Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Je dois être loin des regards humais. Loin peut-être de mon temple charnel aussi. Je me sens plutôt dans un tunnel ! Non, pas un tunnel ! Je me sens dans un égout boueux dont la perte soudaine de mes sens m'empêche de sentir les odeurs nauséabondes. Ça doit puer mille condensées d'odeur de compost ranci par ici ! Depuis quand suis-je là ? Je ne peux le dire. Peut-être plus d'un siècle m’a déjà vu là, veule, pâle, indolent. Le temps s' est arrêté. Rien ne me certifie s’il fera jour tout à l’heure, demain, après demain ou plutôt dans les siècles a venir. L'empire de l'obscurité était si grand que mes yeux ne peuvent rien percer, même à un millimètre près.
Je tente encore une fois de me lever, m'en aller, aller très loin de ce mouroir. Mais comment ? Il m'est impossible de dire si je suis encore vivant ou mort. J'ai dit « je » ? Oh, c'est une erreur ! Je n'ai plus les deux entités qui me sacrent humain. Je ne pense plus avoir de chair, pas de peau, pas de corps. Je dois être plutôt un esprit qui patauge dans le vide d'un monde obscur. L’obscurité est si compacte que j'ai l'impression de pouvoir la serrer dans mes bras. Au milieu de ce lugubre et obscur néant gênant, je me découvre, ou plutôt me sens, couché sur le ventre dans une sorte de boue. Tout tourne autour de moi. Tout tremble. Tout croule. Décidé, je tente encore de m’échapper ; mais, ni mes pieds, ni mes mains ne s’accrochent à rien de concret. Mes membres, complètement engourdis, ne semblent point répondre à mes pulsions. Je gesticule dans le vide et, chose étrange, ces mouvements que je pensais vains me firent avancer dans cet enfer noir. Je patauge dans la boue de l'âtre noire, cambré sur ce que je ne sais s'il faut appeler jambes ou bras. Une triste lumière s' infiltre soudain dans l'âtre et s' éteint aussitôt allumée. Des murs se dressent bientôt devant moi. Tous vibrants, tous tremblants. Les murs courent vers moi à une allure endiablée, sidérante. Putain, ils vont m'écraser! Je me lance du mieux que je pusse, les mains guêtrées de toute la fange dont j'ignore la matière. Aussitôt cramponné à la parois de l'égout, qui se serre contre moi, une immense baie s'ouvre devant moi. Je ne l'ai pas vue, c'est mon corps qui, en s' agrippant aux parois, manque le fatras d'une chute. Là, dans cette baie, se profile une tranchée timide de lumière. Levant le regard, je vois s' aligner, devant moi, des milliers d’ombres me ressemblant trait pour trait. Tristes. Pâles. Elles sont endeuillées, ces ombres jumelles. Elles me fixent, elles me font peur. J'ai peur. Peur de les fixer. À reculons, je me cherche dans le vide derrière moi. Je retombe dans le noir total. Rien n'y a vie, rien n'y vit. Rien n’y a voix, rien n'y voit. Le tunnel semble éternellement long, vaste, obscur.
Tout à coup, mon corps commence par me revenir. Je sens maintenant que j'ai un corps ! Oui, je le sens. J'y sens une brûlure qui va crescendo vers son paroxysme. Peu à peu, je commence par sentir mes sens. J'ai, paraît-il, du poids sur mon dos. Ça pèse ! Le poids est énorme. Peut-être m'a-t-on déjà enterré. Peut-être que ce poids que je sens sur mon dos n'est que la lourdeur des sables dont on couvre les cadavres enterrés. Me voilà aux enfers. Que mes yeux s'ouvrent enfin ! Je tente de les ouvrir mais en vain. Tout mon corps reste figé, incapable de mouvoir, même la moindre cheville.
Mes sens refusent de percevoir avec netteté. Cependant, je sens, faiblement, ce qui se faisait autour de moi. Aux bruits du sol, il doit avoir des gens autour de moi. Des voix me parviennent mais presque inaudibles. Que disent-elles ? Se moquent-elles de moi ? S' apitoient-elle sur mon sort ? Mais qu'est-ce que j'ai ? Sont-ce les diables de l’enfer ou les anges du paradis ? Est-ce que je vis ? Je ne sais vraiment si je suis déjà en enfer ou encore sur la terre ferme. Les voix, autour de moi, deviennent peu à peu audibles. Il y a du monde autour de moi. Je le sens. On creuse un trou, trop près de moi.
- Que faites-vous ?entendis-je.
- Nous creusons sa tombe.
- Le malheureux ! Pas d'ambulance ?
- Pas d'espoir. L'esprit n’y est plus.
- Paix à son âme.
- La chute a été trop brutale et mortelle.
- Tout l'échafaud ?
- Oui, regarde, même les nouvelles poses sur les parties terminales de la dalle ont écroulé.
- C'est terrible !
