Il était près de vingt heures en Arctique. La mer s'était calmée après une tempête provoquant des vagues gigantesques. Les pingouins de la région avaient plongé sous l'eau en attendant que la situation se tranquillise, mais chaque fois, cela mettait plus de temps et ils avaient de plus en plus de mal à retenir leur respiration. Eux qui adoraient autrefois nager ne pouvaient plus remonter à la surface d'une eau trop agitée et leur apnée de quelques minutes devenait insuffisante. Pino et son père avaient heureusement trouvé refuge dans une grotte sous-marine et lorsqu'ils étaient remontés à la surface, ils avaient eu beau jaboter, aucune réponse de leurs amis. Le soir venu, ils avaient donc élu domicile sur un monticule de plastique qui flottait près d'eux.
Pino réclamait à présent son histoire. Son père Arthur s'adossa à un bidon et pris un livre au hasard parmi les déchets. Il ouvrit le livre maltraité mais toujours lisible et commença :
« Il était une fois une Terre non polluée dont les mers étaient remplies de poissons. Le ciel était d'un bleu éclatant et des milliers d'oiseaux de toutes les couleurs le fendaient. Les forêts étaient verdoyantes et regorgeaient d'animaux sauvages. Les rivières étaient pures et les ours rassasiés de saumons dormaient étendus au soleil. Les pingouins vivaient en paix sur la banquise et barbotaient dans l'eau, se nourrissant de crustacés. Les bourdons et les abeilles butinaient avec insouciance et les chamois jouaient dans les montagnes. »
Pino s'exclama : « Waouh ! Dis papa, c'est quoi une abeille ? »
Arthur répondit : « C'était un insecte volant, noir et jaune, qui produisait un délicieux nectar en pollinisant les fleurs. Bref, reprenons là où nous en étions restés. La nature ne manquait de rien. Il n'y avait ni tempête, ni chaleur extrême ni famine. Mais un jour, un terrible événement survint... »
Pino ouvrit la bouche avec un air ébahi.
« L'homme arriva sur Terre. Au début, il se contenta de ce qu'il avait et préservait la nature dont il tirait sa nourriture. Mais son avidité le fit agir autrement. Il commença à produire plus que ce dont il avait besoin. Pour s'aider il créa des machines. Pour aller plus vite et se faciliter la tâche, il inventa des transports comme la voiture et l'avion fonctionnant grâce à des hydrocarbures qui polluèrent l'air. Il développa l'agriculture et utilisa des engrais qui entraînèrent des gaz à effet de serre. Tout cela changea le climat et causa des sécheresses qui firent fondre la banquise et déclenchèrent des incendies de forêt. Il oublia que rien n'est inépuisable et abusa de l'eau limitant ainsi sa disponibilité et les récoltes. D'un autre côté, il gaspilla la nourriture, enterra les déchets qu'il n'arrivait pas à détruire et jeta les plastiques à la mer. »
Pino, envieux du monde décrit précédemment par son père, demanda d'une voix triste et fatiguée : « Mais, il ne pouvait rien faire l'homme pour éviter tout cela ? »
Arthur répondit frustré : « Eh bien, il aurait pu limiter ses déplacements, économiser l'énergie, éviter le gaspillage, recycler, respecter la nature et être moins égoïste. L'avenir du monde était entre ses mains. Mais malheureusement, il est trop tard... »
Arthur n'avait pas terminé sa phrase que Pino était déjà dans les bras de Morphée. Cette nuit-là, il rêva d'abeilles et de leur nectar. Le lendemain, à son réveil, les pingouins de la contrée étaient revenus et jouaient sur le peu de glace qu'il restait.