Il s'est endormi, lumière allumée, en lisant Du côté de chez Swann. Son agenda est ouvert sur son bureau. Il a un devoir sur le premier chapitre à rendre pour demain. Je comprends pourquoi tout à l'heure il m'a demandé où était rangé le dictionnaire. Il devait sûrement chercher la définition du mot « incipit ».

Il aura bientôt quinze ans mais quand je le regarde dormir je perçois encore dans son visage ses traits de nouveau-né : duvet blond, bouche dodue, joues rembourrées, nez minuscule, sourire aux anges. Je me souviens du doux bruit de la tétée perçant le silence au milieu de la nuit, de la chaleur de son corps blotti contre mon cœur, de ses cuisses recroquevillées et de ses poings serrés, de sa peau blanche et marbrée, de cette tendre odeur mêlant lait maternel, crème hydratante, tilleul, fleur d'oranger. Le début de la vie où tout est première fois, où tout commence. Le début du début. Les premiers sourires, les premiers pas, les premiers mots...

Longtemps, j'ai essayé de le coucher de bonne heure ! Il réclamait toujours une histoire ou une comptine en plus, se relevait souvent pour une gorgée d'eau ou un petit pipi, trouvant tous les prétextes pour un dernier câlin. La nuit n'était pour lui qu'une ennemie l'arrachant de mes bras. Le matin venu, quel bonheur pour lui de pouvoir enfin se lever et me retrouver dans mon lit ! Ses petons nus courant sur le carrelage me sortaient du sommeil. Il se jetait sur moi, me couvrait de baisers mouillés en me pressant de lui préparer son biberon de lait chocolaté.

J'aurai beau rechercher, je ne trouverai plus tous ces moments perdus, le temps n'étant pour moi qu'un ennemi l'arrachant de mes bras pour le conduire dans ceux d'une jeune fille en fleurs.