« Ce n’était pas prudent. Ce n’était pas prudent. Ce n’était pas prudent. Ce n’était pas prudent. » Voilà ce qu’Arnaud n’arrêtait pas de se répéter depuis qu’il était parti. Mais qu’est-ce qui lui avait pris d’accepter ce défi stupide ! Debout sur le bateau, un œil à l’avant, un œil à l’arrière, une main sur la barre, une autre sur un bout, il n’avait pourtant pas le temps de pester contre lui-même. La mer et les vagues s’écrasaient sur son bateau, de manière lourde et lente, mais si fort... Il essayait tant bien que mal de résister à cet assaut violent. Il savait que l’océan n’offrait pas de cadeau aux fous qui prenaient la mer en pleine tempête.
Les doigts crispés sur le bout de la grand’voile, la pluie lui giflant le visage, il essaya de comprendre comment il en était arrivé là. Son orgueil mal placé lui avait encore joué des tours. Il avait été piqué au vif par les propos de ses amis : « avec cette houle et ce temps, pas la peine de sortir, on va être tout mouillé et ça risque d’être dangereux ». « C’est ce qu’on va voir ! » avait-il répondu. Bien que ses amis aient essayé de l’en dissuader, il avait choisi de larguer les amarres. Et il était là, en pleine solitude, debout dans la tempête.
« Arnaud, j’ai peur... ». Une petite tête féminine sortit de la cabine. Arnaud rouspéta contre lui-même : « Mais c’est pas vrai !! Qu’est-ce qui m’a pris d’emmener ma sœur !! ». Normalement, elle adorait naviguer, mais là, c’était différent. Elle n’avait que dix ans, et il savait qu’il pouvait compter sur elle en mer, mais là, c’était du suicide. Elle sortit difficilement, bravant le vent et la pluie. Toute encapuchonnée qu’elle était, elle prit l’eau en quelques secondes. Elle avança pas à pas sur le bateau, un pied après l’autre, en essayant de ne pas tomber. La gîte était telle qu’il était impossible de marcher droit ou de ne pas se tenir à des câbles, des bouts, des haubans, tout ce qui traînait ! Raphaëlle essayait à tout prix d’atteindre son frère, elle se sentait plus en sécurité avec lui que seule dans la cabine, qui commençait à prendre l’eau.
Du haut de ses dix-sept ans, Arnaud se sentit bête. Il voulut se complaindre intérieurement de sa bêtise. Sauf qu’il n’en avait pas le temps. La vie de sa sœur et la sienne reposaient entre ses mains. Depuis son vieux bateau, il ne pouvait même pas contacter les secours, car la radio était cassée. Son portable était tombé à l’eau et il n’avait pas de feux de détresse. Il était seul, et il était responsable de sa sœur. Il se reprit d’un coup ! Il était trop jeune pour mourir comme un vieux loup de mer ! Il ne voulait pas que ses parents pleurent la perte de deux enfants, il était résolu à s’en sortir !
« RAPHAELLE ! ». Il était obligé de hurler pour pouvoir parler à sa sœur. « LA GAFFE ! CHOPE LA GAFFE ! ». Il comptait sur la force et la détermination de sa sœur pour repousser les rochers desquels ils se rapprochaient dangereusement. Dangereusement, et surtout rapidement. Trop rapidement. « CHOPE LA GAFFE !! » Raphaëlle reprit ses esprits d’un seul coup. Elle n’était plus la petite sœur sur le bateau, mais le marin dans la tempête, obéissant au capitaine du bateau, comme un deuxième instinct. Elle courut dans la cabine, prit la gaffe, et remonta tant bien que mal, le plus vite possible. Elle ancra ses pieds dans le sol, sa main gauche s’accrochant à un hauban, la gaffe dans la main droite. Elle se concentra sur les rochers qui approchaient. Ils étaient assez hauts. Le bateau était inexorablement attiré par eux. Ils étaient assez haut, mais pas très grands ni très longs. Ils avaient une chance de s’en sortir. Le bateau se rapprochait... doucement, doucement, vague par vague, suivant la houle...