Je rassemble toutes mes forces pour crier que je n'étais pas mort. Mais rien ne sort de ma bouche. Mes lèvres semblent cousues. Elle ne me rend pas service. Mes lèvres ne se remuent point, malgré mon désir ardent de crier. La sensibilité soudaine que j'avais acquise était limitée au toucher, l'ouïe et l'odorat. Je ne vois rien, je n'arrive même pas à ouvrir les yeux. Des souvenirs vagues me viennent. D’abord des mots en vrac : briques, truelle, échafaudage. .. Ensuite, une image. Je me rappelle alors que j'étais en haut d’un étage quand un mauvais tour de truelle m'a fait chuter du haut du troisième étage. Pitié, je ne suis qu’un malheureux maçon !
Je tente encore une fois de me lever, m'en aller, aller très loin de ce mouroir. Mais comment ? Il m'est impossible de dire si je suis encore vivant ou mort. J'ai dit « je » ? Oh, c'est une erreur ! Je n'ai plus les deux entités qui me sacrent humain. Je ne pense plus avoir de chair, pas de peau, pas de corps. Je dois être plutôt un esprit qui patauge dans le vide d'un monde obscur. L’obscurité est si compacte que j'ai l'impression de pouvoir la serrer dans mes bras. Au milieu de ce lugubre et obscur néant gênant, je me découvre, ou plutôt me sens, couché sur le ventre dans une sorte de boue. Tout tourne autour de moi. Tout tremble. Tout croule. Décidé, je tente encore de m’échapper ; mais, ni mes pieds, ni mes mains ne s’accrochent à rien de concret. Mes membres, complètement engourdis, ne semblent point répondre à mes pulsions. Je gesticule dans le vide et, chose étrange, ces mouvements que je pensais vains me firent avancer dans cet enfer noir. Je patauge dans la boue de l'âtre noire, cambré sur ce que je ne sais s'il faut appeler jambes ou bras. Une triste lumière s' infiltre soudain dans l'âtre et s' éteint aussitôt allumée. Des murs se dressent bientôt devant moi. Tous vibrants, tous tremblants. Les murs courent vers moi à une allure endiablée, sidérante. Putain, ils vont m'écraser! Je me lance du mieux que je pusse, les mains guêtrées de toute la fange dont j'ignore la matière. Aussitôt cramponné à la parois de l'égout, qui se serre contre moi, une immense baie s'ouvre devant moi. Je ne l'ai pas vue, c'est mon corps qui, en s' agrippant aux parois, manque le fatras d'une chute. Là, dans cette baie, se profile une tranchée timide de lumière. Levant le regard, je vois s' aligner, devant moi, des milliers d’ombres me ressemblant trait pour trait. Tristes. Pâles. Elles sont endeuillées, ces ombres jumelles. Elles me fixent, elles me font peur. J'ai peur. Peur de les fixer. À reculons, je me cherche dans le vide derrière moi. Je retombe dans le noir total. Rien n'y a vie, rien n'y vit. Rien n’y a voix, rien n'y voit. Le tunnel semble éternellement long, vaste, obscur.
Tout à coup, mon corps commence par me revenir. Je sens maintenant que j'ai un corps ! Oui, je le sens. J'y sens une brûlure qui va crescendo vers son paroxysme. Peu à peu, je commence par sentir mes sens. J'ai, paraît-il, du poids sur mon dos. Ça pèse ! Le poids est énorme. Peut-être m'a-t-on déjà enterré. Peut-être que ce poids que je sens sur mon dos n'est que la lourdeur des sables dont on couvre les cadavres enterrés. Me voilà aux enfers. Que mes yeux s'ouvrent enfin ! Je tente de les ouvrir mais en vain. Tout mon corps reste figé, incapable de mouvoir, même la moindre cheville.
Mes sens refusent de percevoir avec netteté. Cependant, je sens, faiblement, ce qui se faisait autour de moi. Aux bruits du sol, il doit avoir des gens autour de moi. Des voix me parviennent mais presque inaudibles. Que disent-elles ? Se moquent-elles de moi ? S' apitoient-elle sur mon sort ? Mais qu'est-ce que j'ai ? Sont-ce les diables de l’enfer ou les anges du paradis ? Est-ce que je vis ? Je ne sais vraiment si je suis déjà en enfer ou encore sur la terre ferme. Les voix, autour de moi, deviennent peu à peu audibles. Il y a du monde autour de moi. Je le sens. On creuse un trou, trop près de moi.
- Que faites-vous ?entendis-je.
- Nous creusons sa tombe.
- Le malheureux ! Pas d'ambulance ?
- Pas d'espoir. L'esprit n’y est plus.
- Paix à son âme.
- La chute a été trop brutale et mortelle.
- Tout l'échafaud ?
- Oui, regarde, même les nouvelles poses sur les parties terminales de la dalle ont écroulé.
- C'est terrible !
Je rassemble toutes mes forces pour crier que je n'étais pas mort. Mais rien ne sort de ma bouche. Mes lèvres semblent cousues. Elle ne me rend pas service. Mes lèvres ne se remuent point, malgré mon désir ardent de crier. La sensibilité soudaine que j'avais acquise était limitée au toucher, l'ouïe et l'odorat. Je ne vois rien, je n'arrive même pas à ouvrir les yeux. Des souvenirs vagues me viennent. D’abord des mots en vrac : briques, truelle, échafaudage. .. Ensuite, une image. Je me rappelle alors que j'étais en haut d’un étage quand un mauvais tour de truelle m'a fait chuter du haut du troisième étage. Pitié, je ne suis qu’un malheureux maçon !