L’aboi d’un jeune infortuné !

Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître. Vous m'avez toujours montré le mauvais exemple. Maintenant, vous daignez exiger mon respect ? A cause de vous, j'étouffe des océans de larmes tout seul, dans mon oreiller très tard le soir, jusqu'à ce que je m'y noie. Je refoule des cris intérieurs d'affliction et de misère qui résonnent dans tout mon être. Ces déchirures enfouies sous mes plus beaux sourires, tous aussi faux les uns comme les autres. Un semblant de joie de vivre que je m'efforce à feindre, tous les jours, pour cacher vos errements. Souvent, il m'arrive de penser ne pas appartenir à ce monde. Je ne me reconnais pas dans les façons de faire, dans les manières de vivre, dans l'énergie qui y circule. Je me sens étranger. Je ne parviens à trouver ma place nulle part, avec personne. Je ne suis jamais arrivé à m'identifier dans cet ensemble. Et pourtant, j'ai maintes et maintes fois essayé, avec vous, à conquérir votre attention. Je ne ressemble pas à ce gaillard engagé envers ces obligations familiales que vous-même n'aviez pas assumées d'antan. Je tends à ne pas correspondre à l'image de la fille exemplaire, votre chère protégée, vouée à une réussite certaine dans la vie.

Aujourd'hui, trouver mes repères est inconcevable. Et ce, malgré des interrogations incessantes sur le sens de mon existence. Des questions sans réponse qui me suivent jusque dans mon lit, très tard la nuit, et me volent mon sommeil. Savez-vous que vous avez détruit tout de moi ? Tout de ce que devait être ma personne ? Vous m'avez entraîné dans cette marée d'agonie. Et je me vois m'y engloutir, jusqu'à ce que j'en fasse mon monde. Vous m'avez blessé, de l'extérieur comme de l'intérieur. Je n'ai pas réagi comme il faut. Je vous ai laissé faire. Je me suis prêté au jeu. Maintenant, je suis brisé, en mille morceaux. Une destruction face à laquelle je me montre complètement impuissant. Malgré tout, j'essaie de m'en sortir. J'essaie. J'essaie réellement. Je fais au mieux. Je fais de mon mieux. Ce n'est pas toujours facile. C'est rarement facile. Toutefois, j'essaie. C'est pour moi une guerre sans fin, où tout juste sorti d'une bataille, j'en fais face à une nouvelle. Alors je me bats, de toutes mes forces, ou du moins ce qu'il en reste. Et je perds. La vie n'allait pas me faire de cadeau. J'ai commencé à le comprendre comme ma réalité et à y faire face. De la débrouille, il en faut en quantité immodeste. Repousser mes limites pour obtenir mon "dû", voilà la stratégie gagnante. Facile à dire, moins accommodant dans la pratique. Me rendre compte qu'il n'est point question de me résigner, mais de continuer à me battre, jusqu'à gagner la guerre. Si bien qu'aujourd'hui, je sens mon corps prêt à me lâcher, à tout moment. Il est midi quarante-deux quand j'écris ces lignes et je m'attends à m'écrouler dans les prochaines secondes. Vous savez pourquoi ? J'ai encore passé ma nuit à penser à vous, à tout ce que vous m'avez fait endurer. Je suis exténué de revivre ces moments. Je suis à bout de ces nuits blanches, bercées par des souvenirs d'horreur, illustrées par ces images effroyables et interminables, dont vous êtes le sujet principal.

