Invictus

- « Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. »

Je me suis retiré de deux pas. J'ai relevé le front et chassé toute peur de mon regard.

D'abord, prendre les signes vitaux. Corvée interminable et épuisante. Un, deux trois malades, et ça n'en finit plus.
Pourquoi je suis aller là-bas, à la fac de médecine ? Tout petit, je me disais que j'y croiserai ma flamme. Devenir sauveur des vies, vous comprendrez que c'est le rêve de tout le monde. Car je ne suis pas du genre à enfiler une tenue militaire, ni à faire la politique. Peur de la mort, peut-être. Trop de risques de se faire tirer une balle dans la tête. Alors que la médecine... Si on n'ouvre pas le ventre aux gens pour retirer leur mal, on se retrouve gardien de la vie contre l'extinction. Avec une cape blanche, un masque sur le nez, rôle de super-héros garanti ! Néanmoins, ça, je ne l'avais pas prévu, ma propre mort.
Oui, je l'ai croisée, la mort. Sans sa cagoule mystérieuse. Dans toute sa nudité. C'est vrai, je ne l'avais jamais vue ainsi avant. Elle avait l'air menaçante. Elle, avec sa longue faucille, moi avec mes seules mains vides. On se détestait c'est évident. Dès que je l'ai vue de l'autre côté du miroir, j'ai compris pourquoi elle était là. Elle n'est pas du genre à blaguer, ni à faire un tour en vain. Alors quand elle s'est pointée, j'ai eu la peur de ma vie. Un moment, je me suis dit qu'il était préférable que je jette l'éponge. J'étais déjà prêt à renoncer, à la laisser gagner. Son regard était mortel, pas au sens de tuer, sinon pas je ne serai ici à vous parler.
Elle s'est jeté sur moi, avec toute sa hargne. Pourquoi je lui ai tenu tête ? Je pouvais bien, tel un agneau, me laisser traîner à l'abattoir. « Maudit mortel ! Amas de poussières ! » répétait-elle en boucle, rouge de colère... Le tracé du moniteur devenait tout plat et mes paupières lourdes. Elle avait de la veine. Elle gagnait du terrain. Elle allait encore réussir à opérer sa sale besogne. Quelle cruelle ! Mais j'étais déterminé. Je me suis battu. Le seul métier qu'elle sait faire dans sa vie de mort, je l'ai gâché. Tout gâcher, c'est bien moi ça. Mes projets, mes rêves en ont une belle expérience. Peut-être même c'est la raison pour laquelle je suis encore en vie. J'ai gâché ma chance de mourir. Comment j'ai pu une minute oublier qu'un jour, j'affronterai la mort ? J'avoue, sauver la vie dans ma tête, était différent de défier la mort. Mais je l'ai défiée avec ma propre vie et je suis sorti du coma, cher destin. Dans mon métier, je ne te laisserai plus dicter la loi.

Le destin semble stupéfait. Il n'arrive pas à réaliser qu'un homme lui tienne tête. Il se rapproche un peu plus et entre dans mon espace intime. Il a un torse bombé et sa taille imposante me menace. Arrivé au bout de mon nez, il s'arrête. Il reste une minute silencieux et puis il me souffle d'un ton menaçant :
- Alors toi tu ne veux pas te soumettre et m'appeler Maître ?