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C'était une fin de journée comme une autre. Un long trajet en métro, comme toujours. Retour du boulot, des écouteurs aux oreilles et dans un sac, la portion de nems du lundi soir. Le regard vissé sur l'écran du téléphone, je parcourais l'infinité des réseaux sociaux sans y trouver ni intérêt ni la capacité d'en sortir.
Puis, au milieu des stories et photos, un post a attiré mon attention. Une phrase, comme un ordre : « Brisez la routine : osez de nouvelles expériences ! ».
Ce n'était pas le conseil du siècle. J'ai continué à faire glisser mon doigt sur l'écran, mais l'injonction me restait en tête. Elle résonnait, tournait, comme un mantra qui cherchait à me faire sortir de l'enfer du quotidien.
« Javel – André Citroën » a annoncé la voix du métro.
Pas du tout mon arrêt. La sonnerie a retenti et sans réfléchir davantage, j'ai sauté sur le quai. Il ressemblait à tant d'autres. Comment on trouve ça, de nouvelles expériences ? Le métro s'est éloigné et sur le mur derrière lui, une grande affiche pour un nouveau roman à suspense hurlait en lettres capitales « Échappe-toi ». C'était ça. C'était ce que j'allais faire. Je me suis engouffré dans les tunnels de la station, m'orientant au hasard et décidant que, pour le reste de la soirée, je me laisserai porter par mon environnement.
C'est ainsi que je me suis retrouvé à errer, le nez en l'air, dans des rues que je connaissais à peine, à suivre les trottoirs et n'en changer que lorsque le feu passait au vert. À me diriger à l'œil et aux sons de la ville : un klaxon à droite, un papier qui virevoltait jusqu'à un parc... Un homme a crié « À gauche ! » à son enfant en vélo. Alors j'ai pris à gauche, moi aussi. Sous un arbre, des amis jouaient aux cartes et, sur un banc à côté, un couple âgé regardait passer les gens. Ils ne se parlaient pas, peut-être n'avaient-ils plus rien à se dire, depuis le temps. Mais ils étaient là, ensemble.
— On y va ? a lancé la femme à son mari.
Il a grogné. Il avait mal aux genoux et d'ailleurs, ce n'était pas encore l'heure. J'ai souri, ça m'a rappelé mon grand-père Fernand. Pourtant, je ne l'ai pas beaucoup connu. On a perdu contact au décès de maman. Quinze ans déjà. Mais pendant un court instant, il m'a semblé le revoir, sortir de sa veste la petite montre en argent qu'il ne quittait jamais. « Avant l'heure, c'est pas l'heure », répétait-il.
Un pigeon s'est posé à mes pieds pour me tirer de mes rêveries. Il a avancé vers un groupe de filles en dodelinant de la tête. Puis, d'oiseaux en passants, de signes en signes, je suis sorti du parc et j'ai rejoint la rue adjacente pour entrer dans une boutique qu'une petite fille montrait du doigt à sa mère. Étroit et un peu vieillot, l'endroit était empli de curiosités en tous genres ; objets d'art, bijoux, toiles peintes et meubles anciens.
J'ai été surpris de reconnaître celle qui se tenait derrière le comptoir ; une vieille connaissance d'école.
— Ça fait plaisir de te revoir ! Ça fait longtemps... Qu'est ce qui t'amène ?
Un peu gêné, je lui racontais mes déambulations pour le moins surprenantes. Elle a ri de bon cœur et m'a raconté ses propres aventures. La reprise du commerce de son père, à mille lieues de l'école d'architecture qu'elle avait fréquentée, mais plus proche de ses valeurs et de sa famille.
— Je regrette de ne pas avoir passé plus de temps avec lui quand il était encore là. Avec cette boutique, ça me donne l'impression qu'il est encore un peu avec moi.
Moi, mon père, je ne le voyais plus. Un homme violent que j'avais supporté seul depuis le décès de ma mère et jusqu'à mes dix-huit ans, lorsque j'étais enfin parti. Je n'avais plus vraiment de famille.
Mes yeux se sont posés sur une petite montre à gousset dans la vitrine du comptoir.
La montre brillait, comme celle de mon grand-père dans mon souvenir. C'est drôle comme la mémoire d'enfance s'accroche parfois à des détails. Un objet, une voix... des odeurs, parfois. Pourtant, les visages m'échappaient. Je n'avais pas de photos, rien que des réminiscences qui devenaient de plus en plus floues.
— Tu la veux ?
— Oh non, elle est jolie mais je n'en ai pas vraiment l'utilité...
— Je peux te faire une offre, m'a-t-elle coupé en souriant.
C'était mon signe, plus d'hésitation possible.
— Allez ! Je me laisse tenter !
Je l'ai remerciée puis nous nous sommes salués en convenant de nous revoir autour d'un verre ce week-end. J'ai poussé la porte et me suis retrouvé sur ce même trottoir, un sourire idiot aux lèvres et une montre entre les mains.
J'ai continué à avancer, vers le hasard et ce qu'il voudrait bien mettre à nouveau sur mon chemin. En regardant le ciel rosir et le soleil lentement se coucher, je me suis demandé à quand remontait la dernière fois que j'avais regardé le ciel. Vraiment regardé. Alors je me suis arrêté de marcher et je me suis posé là, à la terrasse d'un troquet. J'ai commandé un bière et j'ai fini d'admirer la descente du soleil sur cette belle journée de fin d'été. Je n'entendais plus les moteurs et les klaxons, j'étais ailleurs, dans mes pensées. J'ai failli ne pas entendre la femme qui me demandait :
— Vous l'avez trouvée où ?
J'ai tourné la tête vers la dame, âgée et courbée, qui désignait du bout de son index la petite montre que je faisais tourner entre mes doigts. Elle a affiché une mine surprise quand nos regards se sont croisés et a continué tout bas :
— Elle ressemble tellement à la montre de mon René...
Elle était troublée par l'émotion... Porté par ma nouvelle audace, je lui ai désigné la chaise à côté de moi. Elle s'est assise, je lui ai tendu la montre avant même qu'elle me le demande.
J'ai longuement dévisagé cette femme, avec la fascination du moment singulier que j'étais en train de vivre. Alors que la nuit commençait à tomber, nous avons partagé mon plat du lundi soir. Elle m'a raconté René, leur rencontre, leurs dernières années au Touquet... Et dans la douceur de ses mots, j'ai retrouvé toutes les saveurs de mon repas préféré.
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