Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? peut-être les deux. Ou du moins, je priais pour que ce soit un cauchemar, ce genre de rêve tellement réel qu’on ne pouvait disséquer de la réalité. Ce drame qui se déroulait sur mon corps devenait insoutenable. Ses mugissements faisaient échos dans cette pièce vide. Cet humain prenait possession de mon corps, il montait et descendait, entrait et sortait dans mon puits d’amour. J’étais là, vide d’émotions, dénouée de sentiments. Mes yeux fixaient ces points invisibles, impossibles d’être distingués dans ce pénombre. 4 jours et 4 nuits que cela dure mais on dirait une éternité tellement j’avais mal. J’implorais la mort afin qu’elle vienne me chercher, mais elle restait indifférente à mes supplications. Qu’ai-je fait pour mériter ce châtiment ?
Je suis en transe, je les sens, je sens leur vibration, ils m’enveloppent de leurs longs bras et je sais que je suis en sécurité. Certains disent que je suis esclave du malin, d’autres que je suis la fille du diable mais ce qu’ils ne savent pas, ou ce qu’ils n’osent dire c’est que je sais qui je suis, je connais mon passé et celui de mes ancêtres. J’embrasse ce passé avec tout ce qu’il possède et je le fais mien. Cette liberté qui émane de mon corps, de mon âme quand je danse au son du tambour est extraordinaire. Ils sont là et je sens leur présence. Je m’abandonne à eux.
« Plaaaaaaaaach » une gifle et je ne sais pas quand cela va cesser. Je ne pleurais plus, je ne me battais plus contre lui. J’espérais qu’il allait presser la détente de l’arme avec laquelle il m’avait frappé si bien, cette arme avec laquelle il m’avait menacée ce jeudi lorsque je quittais l’université. C’est tout ce que je voulais, pas de nourriture, pas d’eau, juste une balle en pleine tête.
Je suis la petite fille d’Antilia et tous autant qu’ils soient me doivent du respect. Je suis la petite-fille d’Antilia, cette femme redoutable. Je suis la petite-fille d’Antilia et j’ai été humilié. Je suis la petite-fille d’Antilia et je sors d’un grand lakou. Je suis la petite-fille d’Antilia et elle vient de tracer l’exemple.
J’avais 20 ans et pas de copain. J’étais à l’école normale, j’étudiais les lettres modernes. Étudiante soucieuse et dévouée toujours ponctuelle et souriante jamais je n’aurais pensé que ce serait un vil rêve, qu’à compter de ce jeudi ce sourire allait s’estomper pour toujours. Il m’a forcé de monter dans cette voiture. Il m’a tabassé et violé. Il m’a dépucelé, et sodomisé, il m’a fait vivre les pires moments de mon existence, il m’a enlevé toute once de dignité et toute envie de vivre.
Je vivais avec ma mère, ma tante ses enfants et son mari. Je n’ai jamais connu mon père. Dès qu’il avait su pour la grossesse de ma mère, il avait pris la poudre d’escampette car il était un homme marié et refusait d’assumer ses responsabilités. Les violences conjugales entre ma tante et son mari étaient monnaies courantes, il la tabassait, la maltraitait, l’injuriait comme bon lui semble. Nul n’avait le droit, ni le pouvoir d’interférer dans leurs affaires puisque c’est lui qui faisait vivre la famille. Mon univers était chaotique, rebutant, je le trainais derrière moi comme un poids, une charge insoutenable.
Toutes les grandes vacances je me rendais à Desdunes chez ma grand-mère. Et c’étaient les seuls moments ou paix et sérénité s’inscrivaient dans mon quotidien. Je participais activement dans les activités du lakou. Je dansais et me défoulaient lors des cérémonies dédiées aux esprits. C’étaient des moments libérateurs. Ils m’écoutaient, et me réconfortaient. Ce sont des sentiments et des sensations impossibles à expliquer, mais c’est ce que je ressentais. Ils étaient en moi et moi je devenais leur réceptacle.
Après ces jours passés loin de chez moi à être maltraitée, il m’a relâché dans un marché communal. J’ai ramassé toutes mes forces et je suis rentrée. Je ne pouvais dire ce qui c’était passé, j’avais peur, j’en avais honte. Tous à la maison me traitaient de tous les noms et n’ont même pas chercher à comprendre ce qui n’allait pas. Quelques temps après j’avais tout raconté à ma mère, mais elle m’ordonna de me taire. Entre temps, j’étais tombée enceinte, et dans l’impossibilité de donner le père de l’enfant. Ainsi, ma tante et son mari m’ont demandé de vider les lieux. Ma mère resta indifférente à tout ce qui m’arrivait, on dirait qu’elle attendait le jour où elle pourrait enfin se débarrasser de moi. Elle ne m’a jamais aimé, mais jamais je n’aurais pensé que sa haine à mon égard pouvait être aussi immense.
