Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.
Je doutais... Alors comment pourrait-on imaginer cette obscurité qui brûlait mes yeux et mon cœur ? Comment pourrait-on l’expliquer ?
Je vivais dans une modique bourgade remplie de lois.
Des lois traditionnelles à respecter et que nous imposait Baye Oumar, le chef du village.
Une calebasse pleine d’eau était posée au milieu de la place publique.
Quiconque qui se réveillait devait y mettre ses deux mains.
Qu’est-ce qui expliquait ça ?
Les ancêtres du village avaient signé un pacte de fidélité avec le génie des eaux.
Selon eux, leur destin dépendait du respect strict de ce rendez-vous avec les esprits sinon, ils subiront une terrible malédiction. Ils passeront leur existence à affronter des épreuves, des douleurs, des malheurs successifs et inexplicables.
Cette malédiction fatale, selon eux, ne prendra fin que quand ils auront disparu à jamais, avalée par les eaux du fleuve ou de la mer.
Le soleil se leva.
Un soleil tout neuf au-delà d’une ligne rose blanc qui s’étirait à l’infini.
Ceci marqua le réveil un à un des gens qui sans insister allaient accomplir ce qu’ils considéraient comme une obligation.
Ce jour-là, moi Baba, le cadet de la Famille Ndiayéne, je refusai de mettre mes mains sur la calebasse.
- Je ne crois pas à ces esprits dont vous me parlez !
Disais-je.
Il était fou de comprendre comment un petit gamin aurait pu refuser ce qu’accomplissent même ses grands-pères.
J’avais fréquenté dans mon enfance, les belles rues de France, envahies de toutes les parts par les eaux de la mer et du fleuve, les belles rues de France, remplies de bâtiments en étages faits de briques et de tuiles rouges, les belles rues de France, grouillées de monde avec ses cocotiers géants, ses filaos longilignes et ses superbes eucalyptus australiens.
C’était peut-être, ce qui m’avait poussé à boycotter les valeurs de la tradition.
- Les villes détruisent ce que construisent les villages ! disait Baye Ibra, un vieux du village, en parlant avec mon père, nous commençons de perdre nos valeurs, il appartient au gouvernement, à tous les gouvernements des pays, de veiller à la bonne gouvernance et à rendre les terroirs villageois attractifs, afin de fixer les populations sur place, non seulement pour que nos fils puissent rester dans leur village natale et conserver nos valeurs mais aussi pour éviter la surpopulation des villes et des banlieues. On risque d’arriver à la crise des valeurs.
Mais, moi, intérieurement, je me posais des questions :
Qu’est-ce qui pouvait m’arriver ? Qui sont ces esprits ? Comment des invisibles peuvent me subir des malédictions ?
Ces questions sans réponses bouleversaient ma tête alors je m’en allai, poursuivre les routes de la savane dans cette nuit noire...
C’est à partir de ce jour-là, que ma vie bascula dans un univers sombre fait de brimades, d’injures, de quolibets, d’allusions malveillantes et de châtiments corporels.
C’est ce jour-là que mon calvaire a véritablement commencé. Un supplice qui, comme une machine infernale, n’allait plus s’arrêter.
Le village et les villageois s’étaient mis à me négliger ostensiblement.
Un jour, après les prières matinales, un homme, qui en se basant de sa mine meurtrie apparemment fine et hideuse, aurait pu avoir plus d’une trentaine d’années, se mit devant moi.
Il avait répété mon nom trois fois, et commença par ces paroles :
- Ici, c’est l’AFRIQUE.
- Qui es-tu ?
Répondis-je.
- Je m’appelle Fa Farba Diop, Digne descendant de Mame Coumba Bang, le génie titulaire de Saint-Louis, j’habite dans l’océan pacifique, dans la bicoque des sirènes noirs.
Je restais assis, tétanisé par la peur qui me transperçait le cœur et envahissait mon corps, alors je dis :
- Et, que venais-tu faire là ?
- Jeune homme, ici, c’est les Terres de nos pères !
- Et, après ?
- Quiconque qui aurait refusé ou négligé les valeurs de nos ancêtres, verra les sanctions !
- T’es venu pour me tuer ? C’est ça ?
- Je suis venu pour t’aider !
- M’aider ? Comment-ça ?
- Dans deux jours, les esprits de Sangomar viendront vous montrer leur force, accompagne-moi.
J’avais poursuivi cet homme qui m’avait emmené dans une montagne.
Là, j’avais déniché une femme, longue de plus de trois mètres et grosse comme un hippopotame qui m’avait dit :
- Tu vis désormais avec nous, Ici, c’est l’AFRIQUE, c’est les Terres de nos pères, fréquenter des villes, ne veut pas dire boycotter les valeurs de ce continent noir, ici, c’est l’AFRIQUE, nos ancêtres sont partis mais leur culture est toujours là, ici, c’est l’AFRIQUE, même si l’homme étrange, d’un autre couleur de peau, est venu nous coloniser, l’AFRIQUE reste toujours l’AFRIQUE, même si on est vulnérable, l’AFRIQUE reste toujours l’AFRIQUE.