Loïc c'est mon meilleur ami.

Non, en fait, c'est mon seul ami.

Il faut dire que j'ai du mal à m'en faire. Mes parents disent que je devrais avoir plus confiance en moi... comme si c'était facile !

 

Petite, j'étais déjà timide. Mais quand la puberté a commencé, c'est devenu terrible. J'ai commencé à grossir, beaucoup, en quelques années, peut-être même en quelques mois. J'ai senti ma peau craquer et je l'ai vue se zébrer de rose puis de blanc. Les seins et les hanches d'abord. Les bras et le ventre après. J'en ai pleuré de dépit. J'ai arrêté les jupes. Et je me suis renfermée. 

 

Et pourtant, Loïc continue à venir tous les mercredis soir à la maison, comme depuis qu'on est petits. C'est le soir où ses parents rentrent tard. On regarde des séries, on rigole en mangeant des glaces ou du popcorn. Parfois on fait des cookies maison. Jamais il n'a fait une remarque sur mon changement de poids. Pourtant, lui, il est beau, mince et musclé. En plus, il est plutôt bon en cours. Et puis il est gentil. Je me dis, parfois, que s'il vient encore, c'est juste par habitude. Vu tous les amis qu'il a, je ne comprends pas pourquoi il s'embête avec moi. 

Parfois je me dis juste qu'il m'aime bien, et je tente de faire taire la petite voix méchante qui me parle. Elle se débrouille toujours pour me faire douter de moi, et le plus souvent elle gagne.

 

Des fois, quand on regarde une série, je regarde toutes ces filles minces et je rêve de la vie que j'aurais si j'étais comme elles. Souvent c'est dur alors je tourne la tête pour que Loïc ne voie pas les larmes perler. Bizarrement, c'est à ce moment-là qu'il sort une blague, rapporte des glaces ou renverse son verre. 

 

Je me souviens de la fois où on a tenté de regarder le concours de Miss France en replay. Ce jour-là je m'étais rendu compte que je n'arrivais quasiment plus à croiser les jambes, tellement mes cuisses avaient grossi. C'est la première fois que je n'ai pas pu lui cacher mes larmes. Je me souviens qu'il a éteint la télé et qu'il s'est levé. J'ai eu peur qu'il s'en aille, qu'il ait tout compris, mes complexes, mes difficultés, mes jambes qui ne se croisent plus... et il est revenu avec une boite de mouchoirs à la main. Il s'est rassis à côté de moi et on n'a rien dit. J'ai posé ma tête sur son épaule et j'ai pleuré longtemps je crois.

 

On n'en a jamais parlé.

 

Ce soir, on a voulu regarder un défilé de Jean-Paul Gaultier. Je sais qu'il aime bien la mode. Il fait toujours attention à la coupe de ses vêtements et on s'amuse à regarder ensemble comment les autres sont habillés. On se demande pourquoi cette couleur ou cette forme, pourquoi avoir assorti ce haut avec ce bas... et on s'amuse à créer leurs histoires. Quand on ne les connaît pas du tout, c'est encore plus drôle.

J'aime bien Jean-Paul Gaultier, parce qu'il a toujours un côté différent et déjanté. Ses défilés n'ont pas l'air aussi sérieux que les autres défilés de mode. Devant un bol de M&M's, on commente, on rit, on s'émerveille.

 

Et puis arrive Beth Ditto. Loïc me dit que c'est une chanteuse et me fait écouter une de ses chansons. Mais je ne l'écoute pas vraiment. J'ai les yeux rivés sur l'écran. ELLE EST BELLE. Cette femme est sacrément belle. Et elle est comme moi, elle est grosse. Et elle est belle ! Et elle a été choisie par Jean-Paul Gaultier comme mannequin ! 

 

Je sens que des larmes coulent sur mes joues, et j'entends Loïc qui me demande si ça va. Je lui réponds dans un souffle : 

 

— Elle est belle !

 

Loïc semble étonné. Il la regarde, me regarde, semble comprendre, et finit par me dire : 

 

— Oui, elle est belle. Et toi aussi.

 

Quelque chose dans ma tête et mon cœur frémit. 

 

Je suis belle.