Je n’avais d’autres recours que Desdunes. J’y suis arrivée les yeux embourbés de larmes, je pleurais toutes les larmes de mon corps. Ma grand-mère m’a accueilli et m’a consolé. Puis, au bout de deux jours, elle m’a posé la question que je redoutais, cette question qui me déchire l’âme et me transperce le cœur. Cette question qui me fait remonter à une centaine de mauvais souvenirs tous autant écœurants que les autres. Qui est le père ?
J’étais à quatre semaines de grossesses et je ne voulais pas de cet enfant. Il m’était incapable d’imaginer que j’allais enfanter d’un viol, d’un enfant que je ne voulais pas, un enfant qui est tout sauf désiré, d’un enfant qui allait être la risée de tous. L’avortement est punissable en Haïti et beaucoup sont celles ayant avorté dans des conditions douteuses. J’ai été l’une d’entre elles. Je ne voulais pas de cet enfant, quitte à mourir en avortant, je n’en voulais pas.
Deux semaines après mon avortement, j’avais attrapé une grave infection. Je n’avais pas les moyens de me faire soigner. Ma vie était cauchemardesque. Je n’ai jamais su trouver la force de me suicider, pourtant, depuis ce jeudi, je ne vivais plus, je me levais tous les matins avec l’espoir de ne pas me réveiller le matin suivant. Je ne voulais plus rester dans ce monde injuste ou vivre est si fort payer. Je savais que cette infection était ma porte de sortie, mon salut divin. Je m’y accrochais fermement.
J’avais tout raconté à ma grand-mère, elle m’a laissé parler sans jamais m’interrompre et vers la fin de mon monologue une larme s’était roulée sur ses joues, j’ai aperçu comme un éclair, une rage dans ses yeux. Et c’était pour la première fois que j’ai vu ce regard. J’y ai pris peur.
Deux mois plus tard, mon oncle a eu un grave accident de la route et il est passé de la vie à trépas. Mon état s’était aggravé. On m’emmena à l’hôpital mais c’était déjà trop tard on ne m’avais pas reçu. Je souffrais dans mon corps mais je savais que c’était passager, que dans quelques jours, tout allait s’estomper. Ce passé qui me hantait m’empêchait d’aller de l’avant.
J’ai 20 ans et je n’ai jamais connu mon père, j’ai 20 ans et je n’ai jamais su ce que s’était que l’amour maternelle. J’ai 20 ans et j’ai été battu, violé et maltraité. J’ai 20 ans et j’ai avorté. J’ai 20 ans et j’ai un dégoût immense pour la vie, j’ai 20 ans et ma grand-mère s’appelle Antilia. J’ai 20 ans et je compte les secondes pour le repos éternel.
Je suis en transe, je les sens, je sens leur vibration, ils m’enveloppent de leurs longs bras et je sais que je suis en sécurité. Certains disent que je suis esclave du malin, d’autres que je suis la fille du diable mais ce qu’ils ne savent pas, ou ce qu’ils n’osent dire c’est que je sais qui je suis, je connais mon passé et celui de mes ancêtres. J’embrasse ce passé avec tout ce qu’il possède et je le fais mien. Cette liberté qui émane de mon corps, de mon âme quand je danse au son du tambour est extraordinaire. Ils sont là et je sens leur présence. Je m’abandonne à eux.
« Plaaaaaaaaach » une gifle et je ne sais pas quand cela va cesser. Je ne pleurais plus, je ne me battais plus contre lui. J’espérais qu’il allait presser la détente de l’arme avec laquelle il m’avait frappé si bien, cette arme avec laquelle il m’avait menacée ce jeudi lorsque je quittais l’université. C’est tout ce que je voulais, pas de nourriture, pas d’eau, juste une balle en pleine tête.
Je suis la petite fille d’Antilia et tous autant qu’ils soient me doivent du respect. Je suis la petite-fille d’Antilia, cette femme redoutable. Je suis la petite-fille d’Antilia et j’ai été humilié. Je suis la petite-fille d’Antilia et je sors d’un grand lakou. Je suis la petite-fille d’Antilia et elle vient de tracer l’exemple.
J’avais 20 ans et pas de copain. J’étais à l’école normale, j’étudiais les lettres modernes. Étudiante soucieuse et dévouée toujours ponctuelle et souriante jamais je n’aurais pensé que ce serait un vil rêve, qu’à compter de ce jeudi ce sourire allait s’estomper pour toujours. Il m’a forcé de monter dans cette voiture. Il m’a tabassé et violé. Il m’a dépucelé, et sodomisé, il m’a fait vivre les pires moments de mon existence, il m’a enlevé toute once de dignité et toute envie de vivre.
