Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Non c'en était trop. J'étais accablée, consternée, dépitée, épouvantée. Cette minute était plus que longue, trop longue. Elle était interminable. Il fallait que je me lève, il fallait absolument que je m'active. Mais en fait, non, je ne pouvais pas bouger. Fallait que je me fasse à cette raison. Et au fait, qui était-il, lui ? Et pourquoi était-il posé là sur moi. Je me sentais hébétée. Je le voyais là gisant sur moi, ruisselant de sueur et de plaisir, un plaisir qui me semblait vague, étranger. Où d'ailleurs me trouvais-je ? Qu'est-ce que je faisais là ? Et pourquoi ces gens autour de moi ? Je n'avais aucune idée de ce qui se passait aux alentours.
La salle était emplie de monde, un monde qui ne me semblait aucunement familier. Un monde qui ne me disait rien qui vaille. Ils s'acharnaient, là autour de moi. J'entendais des bruits qui petit à petit devenait lointains. Ils étaient étranges ces êtres, et piètrement vêtus. Ils portaient des sortes de cagoules, avec des drôles de déguisement. Je les trouvai drôles un instant. Je souris, bêtement. Bizarrement, je ne me sentais guère gênée de les voir se tirailler, et s'affairer là autour de moi. Pour la première fois de toute ma vie, je me sentais aimée, chérie, digne de considération. Ces gens, bien qu'inconnus semblaient chaleureux, gentils, attentionnés, pas comme ces vauriens là-bas dans mon village. Heureuse de me sentir chouchoutée, je m'endormis donc apaisée, satisfaite.
Combien de temps avais-je dormi ? Je ne saurais le dire. Quoiqu'il en soit à présent, il n'y avait personne autour de moi. Était-ce un rêve que je venais de faire ? Aucune idée. Je pris une seconde pour scruter la salle. Un frisson parcouru mon esprit. Cette salle, était hideuse, inhospitalière, et hostile à mon égard. Même ma chambre, que je peinais tant à ranger, n'avait jamais été dans un aussi pitoyable et peu recommandable état, le moins du monde. J'eus la nausée en voyant les traces de moisissure, recouverts de ces poussiéreuses toiles d'araignée là juste au-dessus de ma tête. Manquait juste un peu pour qu'une brise ne les envoya atterrir sur mon visage. Il faisait froid, très froid. Seulement je ne ressentais pas le besoin de me couvrir. Je fis donc la moue, et détournai le regard afin de penser à quelque chose de plus intéressant. C'est alors que je me rendis compte d'une chose indescriptible, un sentiment très peu familier. Le temps autour de moi semblait s'être arrêté une seconde, comme s'il voulait vraiment attirer mon attention.
Mais en fait, quelle était cette étrange sensation ? Je me sentais légère, un peu trop légère à mon goût. J'étais libre, euphorique, on eût dit que je voltigeais même. Ceci n'était pas du tout normal. Mais, que dire ? Cette sensation me faisait trop de bien. Fallait que j'en profite encore un peu. L'avais-je une seule fois ressentie de toute ma vie, de toute mon existence ? Non, je crois que non. Cet univers, le mien était bien trop cruel pour me permettre, ou me donner ne serait-ce qu'une seule chance, ou même, une seule once de seconde le plaisir de ressentir une si tendre et merveilleuse émotion de bonheur, un sentiment de bien-être, si...parfait. Aussi, je repensai à ma vie un instant.
Je vivais dans cette petite campagne du Nirvana, au bord du lac. La petite cabane, dressée là juste à quelques mètres pas loin de notre pont de fortune avait toujours été mon petit coin de paradis. Je m'y rendais par les temps de froid, ou d'intense chaleur, me réfugier du regard lacérant, lancinant voire même insultant des villageois du coin. Avant de m'y rendre, j'épiais, cachée derrière les arbres, à l'orée de la forêt, le départ des derniers pêcheurs. J'en avais vraiment marre de me faire lapider, battre ou cracher dessus avec tant de mépris par ces hideux êtres. Que leur avais-je d'ailleurs fait de mal ? Je ne le sais. D'ailleurs je ne voulais pas le savoir. J'étais déjà tellement habituée à leurs coups que cela avait fini par m'amuser et égayer mes journées tant je les répugnais.
