J'ai tué la coutume avant...

« Maitre ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maitre », c'étaient mes mots à ceux que maman appelait ‘'les pères de famille'' le 11 octobre après l'avoir tué, lui. Rien de plus. Quoi ? J'aurais peut-être dû abdiquer et baver à la liesse de cette chose affabulatrice qui ignore tout de l'affaire des rapports humains ? Qu'on me tranche la gorge si je l'appelle maitre ! Je me suis tue et la vie s'est chargée de son intrépide besogne de construire et déconstruire ce qu'elle veut, elle, et non autre chose.

1.2.3. puis 1.2.3. Le temps a voyagé dans le sillon des monts, des lunes et des fleuves. On ne cherche plus ses traces dans le ciel. Il se voit désormais dans les visages balafrés tantôt des créatures-victimes et tantôt des créatures-créateurs. Prétention ! Serait-il possible qu'une chose se crée elle-même et pis ! Qu'elle se discrimine encore elle-même ? je me perd...finalement. Le sur-être existe, le surhomme n'a de cesse de se vautrer dans le temps. Tant pis pour Nietzshe ! Il n'avait qu'à ne pas parler trop vite. Je suis le fil enchevêtré des éternels recommencements à radoter trop fort la survie des uns sur les unes. Je suis le cordon rouge qui entrefait les plus flagrantes ruptures. Je suis la veille aveugle qui s'étiole dans la lumière des ténèbres. Je suis l'oiseau qui babille sur un arbre de doux fruits.

Ma mère m'avait mis en garde contre les idées dont je me nourrissais. « Mandjo ! Attention à ne pas remettre en cause la coutume. Ils sont les pères de familles, c'est ainsi que Dieu a décidé. Si par la faute de cette école des toubabous blancs-blancs tu devais renier ta culture,
ton père te maudirait. Tu le sais », m'avait-elle tonné un de ces soirs de plus où elle pleurait de douleur-vertueuse du foyer. Maman est partie. Elle n'est plus de ce monde.
Père m'a maudit puis jetée au cachot. Là-bas, j'ai gonflé de malédiction jusqu'à atteindre un summum indescriptible d'où il ne pouvait plus voir que mes longues jambes rabougries par la poisse hideuse d'une femme rebelle. C'était insupportable, puisqu'on ne pouvait se résoudre à
me rompre le cou, les sur-hommes m'ont sortie, dédaigneuse et hystérique, ils m'ont jetée à la coutume et ont fait de moi sa sujette. Riiiiires. C'était mal que de me connaitre. D'entre elle et moi, il fallait que l'une meure, soit que toutes deux, nous trépassions.

17 ans. Déscolarisée et mariée involontairement au passé lugubre de 11 jours fatals d'emprisonnement à blanc pour outrage à l'autorité des ‘'pères''. Autorité patriarcale. Je n'ai pas dit mon dernier mot. J'ai pondu dans la fierté deux enfants. Chez nous, c'est la première fonction : la femme est la machine à fabriquer des bébés à ne surtout rien changer. Rien changer. Deuxième fonction : éduquer ses enfants à être des serviteurs toutous d'une tradition qui se prostitue aux hommes et ouvre son cul à lécher aux femmes. J'ai essayé. Troisième fonction : se taire, parce qu'il faut se battre pour maintenir son foyer, ô salut pour le paradis chèrement éternel. J'ai ouvert la plaie béante de mon être-égal à ce niveau. Se taire ? Se taire pour garder ? Pourquoi se taire ? Mon ventre ne peut contenir le supplice pour le déverser dans mon cœur qui finira pourri à servir ses convictions contraires.

Hôla ! Femmes du globe et des cieux. Venez qu'on assiège nos aïeux. Qu'on leur apprenne la trahison de nos confrères à souffrir l'histoire de martyr ! Qu'ils nous apportent secours et protection, car nous entrons en guerre avec pour tout arme une once d'espoir à nous promise par la Raison de la vie.

Maman me répétait pourtant la leçon. Il ne fallait pas la rompre. La femme est faite pour soutenir son homme. Ce dernier pouvait nous collecter autant qu'il en voulait. Pardon, autant qu'il voulait. Elle n'est jamais parvenue à s'expliquer cette différence que j'avais des autres
bonnes filles. J'avais pourtant tout eu au départ. J'étais sa favorite et elle n'a jamais manqué à un devoir incombant à mon éducation. « Mais que Diantre a cette enfant !? », elle se l'est toujours demandé. Mes 8 frères et sœurs n'avaient pas eu besoin d'autant pour refléter la qualité de comportement qu'elle recherchait. Maman !