Je vivais avec ma mère, ma tante ses enfants et son mari. Je n’ai jamais connu mon père. Dès qu’il avait su pour la grossesse de ma mère, il avait pris la poudre d’escampette car il était un homme marié et refusait d’assumer ses responsabilités. Les violences conjugales entre ma tante et son mari étaient monnaies courantes, il la tabassait, la maltraitait, l’injuriait comme bon lui semble. Nul n’avait le droit, ni le pouvoir d’interférer dans leurs affaires puisque c’est lui qui faisait vivre la famille. Mon univers était chaotique, rebutant, je le trainais derrière moi comme un poids, une charge insoutenable.
Toutes les grandes vacances je me rendais à Desdunes chez ma grand-mère. Et c’étaient les seuls moments ou paix et sérénité s’inscrivaient dans mon quotidien. Je participais activement dans les activités du lakou. Je dansais et me défoulaient lors des cérémonies dédiées aux esprits. C’étaient des moments libérateurs. Ils m’écoutaient, et me réconfortaient. Ce sont des sentiments et des sensations impossibles à expliquer, mais c’est ce que je ressentais. Ils étaient en moi et moi je devenais leur réceptacle.
Après ces jours passés loin de chez moi à être maltraitée, il m’a relâché dans un marché communal. J’ai ramassé toutes mes forces et je suis rentrée. Je ne pouvais dire ce qui c’était passé, j’avais peur, j’en avais honte. Tous à la maison me traitaient de tous les noms et n’ont même pas chercher à comprendre ce qui n’allait pas. Quelques temps après j’avais tout raconté à ma mère, mais elle m’ordonna de me taire. Entre temps, j’étais tombée enceinte, et dans l’impossibilité de donner le père de l’enfant. Ainsi, ma tante et son mari m’ont demandé de vider les lieux. Ma mère resta indifférente à tout ce qui m’arrivait, on dirait qu’elle attendait le jour où elle pourrait enfin se débarrasser de moi. Elle ne m’a jamais aimé, mais jamais je n’aurais pensé que sa haine à mon égard pouvait être aussi immense.
Je n’avais d’autres recours que Desdunes. J’y suis arrivée les yeux embourbés de larmes, je pleurais toutes les larmes de mon corps. Ma grand-mère m’a accueilli et m’a consolé. Puis, au bout de deux jours, elle m’a posé la question que je redoutais, cette question qui me déchire l’âme et me transperce le cœur. Cette question qui me fait remonter à une centaine de mauvais souvenirs tous autant écœurants que les autres. Qui est le père ?
J’étais à quatre semaines de grossesses et je ne voulais pas de cet enfant. Il m’était incapable d’imaginer que j’allais enfanter d’un viol, d’un enfant que je ne voulais pas, un enfant qui est tout sauf désiré, d’un enfant qui allait être la risée de tous. L’avortement est punissable en Haïti et beaucoup sont celles ayant avorté dans des conditions douteuses. J’ai été l’une d’entre elles. Je ne voulais pas de cet enfant, quitte à mourir en avortant, je n’en voulais pas.
Deux semaines après mon avortement, j’avais attrapé une grave infection. Je n’avais pas les moyens de me faire soigner. Ma vie était cauchemardesque. Je n’ai jamais su trouver la force de me suicider, pourtant, depuis ce jeudi, je ne vivais plus, je me levais tous les matins avec l’espoir de ne pas me réveiller le matin suivant. Je ne voulais plus rester dans ce monde injuste ou vivre est si fort payer. Je savais que cette infection était ma porte de sortie, mon salut divin. Je m’y accrochais fermement.
J’avais tout raconté à ma grand-mère, elle m’a laissé parler sans jamais m’interrompre et vers la fin de mon monologue une larme s’était roulée sur ses joues, j’ai aperçu comme un éclair, une rage dans ses yeux. Et c’était pour la première fois que j’ai vu ce regard. J’y ai pris peur.
Deux mois plus tard, mon oncle a eu un grave accident de la route et il est passé de la vie à trépas. Mon état s’était aggravé. On m’emmena à l’hôpital mais c’était déjà trop tard on ne m’avais pas reçu. Je souffrais dans mon corps mais je savais que c’était passager, que dans quelques jours, tout allait s’estomper. Ce passé qui me hantait m’empêchait d’aller de l’avant.
J’ai 20 ans et je n’ai jamais connu mon père, j’ai 20 ans et je n’ai jamais su ce que s’était que l’amour maternelle. J’ai 20 ans et j’ai été battu, violé et maltraité. J’ai 20 ans et j’ai avorté. J’ai 20 ans et j’ai un dégoût immense pour la vie, j’ai 20 ans et ma grand-mère s’appelle Antilia. J’ai 20 ans et je compte les secondes pour le repos éternel.