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Depuis ma fenêtre au-dessus de la ville, j'aperçois la porte d'entrée de la maison d'Izia. La façade est jaune comme un citron bien mûr. D'ici, je ne vois pas sa petite frimousse, mais je l'imagine en train de rouler sur le parquet ciré.
Izia ?
C'est une jeune femme handicapée qui passe le plus clair de son temps à rire et à chanter !
J'ai honte de me plaindre, parfois, surtout lorsque je la croise avec son joli fauteuil, jaune lui aussi, articulé sur des pneus usés jusqu'à la jante.
Elle offre sa bonne humeur à la vie, toujours, comme si elle la remerciait de l'avoir protégée du pire. Nous sommes tous et toutes d'insignifiantes créatures, comparés à cette jolie brunette fantasque et sereine.
Un jour d'été, quand le soleil éclaboussait son monde, il y a cinq ans déjà, elle a oublié de regarder de chaque côté en traversant la chaussée.
Je me trouvais en ce lieu tout à fait par hasard, pour honorer un rendez-vous dont la teneur m'échappe à présent. Il s'en suivit un bruit assourdissant, puis un silence envahissant. Je me suis rendu compte très vite que l'on m'avait offert un rôle dans ce scénario dramatique, pour jouer une scène troublante et tragique. Je me sentais tout juste bon à observer la souffrance d'une belle gosse, qui, quelques secondes auparavant, baignait sans aucun doute dans l'insouciance.
J'ai eu le sentiment d'avoir touché le fond lorsque je me suis surpris à chialer en appelant les secours.
Ils tardaient à venir.
Les minutes paraissaient des heures.
J'ai dû improviser un massage cardiaque, lui raconter des banalités pour maintenir son cerveau avec moi, et enfin lui tenir la main en guettant le double ton des sirènes poussives de l'assistance.
À cet instant précis, tout me semblait dérisoire.
Sous la surveillance de deux hommes charmants en blouse blanche, Izia partait vers son destin. Dans la seconde, ses doigts ont serré mon avant-bras gauche, très fort, au point de me laisser une trace rouge pendant plusieurs jours, comme un souvenir indélébile. J'ai pris cela pour un appel de détresse, bien sûr, mais aussi probablement pour un remerciement infini, une tendresse échangée contre une autre.
J'ai pris de ses nouvelles chaque jour.
Je l'ai veillée de près ou de loin dans son coma artificiel et provoqué.
Je me suis mis à la protéger, à l'aimer, peut-être...
Je l'ai suppliée de revenir.
Je l'ai prise en photo.
Je l'ai enregistrée sur mon portable.
Et puis, le jour de sa sortie du coma est venu.
Je n'ai pas même pas osé venir jusqu'à elle !
J'avais peur de ne pas lui suffire.
J'avais peur de ne pas parvenir à la rassurer complètement.
J'avais peur de ne pas savoir quoi lui dire, tout simplement.
Alors, spontanément, je suis retourné sur les lieux de l'accident, et j'ai tenté de revivre les quelques minutes les plus étonnantes de mon existence.
Je me suis mis à genoux sur la route. J'ai simulé mon acte de bravoure à plusieurs reprises, avant de fuir chez moi, à une centaine de kilomètres de là.
Mais, troublé, je me suis décidé à rester quelques jours encore, une semaine, je crois, dans une chambre d'hôtel, juste en face de l'hôpital. Pendant cette période terrible, j'ai regardé par la fenêtre des milliers de fois, en espérant la voir apparaître. J'ai cru l'apercevoir un matin, sur le balcon du second étage, le plus vaste et le plus lointain, mais je ne suis pas sûr que ce fût elle.
Mon imagination voulait tellement la voir que partout son visage s'étalait.
La mort dans l'âme, j'ai dû me résoudre à rentrer au bercail. Je me souviens d'avoir roulé si vite que j'avais l'impression d'effleurer l'autoroute !
Je me souviens aussi du visage d'Izia, accaparant le dessous de mes paupières tout le trajet durant. À peine arrivé à destination, écroulé sur le canapé en cuir noir, j'ai appelé ma meilleure amie pour lui expliquer cette histoire en détail. Elle m'a signifié que je devais oublier tout ça au plus vite, que c'était une sorte de syndrome ou je ne sais quoi dans le genre. Alors, j'ai essayé de l'écouter. Ce fut bien difficile. Je crois même que je n'y étais pas encore parvenu lorsque l'incroyable se produisit.
C'est arrivé deux ans presque jour pour jour après l'accident, il y a donc trois ans, maintenant.
Izia est venue s'installer juste en bas de chez moi !