Raphaëlle ancra ses pieds plus profondément dans le sol, prête à repousser l’ennemi. Soudain, VLAN !! Le bateau fut propulsé vers les rochers par une vague plus grosse que les autres. Il percuta les rochers, mais pas aussi fort que si Raphaëlle n’avait pas été là. Elle était le point d’appui entre les rochers et le bateau. Elle repoussait les rochers avec la gaffe. Elle tenait, de toutes ses forces. Subitement, la gaffe se brisa en deux. Raphaëlle perdit l’équilibre et la secousse fut si forte qu’elle tomba la tête la première dans la mer. Par chance, elle n’avait pas heurté les rochers. Arnaud se précipita à sa rescousse, il savait que chaque seconde pouvait être fatale. A tout moment, Raphaëlle pouvait se retrouver coincée entre le bateau et les rochers et finir écrasée entre les deux. A toute vitesse, Arnaud accrocha un bout au bateau, s’enroula lui-même dans ce bout et jeta le reste à Raphaëlle. Elle l’attrapa et se hissa jusqu’au bateau, à la force de ses bras et grâce au bout enroulé autour d’Arnaud, qui était revenu à la barre tant bien que mal, poussant sur ses jambes et ses hanches qui portaient sa sœur à distance. Raphaëlle était à présent à moitié sur le bateau, à moitié dans le vide. Arnaud lui tendit une main, qu’elle saisit prestement, et chacun tira l’autre. Raphaëlle s’écroula sur le bateau. Avec tout ça, le bateau avait contourné les rochers. Grâce à la houle, et parce qu’Arnaud avait lâché le bout de la grand’voile. Tout s’était inversé. Le bateau ne penchait plus du même côté, le vent ne se jetait pas dans les voiles comme au départ. Ils faisaient route dans l’autre sens, la terre était en vue ! Elle était loin, elle était floue et incertaine, mais au moins ils faisaient route vers quelque chose. Raphaëlle et Arnaud avaient envie de s’écrouler par terre et de se laisser porter, mais c’était impossible. Ils devaient mener le bateau à bon port. Ils étaient piégés en pleine mer sur ce qui allait leur sauver la vie.
Enfin, après d’interminables minutes, des heures d’inquiétude, le bateau s’échoua sur le rivage, à 5 km de son port d’attache. Ils n’étaient certes pas au bon endroit, mais au moins, ils étaient en vie. Les deux marins sortirent du bateau en tremblant, usant leurs dernières forces, et se laissèrent tomber sur le sable.
Un peu plus tard dans la journée, on retrouva les deux jeunes gens au même endroit, leur bateau échoué à côté d’eux. La marée était basse, le vent était tombé, la tempête était passée. Ils se regardaient, fatigués mais heureux, face au soleil couchant. Ils ne disaient rien, mais leurs regards parlaient pour eux. Cette épreuve les avait liés pour toujours, et jamais plus ils ne prendraient de risques inutiles. La vie est bien trop précieuse pour qu’on la gâche.
Les doigts crispés sur le bout de la grand’voile, la pluie lui giflant le visage, il essaya de comprendre comment il en était arrivé là. Son orgueil mal placé lui avait encore joué des tours. Il avait été piqué au vif par les propos de ses amis : « avec cette houle et ce temps, pas la peine de sortir, on va être tout mouillé et ça risque d’être dangereux ». « C’est ce qu’on va voir ! » avait-il répondu. Bien que ses amis aient essayé de l’en dissuader, il avait choisi de larguer les amarres. Et il était là, en pleine solitude, debout dans la tempête.
« Arnaud, j’ai peur... ». Une petite tête féminine sortit de la cabine. Arnaud rouspéta contre lui-même : « Mais c’est pas vrai !! Qu’est-ce qui m’a pris d’emmener ma sœur !! ». Normalement, elle adorait naviguer, mais là, c’était différent. Elle n’avait que dix ans, et il savait qu’il pouvait compter sur elle en mer, mais là, c’était du suicide. Elle sortit difficilement, bravant le vent et la pluie. Toute encapuchonnée qu’elle était, elle prit l’eau en quelques secondes. Elle avança pas à pas sur le bateau, un pied après l’autre, en essayant de ne pas tomber. La gîte était telle qu’il était impossible de marcher droit ou de ne pas se tenir à des câbles, des bouts, des haubans, tout ce qui traînait ! Raphaëlle essayait à tout prix d’atteindre son frère, elle se sentait plus en sécurité avec lui que seule dans la cabine, qui commençait à prendre l’eau.
