a conduit ici ! Il s'appelle Léandro.
 
Depuis, on les surnomme les deux L : Leandro et Luana. Ils s'envolent  sur un bout d'étoile ou un fil de laine ! Ils sont heureux !
La vie se tricote peu à peu... Maille à l'endroit, maille à l'envers !
 
Le jour se lève sur la Seine et jamais, Paris  n'a été aussi  beau !
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