Ma chambre ou plutôt ma cabane, je l'avais dénommée Fafapé ; ce qui signifie « Havre de paix » dans la langue de chez nous. Fafa, comme j'aimais la surnommer, constituait mon trésor, ma seule amie, ma mère. Elle m'apportait toute la chaleur et tout le réconfort dont j'avais besoin. Elle était tout pour moi. Elle me permettait, par les temps non couverts de contempler les étoiles à travers les trous qui ornaient son petit toit et lui donnait un air de discothèque. J'aimais beaucoup les étoiles. Elles me faisaient de très beaux et gentils clins d'œil tout là-haut, là-bas dans le ciel. Je rêvais de les visiter un jour, oui un jour très certainement. Mais ce temps devait attendre un peu parce que là, cette salle me saoulait et commençait sérieusement à me donner des haut-le-cœur. Cette situation me tapait de plus en plus sur le système.
Heureusement pour moi, la porte qui se tenait juste à ma droite s'ouvrit. Tournant la tête sur le côté, je vis entrer un homme pas très âgé, de taille moyenne. Il portait un étrange accoutrement lui. J'avais du mal à y voir clair avec cette luminosité. D'ailleurs, en quoi cela m'importait-il ? L'essentiel pour moi était de me renseigner au plus vite. Je le questionnai donc non sans quelque peine. Chose bizarre, il ne sembla pas m'entendre. Franchement, j'étais ébahie. Le mot étonné même en aurait été stupéfait. Juste là, sous mon nez, il posa une sorte de bocal sur la commode et ressorti de la salle. Une odeur que je trouvais répugnante, s'en dégageait.
Cet endroit respirait la terreur, l'aigreur, la peur. Tout était noir, obscurité et ténèbres autour de moi. Curieusement et contre toute attente, je me retrouvai comme par hasard, dans ma cabane. Ah Fafa ! Chère tendre et bien-aimée Fafapé, comme tu m'as manqué toi me dis-je intérieurement, à moitié réveillée. Une voix rauque, sournoise ainsi que des bruits de pas, au dehors, attirèrent mon attention.
- Cette fille est une pépite. J'ai fini. C'est à ton tour maintenant, tu peux y aller !
Je n'eus pas le temps de me relever que je sentis une main m'agripper par la jambe et m'attirer. Venais-je de rêver ou était-ce la réalité ? Qui avait le culot de venir troubler mon solitaire sommeil en cette nuit si glaciale d'hiver ? Je n'eus pas le temps de réfléchir. Une seconde main glissait allègrement sur ma cuisse. Comme par réflexe, je donnai un grand de pied et tentai de me saisir de mon bâton. Ce bâton, je le gardais toujours avec moi, tout près, à portée de main. Il m'avait sauvé la vie à maintes reprises, ce bâton, au milieu de cette jungle humaine. Mais là, je cherchais désespérément sans rien trouver. La cabane était trop sombre pour que je parvienne à distinguer les traits de mon imprévu et indésiré invité. Que pouvais-je faire, moi, pour me libérer de cette emprise, de cette empoigne ? Mon corps faible et sans force luttait désespérément. Ils étaient maintenant deux à s'en prendre à moi. D'où sortaient-ils ? Et quelle était cette odeur ? De l'alcool ? De la drogue ? L'air glacé m'empêchait de distinguer. Mes forces m'abandonnaient peu à peu. Sans que je ne susse comment ni pourquoi, une sorte de secousse comme je n'en avais jamais eu auparavant balaya tout mon corps. Je fus comme transpercée. Non, c'est peu dire. Je fus comme électrocutée. Je sentais mon corps flotter. Ce corps, qui juste à l'instant, semblait capable de tout sauf de bouger. Je ressentis une atroce douleur. Elle m'était en tous points insupportable. Une chose indescriptible se promenait là, dans mon entrejambe... Je n'en pouvais plus, je cessai de lutter.
Mes yeux s'ouvrirent enfin. Une lumière m'aveugla l'instant d'une seconde. Le soleil pointait là-haut au zénith. Ses rayons, se faufilaient à travers le toit en mosaïque de ma cabane. Avais-je halluciné ? Que s'était-il réellement passé ? Je ne savais que penser. J'étais horrifiée, tétanisée. Cela dura une bonne minute. Une longue minute. Une éternité.