Je dois sûrement vous remercier aussi. A défaut d'attentions suffisantes de votre part, je mendie à présent la reconnaissance d'autrui. Pour me démarquer, je dois viser l'excellence, à tout prix. "Etre le meilleur" devient une obsession plus qu'une ambition. Il peut être important de soulever le culte de performances dans lequel je me suis baigné bien des années étant enfant. Vous exigiez de moi excellence et droiture dans tout ce que je faisais. Efforts vains, jamais reconnus. Ce n'était jamais suffisant. Ce ne sera jamais suffisant. Je me lève chaque matin avec la crainte de ne pas satisfaire aux attentes, de ne pas être suffisamment bon, de ne pas être à la hauteur. Je m'acharne alors à l'atteinte d'un niveau de perfection inatteignable. J'abandonne tout de moi pour qu'on daigne prêter attention à ma personne. Je n'hésite pas à me livrer tout entier pour servir une cause qui n'est pas la mienne. Je brave l'impossible pour l'accomplissement d'un dessein qui ne m'appartient pas. Avez-vous seulement idée de ce que cela peut faire d'attendre constamment une validation que l'on n'aura pas ? Cela fait plus d'une vingtaine d'années que je l'attends et je continuerai à attendre.

A cause de vous, je m'isole. Je me protège. J'évite délibérément de m'éloigner de ma zone de confort, pour échapper à ces blessures qui courent les rues quand on se livre corps et âme à une, d'autres personnes. Je me la joue timide, froid, un tantinet mystérieux. Non. Je demeure effrayé. Mais de quoi ? De cette terre inconnue, ou un peu trop connue, sur laquelle beaucoup y sont revenus rouges de sang. Pire ! Ils y ont laissé leur peau. Je me vois navré de vous dire que je vous dois tout, sauf de la reconnaissance. Encore moins de la considération. Pour moi, vous êtes la représentation parfaite de la trahison. Et pourquoi donc ? Comme si la question avait lieu d'être. Vous n'étiez pas fichu d'honorer une seule promesse, faite sous l'influence des hormones peut-être, à celle qui a dû ramasser les pots cassés. Je parle de celle que vous brutalisiez sous mes yeux, la femme la plus importante de ma vie. Je n'étais qu'un enfant. Sachant que vous étiez au moins deux fois plus fort qu'elle. Frénétique et impétueux, vous vous acharniez sur elle, sans recul. Vous étiez violent, très violent. Je me rappelle qu'elle tentait, par tous les moyens, de se protéger, ce qui restait inopérant face à des coups qui arrivaient de partout. Vous savez, elle venait me voir après ces abominations pour me dire que tout allait bien pour elle. Je sais que non. Je savais. Je sais également que ces scènes se reproduisaient souvent, très souvent. J'ai choisi de ne pas m'en ramentevoir les détails. Aujourd'hui, vous venez quémander mon affection ? Vous ne l'aurez point. Vous ne le méritez pas. Vous n'aviez rien de la figure d'amour, de charité et de protection escomptée. Vous manquiez à vos prétendues responsabilités, plus simple de les laisser à une autre. Adepte des paris, que vous n'avez jamais gagnés, vous rentriez très tard le soir, puant l'alcool et le tabac. En prime, vous distribuiez les coups. Non. Vous n'étiez pas un modèle. En tout cas, vous n'étiez pas le bon. Vous étiez distant. Vous aviez dû comprendre que dans mes meilleurs souvenirs d'enfance, vous n'êtes pas là. Que je refoule des mots, violents. Que je crains de vous les dire un jour.

Mon respect, je le dois à une autre. A qui me demanderez-vous ? A défaut du modèle masculin tant espéré, la gent féminine relève le niveau. Elle brave l'impossible. Elle bouscule les codes. Elle me montre une toute autre image de ce qu'elle devait être selon le public autour, bien différente de ce qu'on voulait bien me décrire. Elle était agile, forte et intelligente. Elle relevait les défis comme personne d'autre ne pouvait le faire. En l'occurrence, elle élevait trois marmots et s'assurait qu'ils reçoivent de bonnes éducations pour devenir un jour des personnes qu'elle n'aura pas pu être. Elle ne se fatiguait pas. Elle l'était, mais hors de question pour elle de céder. Elle confrontait les problèmes et trouvait solution à tout obstacle. Son existence est mue par nos réussites. Elle existait pour nous. Elle existe à travers nous. Non. Mon modèle est une femme, courageuse, battante et resplendissante. Non. Mon modèle est une femme, qui donne la vie, qui chérit, qui protège. Mon héroïne est une femme et je me reconstruis pour l'heure à son image.