Le hasard est quelquefois singulier...
Depuis qu'elle est devenue « proche », je ne me suis pas encore risqué à lui dire qu'elle n'était pas une inconnue pour moi. Je n'ai pas osé lui avouer que je l'ai vue dormir à moitié nue, ensanglantée, sur une avenue à l'asphalte fondant. Elle m'attendrit tous les matins chez le marchand de journaux, lorsque, en plus de me faire un petit signe de la main, elle me sourit. Je lui offre parfois un petit bouquet de fleurs que j'achète dans l'échoppe voisine. Je ne sais pas comment faire pour qu'elle sache qui je suis vraiment. Comment lui exposer la vérité sans la brusquer, sans lui faire plus de mal qu'elle n'en a déjà.
Izia est un ange.
Elle est si belle, si douce.
Ce soir, il fait chaud comme le jour du drame. Je marche lentement sur le trottoir. J'ai activé mon GPS intérieur en direction du mur le plus jaune de la cité. Devant sa porte, j'hésite à frapper, comme chaque fois depuis tout ce temps. Aujourd'hui, pourtant, j'ai dans ma poche le foulard qu'elle a oublié sur le comptoir du kiosque. Je l'ai ramassé sans rien dire à personne, tout en préméditant mon acte.
Je remarque que la fenêtre donnant sur la cuisine est entrouverte.
Je l'appelle timidement d'abord, puis je hurle :
— Iziiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiaaaaaaaaaa !
Mes mains tremblent. Un ruisseau de sueur prend sa source entre mes omoplates. Sur mes jambes, les frissons s'installent. Je suis planté là, comme un autre moi-même.
Elle surgit de nulle part, à peine plus haute que la table. Elle ne semble pas surprise de me voir. Elle me lance un sourire, un de plus.
Fier, je lui dis mielleusement :
— Tiens, j'ai récupéré ton foulard !
Son regard devient sombre.
— Approche ! me dit-elle.
C'est la première fois que j'entends le son de sa voix.
Elle ouvre la porte.
Elle avance au plus près de la marche.
Je me penche vers elle comme pour lui glisser un mot à l'oreille.
Je la respire.
Elle sent bon.
Elle sait qu'elle me fait planer.
Elle se recule légèrement.
Sur son siège, elle simule une danse de plaisir.
Elle s'approche de nouveau.
J'effleure ses lèvres.
Elle me serre très fort l'avant-bras gauche et me dit :
— Merci pour tout !
Izia ?
C'est une jeune femme handicapée qui passe le plus clair de son temps à rire et à chanter !
J'ai honte de me plaindre, parfois, surtout lorsque je la croise avec son joli fauteuil, jaune lui aussi, articulé sur des pneus usés jusqu'à la jante.
Elle offre sa bonne humeur à la vie, toujours, comme si elle la remerciait de l'avoir protégée du pire. Nous sommes tous et toutes d'insignifiantes créatures, comparés à cette jolie brunette fantasque et sereine.
Un jour d'été, quand le soleil éclaboussait son monde, il y a cinq ans déjà, elle a oublié de regarder de chaque côté en traversant la chaussée.
Je me trouvais en ce lieu tout à fait par hasard, pour honorer un rendez-vous dont la teneur m'échappe à présent. Il s'en suivit un bruit assourdissant, puis un silence envahissant. Je me suis rendu compte très vite que l'on m'avait offert un rôle dans ce scénario dramatique, pour jouer une scène troublante et tragique. Je me sentais tout juste bon à observer la souffrance d'une belle gosse, qui, quelques secondes auparavant, baignait sans aucun doute dans l'insouciance.
J'ai eu le sentiment d'avoir touché le fond lorsque je me suis surpris à chialer en appelant les secours.
Ils tardaient à venir.
Les minutes paraissaient des heures.
J'ai dû improviser un massage cardiaque, lui raconter des banalités pour maintenir son cerveau avec moi, et enfin lui tenir la main en guettant le double ton des sirènes poussives de l'assistance.
À cet instant précis, tout me semblait dérisoire.
Sous la surveillance de deux hommes charmants en blouse blanche, Izia partait vers son destin. Dans la seconde, ses doigts ont serré mon avant-bras gauche, très fort, au point de me laisser une trace rouge pendant plusieurs jours, comme un souvenir indélébile. J'ai pris cela pour un appel de détresse, bien sûr, mais aussi probablement pour un remerciement infini, une tendresse échangée contre une autre.
J'ai pris de ses nouvelles chaque jour.
Je l'ai veillée de près ou de loin dans son coma artificiel et provoqué.
Je me suis mis à la protéger, à l'aimer, peut-être...
