Indécision raisonnable

Maître? Vous plaisantez? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tout les autres mais je ne vous appellerai pas maître.
À peine j'eus prononcé mes paroles que son visage déjà ridés par le temps se plissa encore plus de sorte que son expression montrait une colère noir.
Ses sourcils se froncèrent; ses yeux rouges de l'alcoolisme semblaient s'apprêter à sortir de ses orbites; son nez frétilla sa volonté : l'accès de colère lui fit perdre ses moyens.
D'un geste brusque, la paume de sa main droite claqua contre mon visage joufflu. Le bruit de la gifle résonna dans la pièce. Très vite, une sensation de légère picotements envahit ma joue qui, rapidement, s'enfla et me fit ressentir une flambée de chaleur.
_Ne t'avise plus de me parler ainsi petit morveux! Je suis Ton maître que ça te plaise ou non!
Puis, il prit le temps de reprendre son souffle. S'enchaîna ensuite les séries d'insultes et de rabais.
_Je suis Ton supérieur !! Ton maître! Estime toi heureux que je ne t'ai frappé qu'au visage. Je suis capable de rendre ta vie une souffrance si je le désire. Un mot de ma part au directeur et tu sera renvoyé ; je ferai en sorte qu'aucun lycée ne t'acceptera. Tout le monde me connais ici! Alors que toi, tu n'est qu'un moins que rien ; personne ne t'aidera. C'est peut être à cause de tes jacassements incessants que tes parents t'ont abandonnés... Petite vermine sans cervelle..
Mon palpitant accéléra son rythme. Alimenté par la rage, je me débattais pour ne pas succomber à la tentation de le frapper. Au lieu de cela, je mordis ma lèvre inférieure et ferma mes poings.
Je retourna ainsi à ma place puis la classe replongea dans une ambiance morbide.

La sonnerie retentit dans l'établissement; ce fut la lumière au bout du tunnel. Mais la fin du tunnel réservait encore quelques dos d'ânes.
_Je vous retrouve lundi, dit-il tout en louchant vers moi. Toi tu restes pour un moment ; les autres peuvent partir.
Il vint vers moi, les mains dans le dos avec d'un sourire niais caricaturé sur son visage.
_Lundi tu vas me faire le plaisir de m'apporter une punition de trois cent soixante-cinq fois sur feuille qui contiendra la phrase suivante : "Je ne m'aviserai plus de manquer de respect à mon supérieur, que ça soit mon professeur ou le directeur. Je me plierai aux règles déjà imposées sans faire de dégâts ou quoi que ce soit qui pourrait offenser les responsables de cet établissement." Sans oublier bien sûr, la signature de tes parents : je me fiche que tu aies à traverser l'océan ou autre chose, je Veux leurs signatures.
Je fis mine d'obéir pour éviter de perdre mon temps avec un tel fou! Oui c'est un vieux fou, il se dit être maître alors qu'il ne maîtrise même pas la langue qu'il nous apprends! La phrase suivante, la phrase suivante mon œil ! Trois phrases !!! Les phrases suivantes vieux fou!
J'aurais voulu lui cracher ses paroles. Néanmoins, je ne suis pas un serpent qui se contente de cracher son venin là où tout va pour le mieux.
Je sortit de la salle: tous mes camarades de classe m'attendaient impatiemment. Leurs visages s'illuminèrent dès qu'ils m'ont vu sortir de la salle de l'enfer. Promptement, leurs expressions transfigurèrent comme si un nuage de pluie s'eut installé au dessus d'eux. Lucifer était derrière moi.
_Faites de la place.
Tels de petits soldats sous l'ordre d'un lieutenant, nous lui frayâmes le chemin du couloir.
Après l'avoir vu franchir la porte, nous soupirâmes tous concomitamment. Un petit rire s'échappa; nous ricanions tous ensemble face à notre situation.
Nous sortîmes du couloir.
Une vague de questions se déferla par la suite à moi; mes camarades ne pouvaient s'empêcher de me demander si je me sentais bien, comment j'ai eu le courage de le répondre pour au final recevoir une claque comme tous les autres.
Tout le monde se tut à la suite de mes réponses. Nos restâmes figés dans nos propres pensées; sans dire un mot, nos têtes baissées.

