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L'enfant exultait. La dernière rampe venait d'être franchie et il ne lui restait plus qu'à se laisser couler dans la longue descente, en donnant, de-ci de-là, quelques coups de pédale pour ne pas trop ankyloser ses jambes. Enfin, il l'avait eu la Tarrade ! Son Tourmalet à lui ! Près de trois kilomètres de montée sans le moindre pouce de répit, deux épingles à cheveux au sommet avec, pour finir, une pente aussi raide que celle du clocher de l'église. Bon sang, pour la première fois il n'avait pas posé pied à terre ! Pourtant dans le virage des Bardis, l'étau qui le comprimait avait resserré encore plus fort sa poigne d'acier. Au point de lui faire crier grâce. Mais il avait pensé à l'enfer de Verdun dont son pépé Jajeu lui avait tant parlé... Alors, en regard de ce que l'Ancien avait enduré des semaines et des semaines durant, cet ultime effort à consentir ce n'était rien du tout, une broutille... Et puis l'enjeu, ce terrible désir aveugle de rester sur son vélo jusqu'en haut, méritait à coup sûr quelques dernières poignées de ahanements rauques. Quitte à ce que ses poumons explosent...
Sur la route, le vent caressait maintenant son visage et commençait à sécher les deux ridules de sueur qui n'allaient guère tarder à cristalliser le long de ses tempes. Les mains sur les cocottes des freins, il pensait à Georges Briquet. Lui aussi, un jour, il serait reporter sur le Tour ! Il en avait l'étoffe. D'ailleurs, les soirs de juillet, assis sur les marches encore tièdes de l'escalier, le Miroir Sprint ouvert sur les genoux, ne refaisait-il pas avec brio l'étape du jour ? Oh, il n'avait pas besoin de chercher ses mots. Ils coulaient, clairs et limpides comme l'eau de la Vézère, indéfiniment. Sa grand-mère en convenait lorsque, descendant les marches, elle le gratifiait d'un sourire assorti de son expression favorite : « Arrête un peu ta taravelle, Petit, tu me soûles ».
« Un vrai moulin à paroles, ce gosse ! » ajoutait-elle parfois.
L'enfant lâcha le guidon un instant, le temps de contrôler, une fois encore, que dans la poche de sa chemise se trouvait toujours la photo sépia de Louison dans la casse déserte de l'Izoard. Ah, Louison... un champion capable de transcender sa souffrance pour abandonner non pas au pied mais au sommet de l'Iseran ! Un seigneur... qu'il allait enfin découvrir en vrai, dans quelques minutes, là, dans le bourg, lui la vedette du Critérium...
Alors quand il le vit, seul échappé, impérial dans son maillot jaune Bobet-Hutchinson, le visage à peine marqué par l'effort, virant, après avoir balancé sa jambe droite, dans la courbe face à l'hôtel de la République, son cœur s'emballa. Debout sur le rebord de la barrière métallique, les jambes tremblantes, il accompagna du regard, aussi longtemps qu'il le put, cette vision évanescente d'un dieu descendu de son Olympe. Une parcelle d'éternité ! Il venait de grappiller une parcelle d'éternité !
Bien plus tard, au moment où le vainqueur regagnait son hôtel, gerbe de fleurs au guidon, l'enfant, les tempes bourdonnantes, s'entendit souffler ces mots : « Bravo, Louison ». Subitement interdit par son audace, il se mit à frissonner. Malgré le sourire qui illumina le visage du champion, il crut défaillir. Alors quand le « grand monsieur » déchaussa son cale-pied gauche pour s'arrêter et lui tendre son bidon vide, les yeux de l'enfant s'embuèrent comme le jour où sa mère lui avait annoncé le grand départ de son pépé Jajeu pour le ciel.
Sur la route, le vent caressait maintenant son visage et commençait à sécher les deux ridules de sueur qui n'allaient guère tarder à cristalliser le long de ses tempes. Les mains sur les cocottes des freins, il pensait à Georges Briquet. Lui aussi, un jour, il serait reporter sur le Tour ! Il en avait l'étoffe. D'ailleurs, les soirs de juillet, assis sur les marches encore tièdes de l'escalier, le Miroir Sprint ouvert sur les genoux, ne refaisait-il pas avec brio l'étape du jour ? Oh, il n'avait pas besoin de chercher ses mots. Ils coulaient, clairs et limpides comme l'eau de la Vézère, indéfiniment. Sa grand-mère en convenait lorsque, descendant les marches, elle le gratifiait d'un sourire assorti de son expression favorite : « Arrête un peu ta taravelle, Petit, tu me soûles ».
« Un vrai moulin à paroles, ce gosse ! » ajoutait-elle parfois.
L'enfant lâcha le guidon un instant, le temps de contrôler, une fois encore, que dans la poche de sa chemise se trouvait toujours la photo sépia de Louison dans la casse déserte de l'Izoard. Ah, Louison... un champion capable de transcender sa souffrance pour abandonner non pas au pied mais au sommet de l'Iseran ! Un seigneur... qu'il allait enfin découvrir en vrai, dans quelques minutes, là, dans le bourg, lui la vedette du Critérium...
Alors quand il le vit, seul échappé, impérial dans son maillot jaune Bobet-Hutchinson, le visage à peine marqué par l'effort, virant, après avoir balancé sa jambe droite, dans la courbe face à l'hôtel de la République, son cœur s'emballa. Debout sur le rebord de la barrière métallique, les jambes tremblantes, il accompagna du regard, aussi longtemps qu'il le put, cette vision évanescente d'un dieu descendu de son Olympe. Une parcelle d'éternité ! Il venait de grappiller une parcelle d'éternité !
Bien plus tard, au moment où le vainqueur regagnait son hôtel, gerbe de fleurs au guidon, l'enfant, les tempes bourdonnantes, s'entendit souffler ces mots : « Bravo, Louison ». Subitement interdit par son audace, il se mit à frissonner. Malgré le sourire qui illumina le visage du champion, il crut défaillir. Alors quand le « grand monsieur » déchaussa son cale-pied gauche pour s'arrêter et lui tendre son bidon vide, les yeux de l'enfant s'embuèrent comme le jour où sa mère lui avait annoncé le grand départ de son pépé Jajeu pour le ciel.
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Pourquoi on a aimé ?
En lisant ce Très très court, on se sent pousser une passion pour la petite reine et on ne fait qu’un avec le jeune personnage, poussant
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Pourquoi on a aimé ?
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