Je l'ai suppliée de revenir.
Je l'ai prise en photo.
Je l'ai enregistrée sur mon portable.
Et puis, le jour de sa sortie du coma est venu.
Je n'ai pas même pas osé venir jusqu'à elle !
J'avais peur de ne pas lui suffire.
J'avais peur de ne pas parvenir à la rassurer complètement.
J'avais peur de ne pas savoir quoi lui dire, tout simplement.
Alors, spontanément, je suis retourné sur les lieux de l'accident, et j'ai tenté de revivre les quelques minutes les plus étonnantes de mon existence.
Je me suis mis à genoux sur la route. J'ai simulé mon acte de bravoure à plusieurs reprises, avant de fuir chez moi, à une centaine de kilomètres de là.
Mais, troublé, je me suis décidé à rester quelques jours encore, une semaine, je crois, dans une chambre d'hôtel, juste en face de l'hôpital. Pendant cette période terrible, j'ai regardé par la fenêtre des milliers de fois, en espérant la voir apparaître. J'ai cru l'apercevoir un matin, sur le balcon du second étage, le plus vaste et le plus lointain, mais je ne suis pas sûr que ce fût elle.
Mon imagination voulait tellement la voir que partout son visage s'étalait.
La mort dans l'âme, j'ai dû me résoudre à rentrer au bercail. Je me souviens d'avoir roulé si vite que j'avais l'impression d'effleurer l'autoroute !
Je me souviens aussi du visage d'Izia, accaparant le dessous de mes paupières tout le trajet durant. À peine arrivé à destination, écroulé sur le canapé en cuir noir, j'ai appelé ma meilleure amie pour lui expliquer cette histoire en détail. Elle m'a signifié que je devais oublier tout ça au plus vite, que c'était une sorte de syndrome ou je ne sais quoi dans le genre. Alors, j'ai essayé de l'écouter. Ce fut bien difficile. Je crois même que je n'y étais pas encore parvenu lorsque l'incroyable se produisit.
C'est arrivé deux ans presque jour pour jour après l'accident, il y a donc trois ans, maintenant.
Izia est venue s'installer juste en bas de chez moi !
Le hasard est quelquefois singulier...
Depuis qu'elle est devenue « proche », je ne me suis pas encore risqué à lui dire qu'elle n'était pas une inconnue pour moi. Je n'ai pas osé lui avouer que je l'ai vue dormir à moitié nue, ensanglantée, sur une avenue à l'asphalte fondant. Elle m'attendrit tous les matins chez le marchand de journaux, lorsque, en plus de me faire un petit signe de la main, elle me sourit. Je lui offre parfois un petit bouquet de fleurs que j'achète dans l'échoppe voisine. Je ne sais pas comment faire pour qu'elle sache qui je suis vraiment. Comment lui exposer la vérité sans la brusquer, sans lui faire plus de mal qu'elle n'en a déjà.
Izia est un ange.
Elle est si belle, si douce.
Ce soir, il fait chaud comme le jour du drame. Je marche lentement sur le trottoir. J'ai activé mon GPS intérieur en direction du mur le plus jaune de la cité. Devant sa porte, j'hésite à frapper, comme chaque fois depuis tout ce temps. Aujourd'hui, pourtant, j'ai dans ma poche le foulard qu'elle a oublié sur le comptoir du kiosque. Je l'ai ramassé sans rien dire à personne, tout en préméditant mon acte.
Je remarque que la fenêtre donnant sur la cuisine est entrouverte.
Je l'appelle timidement d'abord, puis je hurle :
— Iziiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiaaaaaaaaaa !
Mes mains tremblent. Un ruisseau de sueur prend sa source entre mes omoplates. Sur mes jambes, les frissons s'installent. Je suis planté là, comme un autre moi-même.
Elle surgit de nulle part, à peine plus haute que la table. Elle ne semble pas surprise de me voir. Elle me lance un sourire, un de plus.
Fier, je lui dis mielleusement :
— Tiens, j'ai récupéré ton foulard !
Son regard devient sombre.
— Approche ! me dit-elle.
C'est la première fois que j'entends le son de sa voix.
Elle ouvre la porte.
Elle avance au plus près de la marche.
Je me penche vers elle comme pour lui glisser un mot à l'oreille.
Je la respire.
Elle sent bon.
Elle sait qu'elle me fait planer.
Elle se recule légèrement.
Sur son siège, elle simule une danse de plaisir.
Elle s'approche de nouveau.
J'effleure ses lèvres.
Elle me serre très fort l'avant-bras gauche et me dit :
— Merci pour tout !
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