De retour à la maison, le sourire chaleureux de ma grand-mère maternelle m'accueillit avec amour et tendresse. Elle fut le miel qui adoucissait l'aigre dans mon existence : elle fut à mes côtés depuis toujours et ne cesse d'être mon pilier à chaque instant.
Assise sur le pas de la porte, son visage se crispa à la vue de ma joue légèrement rougie. Mon teint blanc ne laisse nullement disparaître ces genres de traces aisément.
Elle se leva; saisit mon visage; la tourna de gauche vers la droite puis dans le sens contraire. Ses sourcils se froncèrent et son visage dessina une expression d'inquiétude.
_Mais que t'est-il arrivé mon garçon?
A cet instant précis, je savais pertinemment depuis le moment où l'on m'a giflé ce que je devais lui raconter.
_Non, non, ce n'est rien... Enfin, il y avait une fille que j'ai croisé sur le chemin du retour. Elle était très attrayante alors je n'arrête pas de...
À peine j'eus prononcé ces mots qu'elle brandit sa main vers moi.
_Ne dis pas n'importe quoi, tu es encore trop jeune pour ce genre de choses, lança-t-elle. Malgré tout, elle ne put s'empêcher de rire lorsqu'elle se rendit compte que je voulais seulement lui faire une blague.
C'est toujours réconfortant de voir son proche sourire grâce à soi. C'est exactement le genre de réconfort qu'il me fallait à la suite de ces montagnes russes d'émotions au cours de la journée.

Notre soirée fut comme toutes les autres soirées que nous avions passé ensemble. Un repas modeste, une discussion pétillante et des sourires partagées.
Plus tard dans la soirée, j'entama la punition. Je n'eus aucune envie de le faire. Je saisit mon crayon puis commença à jouer avec ce dernier. TILT ! L'ampoule dans mon esprit s'illumina à la suite d'un jaillissement d'idées. Et si je trouvais un moyen de m'en prendre à lui sans utiliser la force ni la parole? En un claquement de doigts, je me lève et applaudit ma propre idée.
J'écris les partitions en détail sur plusieurs feuilles blanches. Il ne me restait plus qu'à les distribuer à mon orchestre le jour du spectacle.

Nous fûmes déjà le lundi. Je fis en sorte de réunir tous mes camarades de classe afin de leur faire part de mon plan avant l'entrée en cours. À ma plus grande surprise, tout le monde s'attendait à ce que je répliqua face aux actes du professeur. Nous n'avions pas le temps de discuter. Chacun sut ce qu'il fallait faire et a quel moment agir.
Le cours débuta, tout allait très vite. À peine il franchit le seuil de la porte qu'une règle faite de métal claqua au sol, laissant ainsi un bruit assourdissant se répandre dans la classe.
_Veuillez m'excuser Maître, dit une voix terrorisé à la vue du professeur.
Arrivé sur son bureau, il s'assit quand soudainement il cria. Le coussin de la chaise sur laquelle il s'eut assis était imbibé de thé chaud.
_Qui a fait ça?!? Dit-il rouge de colère.
Les élèves évoquèrent des mots sans faire le moindre bruit. Le vieux professeur essaya de comprendre a plusieurs reprises ce qui se passait mais au final il blâma sa vieillesse et son ouïe. Un jeune homme tenta de le bousculer sous prétexte d'aller effacer le tableau. Il fut chamboulé et vacilla comme un épouvantail dans le vent. Il fit tomber ses lunettes qui par le bonheur de tous, s'échoua dans le seau d'eau mélangé aux poudres de craies du tableau. Il reprit ses lunettes puis il sortit de la classe en soupirant tel un buffle prêt pour un rodéo. Ce ne fut qu'un avant-goût au spectacle.
Je décida de le suivre jusqu'aux toilettes où il se dirigea.
Face au miroir, il se regarda pendant un long moment avant de soupirer profondément. Je ne fus point au bout de mes surprises. Le visage ridé du vieil homme s'attrista puis, une larme coula sur sa joue droite. Promptement, il l'assécha d'un geste bref tout en soupirant encore une fois.
Mon grand cœur ne put rester indifférent face au vieil homme en larmes que j'épiais de loin. Était-ce une bonne idée de me venger? Ou au contraire, allais-je ruiner ma vie scolaire ? Mon esprit fut divisé en deux: devais je suivre mon rationnel ou mon palpitant ?