L'âge des possibles

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Amélie se regarda dans le miroir pour la quinzième fois. Rien à faire. Ça n'allait pas. Elle enleva à la hâte ce tee-shirt qui la boudinait et cette jupe trop courte et jeta un œil à la pendule. À ce rythme-là, elle allait finir par être en retard. S'il pouvait être de bon ton de se faire désirer pour un premier rendez-vous, il ne fallait pas non plus pousser le bouchon trop loin, songea-t-elle en fourrageant dans sa penderie.
Tiens, le pantacourt bleu marine, elle l'avait oublié celui-là, espérons qu'il lui irait toujours. Avec le petit chemisier blanc en dentelle, ce serait parfait.
Amélie enfila rapidement ses nouveaux vêtements, dégagea ses cheveux et se redressa, les yeux rivés sur son reflet. Elle réprima un petit rire nerveux. Pour un peu, elle en aurait presque tremblé. Ce n'était pourtant pas le premier rendez-vous amoureux de sa vie. Mais aujourd'hui, elle sentait, elle savait que celui-là serait différent. Jean et elle avaient déjà beaucoup discuté. Au téléphone d'abord, par Skype ensuite.
— Calme-toi, se sermonna-t-elle en se parlant dans le miroir.
Jean avait l'air d'avoir les mêmes attentes qu'elle. La première fois qu'il était apparu sur l'écran, elle l'avait trouvé un peu gauche. Normal, elle non plus n'était pas franchement à l'aise. Et puis la conversation s'était installée, assez naturellement, suffisamment en tout cas pour qu'Amélie ait finalement envie de le rencontrer en chair et en os.
Il ne lui avait pas donné l'impression d'être du genre coureur. Ça aussi, c'était important, capital, même, pour Amélie. Le nombre de types qu'elle avait croisé au hasard des mails reçus via le site et qui lui avaient fait l'effet d'être dans une quête perpétuelle du « toujours mieux », ou simplement dans cette autosatisfaction insupportable de plaire au plus grand nombre, juste histoire de flatter leur ego, et qui enchaînaient les aventures...
Elle arriva avec seulement quelques minutes de retard et repéra tout de suite Jean, assis à la terrasse du café, les yeux tournés vers le fleuve. Elle appréciait particulièrement ce côté « contemplatif » qu'elle avait tout de suite senti chez lui. Prendre le temps de vivre, sereinement, et si possible à deux. Elle ne demandait rien d'autre.
Premier bonjour « en vrai ». Sourires un peu gênés. Morceaux de phrases inachevées, œillades de côté, comme si le monde entier pouvait deviner que leur rencontre était née sur le net.
Allons, de nos jours, tout le monde sait que c'est de plus en plus fréquent ! s'était répété Amélie pour mieux se convaincre.
Mais quand même.
Le petit nœud au creux du ventre, et une légère crainte de se sentir jugée par ses proches continuaient de la tourmenter.
Ils parlèrent d'abord de tout et de rien. Du Mascaret qui serait bientôt là, de la brume matinale sur la Garonne à l'heure où les premiers ouvriers vendangeaient les vignes à côté du jardin d'Amélie. Puis Jean parla de sa vie. Son passé, douloureux comme celui d'Amélie. Mais lorsque leurs regards se croisaient, une étincelle effaçait toute tristesse ou nostalgie.
Ils se mirent à rire, toujours de tout et de rien.
Au bout d'une heure, il leur sembla qu'ils se connaissaient déjà depuis longtemps. Une évidence s'était installée. Jean se hasarda même à lui prendre la main, doucement, naturellement.
Amélie sourit timidement. Elle avait encore besoin d'être rassurée. Jean murmura :
— À soixante-quinze ans, comme à vingt ans, on a toujours droit au bonheur. On sait tous les deux ce que devenir veuf peut avoir de douloureux, mais la vie est là, elle est belle. Elle nous attend.
Il essuya une larme sur sa joue.
Ils marchèrent un long moment main dans la main le long du fleuve.
La vie est là. Elle est belle. Elle nous attend.
Amélie ferma les yeux.
Désormais, ce serait son Carpe Diem.

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