Cette pauvre dame a mis en œuvre tout ce qu'elle pouvait pour que je réponde de la coutume. Que j'honore la famille, mon père, le chef de nos vies. Je m'en voudrais si le Bon Dieu qui nous veille la recalait aux portes du doux paradis par ma faute. Oui, j'ai fauté. Je ne suis pas
devenue le cher fruit qu'elle s'évertuait à planter. Volontairement, je suis sortie de mes gonds, j'ai haussé les épaules, j'ai mis les mains dans les poches, puis siffloté dans les recoins de mon monde. En fait, je crois que ça date de depuis longtemps... Je n'aurais pas dû écouter ces émissions de femmes ‘'émancipées'' à la radio. Puisque de toutes façons, je ne vis pas de ce temps. Je suis l'Etranger Meursault d'Albert Camus. Et quand pour tout solder, l'on ne nous sonde pas, on nous coud un visage. « Ce n'est même pas une femme ! ». Très drôle. Comme s'ils avaient la VAR automatique de reconnaissance d'une vraie femme.

Pour les détromper, j'ai essayé au de part de répondre au cri strident de la coutume. J'ai essayé de ne pas toujours paraitre la
rebelle. Pour une fois et pour de bon. J'ai essayé de mériter de leurs bénédictions et annuler la malédiction de père qui me suit depuis que je m'opposais aux coups qu'il livrait gratis à maman. Pauvre mère, où es-tu ?
O anges de Dieu, ombres de la mort ! Sauriez-vous dire à ma chère mère que tout va bien, que je m'en suis sortie ? Pourriez-vous exprimer à ma mère que j'ai réussie et que moi je ne mourrai pas de coups d'un quelconque sur-être ? Sauriez-vous dire à ma mère que j'ai lutté jusqu'au bout pour m'affranchir des codes ?

Dans mon foyer, je n'ai pas toujours pleuré. Non, je ne voulais surtout pas suivre les traces de maman, finie un jour de saison sèche, en sang pour avoir été en retard sur le repas de midi. Dieu de mon antre ! Les génies l'ont emportée très loin dans un paradis promis dont la senteur
enivrante d'encens ne m'est pas encore parvenue. Jusque-là. Peut-être parce que je suis maudite ? Je ne sais pas, mais il se pourrait.

Aujourd'hui, je vis avec moi-même et mes enfants. J'ai un travail, je me fais boucler les cheveux dans un vrai salon de coiffure. A la radio où j'anime des émissions, je livre toujours des messages aux femmes pour se trouver d'autres voies si elles en ressentaient le besoin. Chaque jour, je contribue à filer une toute petite portion de la nouvelle coutume que devrons retenir nos filles. La nouvelle coutume, celle qui évolue et qui accepte sans simagrées, qu'on la remodèle pour jouir d'elle. Maintenant que j'y pense, les vraies femmes jouissent toujours de la coutume-mère que j'ai étranglé ? Oui, je l'ai fait.

Il y a 11 ans alors que j'étais près d'être une vraie femme. Par une nuit noire de malheur, j'avais sorti mon couteau serti de lame en bois soigneusement taillée en brousse. Je l'avais regardé, tâté, tourné et retourné. Puis, je l'avais rangé au chevet de la couchette rustique en bambou. Par mon Dieu, je n'avais pas l'intention de l'employer ce soir-là! Mais... il était venu, encore une fois. Après six nuits en vacances chez Djatou, Daba et Batoma, il se pointait à nouveau dans ma chambre, à sortir sa chose immonde dite de virilité et prêt à me l'empoigner. Devoir
conjugal, dit-on. J'ai dit « arrête », et mon couteau.... Mon couteau serti de lame en bois soigneusement taillée en brousse l'a empoigné en premier.

Par ce sang, moi Mandjo la fille devenue femme maudite de mon père, j'ai tué la coutume avant qu'elle ne me tue...
Avec mes enfants, nous avons pris le chemin d'une nouvelle route. Par une nuit d'éclatante lumière