INSTANT DE L'OGRE

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. J'avais le juste sentiment d'avoir tout le monde dans mes bras asséchés par la solitude et tous les plaisirs logés entre mes jambes en feu. Ce moment était inédit parce qu'il était une première. Une grande première. Du moins pour moi. Car mes copines ne se lassaient d'en parler quand on se retrouvait à la rivière et au champ. Timide que j'étais, la peur m'envahissait à chaque fois que je souhaitais gouter au fruit mielleux dont elles jacassaient, sans cesse, avec extase aux bouts des lèvres. Aussi peut-être parce qu'il ne m'était permis de le faire tant étais-je soumise à des exigences familiales.
La langue de mon corps réclamait violemment de la graine. Ma libido demandait de l'énergie nourricière et la chaleur caresseuse d'un homme. Mais j'avais peur, peur de faire découvrir ma nudité. Peur de la douleur que j'allais ressentir. Peur également de la honte que je devais éprouver à nos rencontres d'après. Parfois, je rebroussais chemin avec le feu de la jouissance coincé entre les membrures de mon corps. Je devenais colérique et belliqueuse, réduite à ne me faire que des films de ce que voulais vivre.
Mais aujourd'hui je n'en peux plus. Il faut que j'y aille. Je dois expérimenter le monde inconnu dont on parle. Je me mets donc en route pour rejoindre mon charmant copain. La peur, comme d'habitude, cherche à m'habiter. Cependant, je suis plus que jamais décidée. La pulsion déborde et tous mes sens chantonnent. Je m'imagine dans les bras de cet homme qui me couve de son muscle et me glisse du jus chaud par les baisers les plus charmants. Je marche à vive allure de peur de succomber sous le poids de la raison et du regard des personnes, revenant des champs, que je rencontre. Parce que j'ai comme l'impression d'être l'objet des regards et sujette des conversations. Savent-ils ce que je m'en vais faire ? Je me pose la question. Peu importe. Le braillement des chèvres et moutons qui s'empiffrent d'herbes vertes éveille en moi des soupçons. Les sillons de patate enjolivent les bordures des routes. Ils défilent sous mes yeux comme des étoiles filantes. Je rêve d'une nuit d'orge sous ce soleil ardent. Ce n'est plus bien loin. Juste quelques pas pour entamer l'idylle la plus suave qu'il existe. Il meurt surement d'envie autant que moi de s'effondrer tel un sucre sous les effets du plaisir. J'y suis finalement. Mais la porte est fermée. Je me mets à la cogner avec minutie. Je suis anxieuse à l'idée de ne pas le trouver à la maison. Je prie le ciel pour qu'il soit présent. Soudain...une main électrique parcoure ma hanche en proie à l'impatience. C'est bien lui. Il était allé querir de l'eau fraiche. Il m'adresse un brin de sourire. On se sourit alors. « Bonjour ma yahbe. Comment vas-tu ? ».
Un sourire s'échappe de ma bouche en guise de meilleure forme. Nous entrons dans la case, balayant du regard l'environnement meublé par des tiges qui enveloppent les maisons. J'ai peur. Oui peur. Cependant il me rassure qu'il n'y aura rien qui soit déplaisant. Je m'assois sur le lit fait en bambou d'une incroyable mollesse. Je prends la calebasse d'eau que j'absorbe d'un trait. A peine ai-je fini que je sens le feu faire une entrée triomphale dans mes petits yeux. Il me regarde. Pas le temps de converser. Ses beaux yeux me transpercent la poitrine et se logent dans les tréfonds de mon âme. Il se rapproche de moi et pose sa main droite sur ma cuisse gauche alors que sa main gauche se balade sur mon fin visage.