Du haut de ses dix-sept ans, Arnaud se sentit bête. Il voulut se complaindre intérieurement de sa bêtise. Sauf qu’il n’en avait pas le temps. La vie de sa sœur et la sienne reposaient entre ses mains. Depuis son vieux bateau, il ne pouvait même pas contacter les secours, car la radio était cassée. Son portable était tombé à l’eau et il n’avait pas de feux de détresse. Il était seul, et il était responsable de sa sœur. Il se reprit d’un coup ! Il était trop jeune pour mourir comme un vieux loup de mer ! Il ne voulait pas que ses parents pleurent la perte de deux enfants, il était résolu à s’en sortir !
« RAPHAELLE ! ». Il était obligé de hurler pour pouvoir parler à sa sœur. « LA GAFFE ! CHOPE LA GAFFE ! ». Il comptait sur la force et la détermination de sa sœur pour repousser les rochers desquels ils se rapprochaient dangereusement. Dangereusement, et surtout rapidement. Trop rapidement. « CHOPE LA GAFFE !! » Raphaëlle reprit ses esprits d’un seul coup. Elle n’était plus la petite sœur sur le bateau, mais le marin dans la tempête, obéissant au capitaine du bateau, comme un deuxième instinct. Elle courut dans la cabine, prit la gaffe, et remonta tant bien que mal, le plus vite possible. Elle ancra ses pieds dans le sol, sa main gauche s’accrochant à un hauban, la gaffe dans la main droite. Elle se concentra sur les rochers qui approchaient. Ils étaient assez hauts. Le bateau était inexorablement attiré par eux. Ils étaient assez haut, mais pas très grands ni très longs. Ils avaient une chance de s’en sortir. Le bateau se rapprochait... doucement, doucement, vague par vague, suivant la houle...
Raphaëlle ancra ses pieds plus profondément dans le sol, prête à repousser l’ennemi. Soudain, VLAN !! Le bateau fut propulsé vers les rochers par une vague plus grosse que les autres. Il percuta les rochers, mais pas aussi fort que si Raphaëlle n’avait pas été là. Elle était le point d’appui entre les rochers et le bateau. Elle repoussait les rochers avec la gaffe. Elle tenait, de toutes ses forces. Subitement, la gaffe se brisa en deux. Raphaëlle perdit l’équilibre et la secousse fut si forte qu’elle tomba la tête la première dans la mer. Par chance, elle n’avait pas heurté les rochers. Arnaud se précipita à sa rescousse, il savait que chaque seconde pouvait être fatale. A tout moment, Raphaëlle pouvait se retrouver coincée entre le bateau et les rochers et finir écrasée entre les deux. A toute vitesse, Arnaud accrocha un bout au bateau, s’enroula lui-même dans ce bout et jeta le reste à Raphaëlle. Elle l’attrapa et se hissa jusqu’au bateau, à la force de ses bras et grâce au bout enroulé autour d’Arnaud, qui était revenu à la barre tant bien que mal, poussant sur ses jambes et ses hanches qui portaient sa sœur à distance. Raphaëlle était à présent à moitié sur le bateau, à moitié dans le vide. Arnaud lui tendit une main, qu’elle saisit prestement, et chacun tira l’autre. Raphaëlle s’écroula sur le bateau. Avec tout ça, le bateau avait contourné les rochers. Grâce à la houle, et parce qu’Arnaud avait lâché le bout de la grand’voile. Tout s’était inversé. Le bateau ne penchait plus du même côté, le vent ne se jetait pas dans les voiles comme au départ. Ils faisaient route dans l’autre sens, la terre était en vue ! Elle était loin, elle était floue et incertaine, mais au moins ils faisaient route vers quelque chose. Raphaëlle et Arnaud avaient envie de s’écrouler par terre et de se laisser porter, mais c’était impossible. Ils devaient mener le bateau à bon port. Ils étaient piégés en pleine mer sur ce qui allait leur sauver la vie.
Enfin, après d’interminables minutes, des heures d’inquiétude, le bateau s’échoua sur le rivage, à 5 km de son port d’attache. Ils n’étaient certes pas au bon endroit, mais au moins, ils étaient en vie. Les deux marins sortirent du bateau en tremblant, usant leurs dernières forces, et se laissèrent tomber sur le sable.
Un peu plus tard dans la journée, on retrouva les deux jeunes gens au même endroit, leur bateau échoué à côté d’eux. La marée était basse, le vent était tombé, la tempête était passée. Ils se regardaient, fatigués mais heureux, face au soleil couchant. Ils ne disaient rien, mais leurs regards parlaient pour eux. Cette épreuve les avait liés pour toujours, et jamais plus ils ne prendraient de risques inutiles. La vie est bien trop précieuse pour qu’on la gâche.