Je suis partagée entre le désire et la réticence. A mes yeux jaillit le sang et devant moi se creuse un trou béant. Je le repousse parce que je ne suis pas prête. Le visage de mon charmant petit ami se pomme. Il vire au rouge quand je me lève pour m'en aller. La peur m'assaille. Un mystère fantomatique se dessine tout autour de moi et accentue mon anxiété. Mais que puis-je faire devant cette fournaise de plaisir qui claironne et m'attire ? Je me rassois donc pour le serrer fort contre moi, toute en pleur.
Au fur et à mesure, sa douce main se rapproche de mon entrejambe désirante. Ma chair tremblote. Le bol chute de mes mains. Le monde s'effondre. Je ne me possède plus. C'est lui qui tient mon destin. Mon corps et mon âme lui appartiennent cet instant. Je suis sur le point de tomber, mais non il me tient. Doucement il déboutonne ma chemise blanche qui laisse transparaitre mes innocentes mamelles. Entre-temps, je fais l'effort de déchainer son pantalon jean d'un blanc œuf. Une main glacée, près de la porte neuve de mon jardin, l'autre saisie mes petits seins qui dansotent, pour les achever vers le bout de sa langue de chat. Il bonbonne avec tendresse. Je suis perdu au milieu d'une immense forêt. Qui suis-je ? Je n'en sais plus rien. La vie et la mort se confondent. Le ciel et la terre se fusionnent et autour de moi règne un silence bruyamment extraordinaire. Tout mon corps est en ébullition. Il me regarde à nouveau dans les yeux. Ses lèvres sont pleines de fleurs et de rosée. Je rapproche aussi les miennes. Je les conduis dans les siennes. Nos paupières ivres se ferment simultanément. La fraicheur de sa langue et le sucre de sa salive me submergent. Je suis, sur le coup, pris par une envie surdimensionnée d'avaler sa langue. Ses belles dents laissent couler du lait dont mon âme se nourrit. Nos âmes étant en fusion, il déchiffre en même temps les perles de lune qui bordent mes reins en agitation. Ma peau d'ébène s'illumine sous le jet de la lumière qui pénètre sous la complaisance des pailles dont il ne peut se réserver d'apprécier la splendeur « Tu es l'incarnation de la beauté africaine ».
Il me fait allonger avec tendresse, en repositionnant l'oreiller en coton pour m'offrir un confort consistant. Je l'aide un peu dans ce sens. Je croque mes lèvres de mes dents en contemplant les tiges tissées au fond du toit. De ses doigts empreints de flamme, il écarte mes jambes. Ce que j'attendais est presqu'à la porte. Que rien ne nous interrompe, c'est mon plus grand souhait. Seigneur ! Je soutire mon sous-vêtement. Il en fait de même. Voilà!
Me susurre-t-il à l'oreille « Je serai tendre mon joli petit cœur». Je lui réponds par un simple mouvement de pupilles. Une corde humide palpite les petites lèvres de mon vulve. Oui, ça y est ! Je sens une puissance entrer en moi ! Une puissance qui après chaque contact prend une certaine profondeur. Ma chair vibre. Elle s'exprime. Ivre, elle sourit. Elle réclame davantage. J'ai comme l'impression d'être au paradis. Ive s'y prend avec douceur et une chanson douce chante dans mon âme. La musique, tout en chœur, qu'on improvise au rythme de balafon donne un autre accent à notre poésie corporelle, animique. Le chant d'oiseaux qui survolent la case et de pintades qui picorent les mils dans la cour n'en est pas moins. . Mes doigts griffent la brique posée au-dessus du lit sur lequel se trouve un livre, tant sa masculinité s'insinue dans mes veines. Je ressens un biberon se positionner au plus profond de mon bas ventre. J'ai envie de l'avaler tout en entier et le garder en moi, pour moi seule quand il me dit, les pleurs mêlées au sourire « Je veux mourir en toi, Teuyahbe. Aspire-moi, prends-moi s'il te plait, ne me laisse pas hors de toi ».
Oui. Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. J'aimerais bien le refaire.
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